Universal Theory : critique au-delà des dimensions classiques
C'est à l'issue d'un parcours en festival remarquable et remarqué, de la Mostra de Venise au Grand Prix de l'Étrange Festival, qu'Universal Theory nous arrive en France en salles le 21 février 2024. Mené par Jan Bülow et Olivia Ross, le deuxième long-métrage de Timm Kröger, malgré ses partis pris radicaux (noir et blanc, narration vaporeuse), méritait un tel honneur. Ne serait-ce que pour sa capacité à nous transporter dans une autre dimension, pas très loin de la quatrième...
Donner sa langue au chat de Schrödinger
Sur un plateau télévisé, un auteur au visage maussade promeut son roman. À la stupéfaction du présentateur, il tente d'expliquer qu'il ne s'agit pas d'un récit inventé, quand bien même le thème de son histoire confine à la science-fiction. Malgré son look vintage, Universal Theory traite bien du multivers. Le sujet est à la mode dans la culture populaire, puisqu'il permet de jongler entre les références, des méga-franchises hollywoodiennes aux délires frénétiques de Everything Everywhere All At Once, impressionnant succès critique et populaire.
Au contraire, Timm Kröger et son co-scénariste Roderick Warich refusent d'adopter une esthétique colorée pour s'inspirer directement du concept scientifique original, mais aussi de son instigateur, Hugh Everett. Comme le héros, il a écrit une thèse sur le sujet, qui rentrait en contradiction avec un modèle déjà établi, l'interprétation de Copenhague. Comme le héros, il a vu ses travaux infuser la fiction plutôt que la recherche scientifique. Pourtant, ses idées ont été reconsidérées des années plus tard, en lien par exemple avec la célèbre expérience de pensée du chat de Schrödinger qui, elle aussi, contredisait l'interprétation de Copenhague et à laquelle le film semble emprunter le principe général.
N'importe quel vrai physicien à la lecture de cet article
En effet, les premières minutes ont beau jouer la carte du mystère de science-fiction, on se rend bien compte que quelque chose cloche. La narration sort peu à peu du carcan du genre. Johannes (parfait Jan Bülow) accompagne son directeur de thèse à une convention organisée en Suisse, à la montagne. Sur place, les phénomènes étranges se multiplient et le jeune étudiant fait la rencontre d'une femme, Karin, qui semble déjà tout savoir de lui (Olivia Ross, impressionnante de subtilité dans un rôle très trouble).
Au lieu de suivre le rythme confortable du récit à tiroir, grâce à des décors superbes, ainsi qu'à un noir et blanc hypnotisant, le long-métrage redouble d'étrangeté... embrassant l'ambivalence de son sujet au fur et à mesure des déambulations de Johannes. L'environnement hivernal, dont émanent ces étranges phénomènes, devient une boite à ciel ouvert, au sein de laquelle les gens, les choses et les évènements sont à la fois dans un état et dans un autre, parfois littéralement à la fois vivants et morts.
Avant même le joli climax, on se sait à califourchon entre les strates de réalité, dont la manifestation la plus explicite est cette idylle amoureuse avec Karin, laquelle n'est pas synchronisée avec la temporalité de Johannes.
Science/fiction
Universal Theory imagine un microcosme entre les dimensions, au sens scientifique et philosophique du terme, cultivant tout au long de ses presque deux heures une impression de décalage troublante. Une singularité aux antipodes du cinéma grand public qui s'est approprié le concept de multivers (c'est presque l'équivalent de ce que Primer faisait avec le voyage dans le temps), mais qui cumule paradoxalement les références au 7e art, en particulier de celui des années 60, décennie où se déroule l'intrigue.
Le pitch et certains tics (le climax, la voix off) font forcément penser à un épisode de La Quatrième Dimension, série dont l'aura magnétique tient beaucoup à son fil rouge, lequel est justement censé exister entre les différentes réalités. Mais le réalisateur cite également, entre autres, Lynch, Capra et Hitchcock, soit tout un panel d'esthètes réunis eux aussi dans cette station perdue au coeur de la montagne, accompagné d'une musique toute droit sortie de la même période. Cet ancrage culturel, mine de rien assez radical (peu de films vont aussi loin dans l'hommage), est tout sauf cosmétique.
Non seulement l'époque choisie n'est pas anodine (outre la correspondance avec la vie de Hugh Everett, la décennie est elle aussi à cheval entre deux dimensions pour les Allemands, à quelques années de l'éradication du nazisme), mais Johannes est lui-même simultanément dans deux états : celui de scientifique et celui de démiurge.
Non reconnu par ses pairs, garants d'une science ne laissant guère place à l'imagination, il sera finalement réduit à la fiction et relégué aux vulgaires plateaux télévisés des années 1970. C'est uniquement au sein des montagnes suisses qu'il a pu expérimenter la zone indéfinie entre science dure et fantasmagorie pure, entre science et fiction, étrange espace des possibles dont Universal Theory tache finalement de faire l'éloge.
"On fera de vous un docteur", certifie le vieux scientifique joué par Hanns Zischler. Finalement, Johannes fera à contrecœur de ses expériences un roman, comme s'il avait dû choisir entre la rigidité scientifique et les libertés de la fiction. Universal Theory tente au contraire de se caler entre les deux, faisant de son spectateur le véritable chat de Schrödinger.
Lecteurs
(3.3)07/03/2024 à 20:26
Heu, ça fait vraiment cliché si je dis que le rythme du film est très suisse, je suppose ? (^_^')
29/02/2024 à 15:11
Concept et ambiance de base au top, mais qui tient pas ses promesses d'excellence et vire au très mou. Dommage, parce que tout y était pour en faire un excellent film.
27/02/2024 à 08:41
Ça a l'air très prometteur effectivement.
L'affiche est superbe aussi
26/02/2024 à 12:28
Très bon film, j'ai été happé du début à la fin !
Et que dire du casting (Olivia Ross, vraiment prometteuse).
À ne pas manquer.
25/02/2024 à 22:29
J'ai aimé ma séance. L'ambiance si particulière du film m'a conquis, et, à froid, je crois que j'apprécie encore plus.
20/02/2024 à 23:43
Un film pas désagréable mais qui ne décolle jamais vraiment. Le film reste trop dans la citation de ses ainées, tout laisse une impression de déjà-vu, que ça soit dans l'intrigue, le visuel et surtout la musique, omniprésente.
20/02/2024 à 13:13
Encore un film que vous détestez !
16/02/2024 à 22:03
petite coquille sur la date :
nous arrive en France en salles le 21 février 2023