Critique : Team America police du monde

Johan Beyney | 18 février 2005
Johan Beyney | 18 février 2005

S'il y a quelque chose de pourri au royaume de l'Oncle Sam, on sait que l'on peut faire confiance à Trey Parker et Matt Stone pour appuyer fort là où ça fait mal, et même autour. Les créateurs de la série d'animation South Park se sont fait une profession de ne rien respecter, et surtout pas la bonne conscience américaine. Les aventures de Kenny, Stan et les autres étaient déjà un beau pied de nez (pour employer une expression mesurée : un bras d'honneur ou un doigt seraient plus appropriés) à l'innocence de l'enfance, au puritanisme des petites villes américaines et, plus généralement, à ce qu'il est convenu d'appeler le « pays de la Liberté », assené à grands coups de vulgarité crasse. Et c'était déjà jouissif.

Avec Team America, les deux trublions qui se sont rencontrés sur les bancs de la fac frappent encore plus fort, et détruisent tout sur leur passage : la politique de Bush junior, les militants pacifistes et le cinéma hollywoodien, le tout avec une bonne humeur insolente.

Première innovation dans le monde des deux créateurs, l'abandon de l'animation sommaire de South Park pour des marionnettes qui font inévitablement penser aux Thunderbirds (dont le passage sur grand écran en 2004 dans une version live avait été un ratage complet, critique de la chose disponible ici), ce qui implique nécessairement des prises de vue réelles et une équipe technique beaucoup plus importante. Trey et Stone ont su s'entourer, pour l'occasion, des meilleurs pour mener à bien leur projet : Bill Pope (Matrix, Spiderman 2) pour la photographie, Joe Viskogil (Independance Day, Terminator 1 et 2) pour les effets spéciaux, ou encore Norman Tempia (formé à l'école de Jim Henson sur Dark Crystal et Labyrinthe) pour la création des marionnettes. On pourrait alors craindre qu'avec une équipe pareille, on ne perde l'apparent je-m'en-foutisme qui a fait le charme de South Park. Malgré des décors et une lumière incroyables, ce n'est heureusement pas le cas, notamment parce que le déplacement des marionnettes (dont les jambes s'agitent frénétiquement à quelques centimètres du sol au moindre mouvement) rappelle malgré tout l'univers des petits bonshommes politiquement incorrects.

Reste – et South Park nous l'a prouvé – que c'est moins à la forme qu'au fond (à l'absence de fond diront certains) que Parker et Stone doivent leur succès. Et sur ce point là non plus, le film ne déçoit pas. Team America se présente dès le départ, au sens propre comme au sens figuré, comme une vaste entreprise de destruction massive de tout ce qui fait l'Amérique de Bush. La Team America est une organisation plus ou moins secrète dont le but est de sauvegarder la sécurité du « monde libre » en détruisant tout ce qui ressemble de près ou de loin à un terroriste. Et autant dire que les six membres de l'équipe, caricatures de patriotisme aveugle, ne sont pas très regardants dès qu'il s'agit de jouer du bazooka au nom de la démocratie, et peu importe qu'il y ait un peu de casse au passage (on ne fait pas d'omelette sans détruire Paris). Ça vous rappelle quelque chose ? Pourtant les deux pères de ce jeu de massacre s'en défendent : « Nous ne prenons pas parti, nous ne délivrons pas de grand message. Nous nous moquons de tout, exactement comme nous le faisons depuis toujours dans South Park ».

Et s'il est vrai que l'équipe de la Team America est présentée comme une bande d'abrutis convaincus d'être dans leur bon droit, les opposants à la guerre en prennent également pour leur grade. Et en premier lieu, les acteurs hollywoodiens qui se sont soulevés contre la politique de « W » : George Clooney, Tim Robbins, Susan Sarandon ou Matt Damon (dont vous saurez apprécier la profondeur des dialogues), menés d'une main de maître par Alec Baldwin (une des cibles préférées de Parker et Stone) sont tout aussi ridicules en militants extrémistes pour la paix et le rapprochement entre les peuples. Et il suffit de voir Helen Hunt engagée dans un combat de sabre digne de Kill Bill, ou un Michael Moore sacrifié pour la cause pour s'en persuader. Pas plus de respect envers les populations étrangères (et notamment un Kim Jong Il machiavélique) qui sont doublées dans un yaourt imitant vaguement la langue d'origine !

Mais ce n'est pas seulement à travers ses acteurs qu'Hollywood se fait attaquer. Car Team America est aussi un film d'action parodiant avec jubilation les codes des grosses productions à la Jerry Bruckheimer. Tous les poncifs du genre sont donc convoqués : explosions à répétition, héros traumatisé par un souvenir douloureux, histoire d'amour contrariée au milieu du chaos. Seul bémol : certaines scènes sont plagiées avec une telle fidélité que l'on s'y ennuie parfois autant que dans les films originaux. Gageons toutefois qu'un « fuck ! » bien balancé ou qu'une grossièreté bien sentie vous les feront vite oublier. Dernier point : le film nous gratifie encore une fois d'une bande-son étonnante, allant du rock bien lourd (America f*** yeah !) à la ballade romantique (où l'on apprend que l'on peut avoir autant besoin de quelqu'un que Ben Affleck a besoin de cours de comédie !), et majoritairement écrite et interprétée par Trey Parker lui-même. Sans trop en dévoiler, préparez-vous également à affronter l'une des scènes d'amour les plus indécentes qu'un studio hollywoodien ait laissée voir, à goûter la meilleure scène de vomi de l'histoire du cinéma, et à assister à un numéro de dressage de panthères noires d'une intensité rare ! Enfin, ne quittez pas votre siège avant la fin du générique : après un medley de toutes les chansons du film, vos oreilles riront au son d'une ode mémorable à la gloire d'Alec Baldwin.

Bref, Hollywood est formatée, la ferveur patriotique américaine est dangereuse, la bonne conscience pacifiste est aveugle : rien de bien nouveau sous le soleil si ce n'est que cela fait longtemps qu'un message aussi irrévérencieux n'avait pas atteint les grands écrans de l'Oncle Sam. Et quand bien même tout cela serait pudiquement caché sous un monceau de méchanceté et de vulgarité gratuites, on sent souffler avec Team America un vent de liberté inattendu dans la plus grande démocratie du monde...

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire