Critique : L'Équipier

Stéphane Argentin | 20 octobre 2004
Stéphane Argentin | 20 octobre 2004

Alors que le nouveau film de Jean-Pierre Jeunet, Un long dimanche de fiançailles, est sans doute l'évènement cinématographique le plus attendu de la fin d'année, non sans avoir fait couler pas mal d'encre auparavant (les 45 millions d'euros de budget ont été financés par des capitaux étrangers, alors que les 150 millions de dollars du Alexandre, d'Oliver Stone, l'ont été en grande partie par des capitaux français, allez comprendre !), un autre film, plus modeste dans son titre et dans sa production, pourrait bien créer la surprise : L'Équipier.

Sous ses allures de petit film de cambrousse (cf. synopsis) se cache en effet une histoire magnifique, aussi simple qu'intense, aussi émouvante que drôle, où s'entrecroisent plusieurs thèmes forts que vont raviver la venue de ce nouvel équipier dans le petit village / îlot breton de Ouessant. Une arrivée qui bousculera pour commencer pas mal de traditions locales, comme par exemple le passage de flambeau de père en fils, l'emploi de femmes uniquement dans certaines fonctions ouvrières… S'appuyant sur ces préceptes conservateurs pour mieux les remettre en question un peu plus tard, L'Équipier en profite pour dresser quantités de remparts sur le chemin déjà pas bien simple de l'apprentissage de ce nouveau venu.

L'acceptation finira bien sûr par aboutir, non sans mal, après nombre de petites piques verbales, aussi sèches qu'amusantes, aussi amères que vraies, et pour notre plus grand bonheur, tout en dépeignant au plus juste le portrait de cette famille, de ses proches et de sa profession. Car ne devient pas gardien de phare qui veut, comme le souligne toute l'âpreté de chaque relève : débarquement au pied du phare, montée des marches, tours de garde… Filmé dans de très réussis décors de studios pour les intérieurs (comment faire venir et tenir toute une équipe de tournage dans un lieu pareil ?), et au pied même dudit phare de La Jument, sur la véritable île de Ouessant, pour les extérieurs, c'est aussi la perte de certaines traditions que souligne L'Équipier. La vieille lampe à pétrole a aujourd'hui cédé sa place à un phare automatisé, tout comme l'avènement de nouvelles énergies avait condamné les mines de charbon dans l'est de la France (le remarquable premier film de Florent Emilio Siri, Une minute de silence).

Cette âpreté en même temps que cette promiscuité sont également soulignées dans les relations qu'entretiennent entre eux les membres de cette petite communauté de marins et gardiens de phare. À distance, par l'intermédiaire de la radio ou bien de jumelles, lorsque les hommes sont de relève, et dans une ambiance plus collective lorsqu'ils sont de retour sur la terre ferme. L'Équipier passe alors par les impondérables du « microruralisme » : village où tout le monde se connaît, avec son café, lieu de rencontres, de ragots et autres racontars, son petit bal du 14 Juillet, sans oublier les incontournables repas familiaux et/ou dominicaux à l'occasion d'un anniversaire, dont la festivité tournera court avec la révélation de certaines réalités historiques peu avouables (et qui risque de faire grincer bien des dents). Autant de scènes vécues et vivantes dont il aurait été bien dommage de se priver, surtout lorsqu'elles contribuent aussi brillamment à soutenir l'histoire principale.

Présenté sous la forme d'un récit littéraire autobiographique, tout comme le récent et très réussi N'oublie jamais, L'Équipier nous raconte l'histoire de cet « étranger » au lourd passé, venu trouvé ici un dépaysement en toute chose (boulot, lieu, gens…), et qui finira par (r)éveiller amitié, amour, jalousie ou encore animosité auprès des personnes qu'il sera amené à côtoyer. Quatre (res)sentiments à la fois complémentaires et opposés, indissociables les uns des autres, et qui confèrent au film cette merveilleuse sensation de proximité, surtout lorsque tous les éléments sont réunis pour y contribuer. À commencer par les acteurs. Bien qu'assez peu présente en comparaison du trio de comédiens de tête, Émilie Dequenne (Le Pacte des loups) fait briller sur le film une aura de légèreté avec son joli minois tout souriant qui contraste avec la gravité (plus ou moins prononcée) des autres personnages. Au départ, Philippe Torreton, coutumier des films de Bertrand Tavernier, campe en effet un personnage dur et bourru, qui va finir par se lier peu à peu d'amitié avec son nouvel équipier, interprété par Grégori Derangère, déjà militaire meurtri dans La Chambre des officiers. Et enfin, entre les deux, Sandrine Bonnaire, dans un délicat mélange de beauté et tristesse qui lui doit son surnom de « Cajou ».

Un mélange ambigu que le film n'a de cesse de tourner et retourner au gré des ressacs de la mer au pied du phare et de ses relèves, des discussions le long du symbolique chemin côtier, des empoignades de bal et de bien d'autres instants qui auraient pu prendre place en n'importe quel autre lieu et à n'importe quelle autre époque, mais qui se retrouvent figés là, dans ce livre. Un roman, récit d'une histoire de famille, mit en images avec la même justesse que la très discrète musique de Nicola Piovani, qui se contente de soutenir les moments forts sans verser dans les violons, comme le compositeur avait déjà si bien su le faire sur La Chambre du fils, de Nanni Moretti, ou bien sur La vie est belle, de Roberto Benigni, pour lequel il reçut un oscar.

C'est cela avant tout, ce film de Philippe Lioret : un travail d'équipe, une somme de petites choses toutes simples qui, savamment combinées, forment un grand film, proche de chacun. Et si L'Équipier ne dispose pas du faste d'Un long dimanche de fiançailles, il en conserve toute la grandeur. Reste que le long métrage de Jean-Pierre Jeunet pourrait bien être davantage un adversaire qu'un (co)équipier dans la prise d'assaut du box-office français de fin d'année – les deux films sortant à seulement une semaine d'intervalle. Ce qui serait bien regrettable, puisque tous deux combattent pour la même cause : un cinéma fort, intense et vrai. Alors, un petit conseil : courez voir les deux !

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