Sans jamais nous connaître : critique d'un vrai SOS Fantômes

Geoffrey Crété | 17 février 2024
Geoffrey Crété | 17 février 2024

Sans jamais nous connaître (All of Us Strangers), c'est une histoire d'amours et de fantômes, où Andrew Scott navigue entre passé et présent aux côtés de Paul Mescal, Claire Foy et Jamie Bell. C'est le nouveau film d'Andrew Haigh (Week-end, 45 ans), adapté du livre de Taichi Yamada. C'est sorti au cinéma le 14 février et c'est incontournable, parce que c'est magnifique.

A GAY GHOST STORY

Imaginez un instant : vous retournez dans votre maison d'enfance et vous retombez sur vos parents, bloqués dans le passé avec leurs fringues des 70-80, comme si de rien n'était. Pour beaucoup de monde, ce serait une farce et un cauchemar. Mais pour Adam, c'est un rêve, et même un pur miracle puisque ses parents sont morts lorsqu'il était enfant.

 

 

Cette idée magique vient au départ du livre Présences d'un été de Taichi Yamada, mais le réalisateur et scénariste Andrew Haigh l'a amenée plus loin encore. Le Japonais divorcé du livre devient un Anglais gay, en écho à son film Week-end et la série Looking (dont il a réalisé la majorité des épisodes, en plus du téléfilm de conclusion). Ce n'est donc pas une femme, mais un homme qui vient frapper à sa porte, avec la belle gueule de Paul Mescal pour rajouter une touche de magie.

L'immense vide du monde, qui prend la forme d'un immeuble désert au milieu d'une métropole bondée, prend une tout autre ampleur, mais le sujet reste le même : la solitude. Passé et présent, vivant et mort, tout se mélange dans un tourbillon, jusqu'à créer une douce tornade d'émotion. Parce que Sans jamais nous connaître est tout simplement magnifique.

 

Sans jamais nous connaître : photo, Andrew ScottEntre Fleabag et ce film, qui peut résister à Andrew Scott ?

 

coordinateur d'intimité

Il y a une scène a priori très banale dans Sans jamais nous connaître où Andrew Scott fond en larmes face à son père, incarné dans cette bulle hors du temps par Jamie Bell. Le paternel ressuscité dit qu'il est désolé et le fils blessé répond. C'est un moment simple qui aurait pu le rester, sauf que l'acteur de Fleabag et Sherlock s'effondre brutalement en une seconde, incapable de retenir ses émotions et encore plus de les afficher.

Dans les bons films, bien écrits et bien joués, les gens pleurent comme dans la vraie vie : en essayant de se cacher, par peur et par pudeur. Ce n'est qu'un détail, mais c'est précisément dans la somme de ces petites choses que Sans jamais nous connaître puise sa force. Dans les regards et dans les silences, dans les sourires contrits ou les rires forcés, dans les minuscules gestes ou dans les immenses déclarations.

 

Sans jamais nous connaître : photoTrouve quelqu'un qui te regarde comme ça

 

Car les coups de baguette magique à travers le temps ne servent au fond qu'à raconter une chose essentielle : le besoin d'intimité, qu'elle soit sentimentale, sexuelle ou familiale. C'est la seule vraie magie à l'œuvre et Andrew Haigh parvient à la créer et la filmer dans une suite de moments en suspens, où le héros se connecte à son père, sa mère et son amant – et finalement, à lui-même.

Entre un premier baiser où les mains s'égarent sur les cuisses et les dos, et un moment post-sexe où il montre le relâchement des corps avec la même frontalité que dans Week-end, il filme l'électricité de la chair avec une sensibilité hors du commun. Et lorsqu'il casse le duo des parents pour faire exister le père et la mère comme des individus à part entière, c'est pour des échanges terribles et déchirants, qui laissent entrevoir comment chacun se débat avec soi-même.

À l'affût des petits décrochages dans les yeux, les postures et les sourires, Andrew Haigh scrute les visages de ses acteurs et son actrice, dirigés à la perfection. Paul Mescal incarne à merveille toute la beauté de cet animal blessé dont le sourire cache des hurlements. Claire Foy glace le sang en une scène et quelques silences lourds de sens. Même Jamie Bell, plus en retrait, a droit à plusieurs moments de grâce. Mais c'est surtout Andrew Scott qui en ressort immense, prouvant qu'il est un très grand acteur, d'une justesse absolument dévastatrice.

 

Sans jamais nous connaître : photoCette scène

 

dream scenario

Sans jamais nous connaître sera sûrement comparé à l'équation très simple et déjà très belle de Week-end (deux hommes seuls, un appartement dans un grand immeuble). Mais ce serait passer à côté de la richesse du scénario signé Andrew Haigh, qui recèle de nombreux trésors voués à être déterrés longtemps après le générique de fin.

Ce n'est pas un hasard si Adam écrit des scénarios pour vivre, et qu'il semble lui-même se perdre dans un récit de cinéma, dans une maison d'enfance qui reprend vie comme un décor de film. Il s'agit de (se) raconter des histoires pour combler les vides, et flirter avec les limites de cet imaginaire merveilleux, mais mortifère. Sachant que le réalisateur a utilisé sa véritable maison d'enfance, le vertige est encore plus grand.

C'est d'autant plus beau que le film se déroule dans un monde presque dépeuplé, dans l'immeuble, mais aussi dans les rues, comme si l'univers entier était une page blanche qui n'attendait que les "Et si...?" d'Adam. Hormis quelques scènes en extérieur et surtout le passage dans un club, rien n’existe en dehors de lui, presque littéralement.

