Critique : La Rage du tigre

Patrick Antona | 13 janvier 2005
Patrick Antona | 13 janvier 2005

Plus de trente ans après sa sortie initiale (le film date de 1971), c'est avec un grand plaisir que l'on peut découvrir un des fleurons du film d'arts martiaux de la mythique compagnie Shaw Brothers, en version remastérisée et avec de nouvelles scènes de surcroît (avant sa sortie en édition double DVD Collector au mois d'avril). La Rage du tigre (The New One-Armed Swordman en VO), appartenant à la série du Sabreur manchot (interprété à l'origine par Jimmy Wang Yu), est à nouveau réalisé par Chang Cheh, un des plus prolifiques metteurs en scène de Hong-Kong, assisté par Liu Chia Lang (La 36° Chambre de Shaolin et ses suites) pour les chorégraphies des scènes d'action. Cet ultime volet, à la fois le plus célèbre et le plus violent, est resté longtemps, avant l'arrivée de Tigre et dragon, le représentant le plus connu du wu xia pan (le film de cape et d'épée chinois). Mais malgré le temps passé et la découverte des trésors de la Shaw Brothers à travers divers festivals et dans de somptueuses éditions DVD, le film de Chang Cheh n'en demeure pas moins un chef-d'œuvre inaltérable.

Dès le début, on entre de plein pied dans la violence avec un générique dynamique qui nous présente Lei Li (David Chiang), chevalier virtuose de l'épée, en pleine action, à savoir en train d'anéantir une bande entière de cavaliers ! Sans nous laisser le temps de reprendre notre souffle, Chang Cheh montre alors son attrait pour le morbide avec une macabre mise en scène de corps empalés puis l'affrontement qui verra David Chiang perdre son duel contre le maître Long (excellent Ku Feng), utilisant de manière imparable un baton de combat à trois sections. Non seulement Lei Li y perdra son honneur mais aussi son bras, qu'il se tranchera lui-même ! Rarement le cinéma d'action aurait connu une telle entrée en matière, intense et sanglante, bien que ce type d'exposition présentant des héros qui connaissent ou connaitront la souffrance et la mutilation est une constante du cinéma d'arts martiaux (La Main de fer et consorts). Mais Chang Cheh va encore plus loin en suivant le destin du héros, désormais infirme et simple serveur dans une auberge, nous le montrant subir sa nouvelle vie avec moult humiliations. Cette retraite forcée prendra fin à l'arrivée de Feng (Ti Lung, tout en prestance), autre chevalier en quête d'aventures et qui se doute de la véritable nature de Lei Li. Chang Cheh articule alors son récit sur la relation ambiguë qui va se nouer entre David Chiang et Ti Lung, le premier plus ombrageux et d'apparence plus fragile (on l'appelait « le James Dean chinois ») offrant un jeu tout en nuances face à un Ti Lung plus physique et charismatique. D'ailleurs, Chang Cheh n'a cessé d'associer ses deux interprètes vedettes dans plus d'une dizaine de films, les faisant évoluer plus ou moins de la même manière, mais c'est dans La Rage du tigre (et aussi dans un autre opus, Vengeance, tourné en 1970) qu'ils constituent à la fois et l'alter-ego de l'un et le stimulant de l'autre. Et ce n'est pas l'élément féminin, Pao Chao, la fille de l'aubergiste (la mignonne Li Ching), complètant ce « trio amoureux » atypique, qui arrivera à tempérer les sentiments plus que fraternels qui unissent les deux héros. À ce sujet, la scène où David Chiang propose son bras valide à Ti Lung et la manche vide à Pao Chao n'en est que plus explicite !

Mais l'action n'est pas en reste, et lorsque le félon Ku Feng et sa clique de sbires seront de retour, nos deux héros devront dans un premier temps unir leurs forces, après une tentative de viol sur Pao Chao. Après un ultime coup du destin, David Chiang, devant respecter le code de l'honneur, abandonnera sa retraite et se lancera dans une ultime croisade vengeresse où il finira par retrouver son équilibre psychologique en reprenant la voie des armes et en lavant le sang versé (autre grand credo de Chang Cheh). Le dernier quart du film le verra alors se transformer en véritable ange de la mort, tout de blanc vétu (!), laissant derrière lui un sillage sanglant en affrontant à lui tout seul une centaine de combattants dans LA scène anthologique du franchissement du pont (devenu depuis le symbole des Studios de la Shaw Brothers), où rien ni personne ne lui résistera. La séquence, véritable point d'orgue du film, est digne de figurer aux côtés des climax paroxytiques de La Horde sauvage ou de Scarface, de Brian De Palma. Et s'il est vrai que la vraisemblance n'est pas tellement de mise dans des combats certes un peu répétitifs, et que le sang rouge vif coule de manière outrancière, à l'instar des films contemporains de Sam Peckinpah ou des chambaras japonais, ce côté jusqu'au-boutiste dans la violence et ultra chorégraphié dans la mise en scène des combats fait la force et le charme de La Rage du tigre, conçu en cela comme un véritable opéra. Et ici, pas d'animation par odinateur : le spectateur peut apprécier les véritables prouesses des acteurs-cascadeurs (aidés, il est vrai, par quelques cables) qui font toujours merveille.

Au-delà de la direction des scènes d'action et du jeu des acteurs, avec une mention spéciale pour les méchants (Ku Feng, excellent dans la déviance et le machiavélisme), grand est le plaisir de découvrir ou de redécouvrir La Rage du tigre avec sa photographie enfin ravivée par la restauration (ainsi que la musique), tous ses éléments contribuant à la réussite d'une œuvre qui demeure un classique indémodable du cinéma d'aventures. Il n'a d'ailleurs pas fini d'inspirer les auteurs actuels, de Tsui Hark à Quentin Tarantino, ce dernier lui offrant dernièrement avec Kill Bill : Volume 1 son plus vibrant hommage.

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