 

Sans jamais nous connaître : photoSi juvasbien c'est ketamine

 

sixième sens du timing

Sans jamais nous connaître parle enfin d'une autre chose terrible car terriblement banale : les problèmes de timing. Il suffit de laisser des gens franchir une porte pour ouvrir ou fermer tout un monde de possibilités, sans s'en rendre compte. Alors que la rencontre avec son voisin marque le potentiel premier pas pour rejoindre le monde des vivants, Adam doit faire la paix avec celui des morts. Et en tant que narrateur démiurge, mais finalement victime de lui-même, il vole ce temps passé avec ses parents pour s'offrir une réparation impossible.

La question n'est évidemment pas de savoir pourquoi ni comment c'est possible. Pour Andrew Haigh, les fantômes sont là, d'une manière ou d'une autre, comme en témoigne la bouleversante scène du restaurant. La frontière entre illusion et désillusion est mince, et le récit marche tel un funambule sur ce fil invisible.

 

Sans jamais nous connaître : photo, Paul MescalFrankie Goes to Bed

 

Sans jamais nous connaître s'accroche à cette magie dévastatrice, jusqu'au décollage final. Le dernier plan fait écho à Mysterious Skin, un autre chef-d'oeuvre sur la solitude (à deux), et sur le réflexe de survie de se raconter des histoires. Sauf que la caméra s'envole encore plus haut et plus loin, et il y a finalement quelques lueurs dans le néant. Il y a la voix de Frankie Goes to Hollywood qui chante The Power of Love, mais il y a surtout la sensation d'avoir vu un immense film sur ces petites douleurs impossibles à soigner. Mais évidemment qu'il faut essayer, coûte que coûte.

 

Sans jamais nous connaître : Affiche officielle

Résumé

Un grand film sur les petites solitudes et comment on comble les vides avec des histoires. Paul Mescal est renversant et Andrew Scott absolument bouleversant.

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Lecteurs

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commentaires
Real
05/03/2024 à 20:02

La fin du film m'a trotté en tête après la séance. Finalement, je crois que le personnage de Scott est condamné à vivre sa vie auprès de fantômes qu'il est seul à voir. En s'effaçant, ses parents passent le témoin au spectre du personnage de Pascal. Le personnage principal est un inconsolable condamné à une sorte de solitude, tjrs tiré du cote de la mort, et jamais de la vie. C'est la description terrible d'une ultra-moderne-solitude, tellement contemporaine. Plus que triste à l'arrivée.

Chompchomp
28/02/2024 à 11:22

Je l'ai trouvé un peu trop larmoyant à mon goût.
Mais oui les acteurs sont immenses (Andrew Scott est d'une finesse), la mise en scène est top et la photographie somptueux. Ça m'a donné envie d'être amoureux, père de famille et de retourner vivre près des miens.

Eleane
26/02/2024 à 18:03

Un magnifique film sur la nostalgie, la solitude, l'amour, comment se réparer pour mieux vivre après .. Ce film est une puissance infinie, et la scène du restaurant m'a achevée ..
La fin m'a laissée un peu perplexe à la sortir du film, mais pour moi et S P O I L E R


Pour moi Andrew est mort également

Écran Barge
25/02/2024 à 19:24

Mélancolique et triste mais pourtant film trop gai à mon goût.

onlylove
21/02/2024 à 09:08

J'ai une question, le film prêtant à interprétation quant à sa fin, mais attention, SPOILER, passez vite au com' suivant si vous ne l'avez vu...






Adam est-il lui aussi mort ? Cela expliquerait bien des choses, notamment qu'il puisse voir ses parents et Harry.

Pierre Oh
20/02/2024 à 21:16

Je suis un peu partagé sur ce film, je trouve qu'il a un côté beaucoup trop mélo et appuie parfois bien trop ses effets alors qu'il réussit pourtant régulièrement à viser juste et en plein cœur et n'avait pas besoin de cela pour émouvoir. Reste qu'il est hyper bien interprété, se niche au cœur d'une atmosphère envoutante, et nous gratifie de plusieurs scènes magnifiques. Alors j'arrive à passer outre mon principal reproche.

djidjin
20/02/2024 à 19:55

Ça vaut Poltergay ?

Kepsmag.fr
20/02/2024 à 08:15

Magnifique film, l'interprétation et les images sont vraiment merveilleuses.

Un peu beaucoup mélo et pathos mais ça conte si bien la solitude et la mélancolie que c'est vite accepté.
Le bad trip sous kétamine est terrifiant, très réussis.
Les ficelles sont un peu grosses, le final attendu mais le film touche en plein coeur malgré tout.

SebSeb
19/02/2024 à 13:48

+1 ! Attention il n'est pas représentatif, les Seb sont cools, pas débiles :p

Seb1109
19/02/2024 à 01:07

Heureusement que le fait d'avoir le même prénom que l'idiot précédent n'est pas contagieux.
Ce film est peut-être centré sur un personnage gay, il parle avant tout de la solitude, de la mélancolie, des choses qui n'ont pas été dites avant qu'il ne soit trop tard. J'ai trouvé le film très bons sur ses liens familiaux. Je n'ai pas aimé certaines idées, notamment les moments où il hallucine totalement. Je n'ai pas aimé qu'on parle de drogue juste et uniquement juste que j'en ai marre qu'un film avec des personnages gays centraux font forcément allusion à la drogue. Surtout que là ce n'est pas justifié. A croire qu'on est tous camés. Mais en tout cas mon coup de cœur de l'année en ce qui concerne le jeux des acteurs.

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