Tout sauf toi : critique qui fait beaucoup de bruit pour... pas grand-chose

Antoine Desrues | 23 janvier 2024
Antoine Desrues | 23 janvier 2024

La comédie romantique va-t-elle vraiment mal ? Face à la (petite) hype née outre-Atlantique pour Tout sauf toi, il semblerait que la raréfaction du genre dans les salles de cinéma amène à se précipiter sur la première proposition venue. À moins que la rom-com de Will Gluck (Easy Girl, Sexe entre amis) ne se soit stratégiquement reposée sur sa communication. On ne doute pas du sex appeal de Glen Powell et Sydney Sweeney, mais le charme du long-métrage semble avoir été dépendant des rumeurs de tabloïds à leur égard pendant sa promotion. Sauf que paradoxalement, c’est bien leur alchimie à l’écran qui pose question.

Shakespeare in Love

Pour toute fleur bleue qui se respecte (à l’instar de l’auteur de ces lignes), il y a deux manières de percevoir Tout sauf toi. D’abord, il y a l’enthousiasme de voir Sony/Columbia porter à bout de bras une rom-com sur grand écran, alors même que le genre a semblé perdre toute forme d’ambition sur l’autel des téléfilms de luxe aujourd'hui réservés au streaming. Comme dans Easy Girl, qui s’inspirait de La Lettre écarlate pour questionner les codes sociaux de lycéens en crises d’hormones, Will Gluck choisit cette fois-ci de faire une adaptation libre de Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare.

La caution “classique littéraire” est sans doute plus forcée (quelques répliques peintes sur un mur ou tracées dans le sable ne suffisent pas), mais elle s’amuse de sa méthode éprouvée : deux personnes qui se détestent font semblant de s’aimer avant d’assumer la vérité de leurs sentiments. On a déjà vu ça mille fois, de Vous avez un message aux adaptations de Jane Austen, et Tout sauf toi en a bien conscience, arborant cette dimension désuète comme un énième doudou nostalgique qui, pour une fois, n’est pas sans faire mouche à certains instants.

 

Tout sauf toi : photo, Glen Powell, Sydney SweeneySydney à Sydney

 

Et puis, il y a le revers de la médaille, à savoir le programme cynique qui découle de cette démarche. Bien sûr, la comédie romantique a toujours été très quadrillée, mais Tout sauf toi donne la désagréable sensation que chacun de ses choix relève d’un brainstorming marketing, de son casting de jeunes premiers identifiés (Glen Powell avec Top Gun : Maverick, Sydney Sweeney avec Euphoria) à sa narration algorithmique.

Exemple à l’appui : Ben (Powell donc) compense son vertige en avion par l’écoute d'Unwritten de Natasha Bedingfield. Le film pourrait se contenter du décalage de la situation (le mec viril face au plaisir coupable d’une chanson pop ringarde), alors qu’en réalité, il n’attend que de poser sa carte maîtresse. Pour le générique de fin, le titre redébarque lors d'une session de karaoké géant des comédiens, visiblement tournée entre les prises des différentes scènes. Sans surprise, cette stratégie s’est transformée en phénomène sur Tiktok, au point même de donner un coup de boost au box-office américain du film.

C’est d’autant plus agaçant que cet opportunisme éclipse les touches de modernité vraiment bienvenues du récit, à commencer par son élément déclencheur (un mariage gay traité avec une normalité et une tendresse encore trop rares). Mais pour le reste, Tout sauf toi recycle des clichés vus et revus et se planque autant derrière la nostalgie du genre que derrière les générations de personnages qui s’opposent à l’image pour le justifier.

 

Tout sauf toi : Photo Glen Powell, Sydney SweeneyCertains l'aiment chaud

 

Rom-Commentée

Et au fond, ce paradoxe ne peut que tirailler. Lorsqu’il assume un romantisme kitsch “à l’ancienne” (la scène d’introduction est pour le coup très efficace), le film se révèle plutôt plaisant. Malheureusement, ce retour au bon vieux “c’était mieux avant” ne cherche pas le contraste par un renouveau de la mise en scène. Au-delà d’un comique visuel bien maigre par rapport à Easy Girl, Will Gluck ne s’interroge jamais sur sa manière de filmer le désir.

Pourtant, au travers de l’attraction-répulsion des deux personnages, c’est bien là qu'une telle rom-com était attendue. Malgré ses quelques moments de nudité qui lui ont valu un classement R aux États-Unis, Tout sauf toi n’est jamais vraiment charnel ou érotique. Il filme juste avec la même insistance les abdos de Glen Powell et le décolleté de Sydney Sweeney. Des bouts de viande glamours, mais des bouts de viande tout de même.

 

Tout sauf toi : Glen Powell, Sydney SweeneyQuelle belle table !

 

Leur regard n’est que très rarement pris en considération, et reflète le manque d’incarnation d’une réalisation lisse, presque plastifiée derrière ses corps de rêve et la villa australienne fantasmatique qui lui sert de décor principal. Forcément, la sympathie que l’on a pour le duo s’en retrouve impactée, au même titre que leur alchimie à l’écran.

Au milieu de ping-pongs verbaux parfois inspirés, le film se cherche un tempo qui met rarement le talent comique de Powell et Sweeney en valeur. L’ensemble est de toute façon peu aidé par une narration qui retient ses coups, alors même que ses set-up/pay-off sous exploités reposent régulièrement sur des traits de caractère constitutifs de ses deux héros.

 

Tout sauf toi : Photo Glen Powell, Sydney SweeneyL'état de la comédie romantique au cinéma

 

Or, c’est bien ce type de mécanique qui satisfait le plus dans une rom-com bien huilée. Si Tout sauf toi marque des points en cochant certaines cases attendues, il passe souvent à côté de son ambition première de “petit guide renouvelé” de la comédie romantique. Résultat, son duo central devient moins attendrissant qu’insupportable, surtout lorsque leur égoïsme pourrit la fête pour les autres.

Glen Powell et Sydney Sweeney sauvent tout de même les meubles à maintes reprises, comme si leur charme naturel (bien qu’individuel) résistait à la fabrication hasardeuse de ce rendez-vous manqué. Après tout, face à une telle espèce en voie d’extinction, on a envie de voir Tout sauf toi en tant que verre à moitié plein. On se souviendra juste que dans le domaine de la rom-com crue, Sony avait frappé plus fort avec Le Challenge. C’était tout aussi perfectible, mais Jennifer Lawrence savait mieux porter la spontanéité et l’authenticité nécessaires à ce type de projet.

 

Tout sauf toi : affiche française

Résumé

En tant que rom-com, Tout sauf toi réjouit lorsqu’il assume les codes désuets d’un genre délaissé. Dommage qu'il n’aille pas au bout de sa démarche et qu’il se laisse parasiter par des considérations plus cyniques.

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Lecteurs

(2.5)

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commentaires
Max60
21/02/2024 à 20:14

Un des pires films que j’ai vu.. aucune profondeur, aucune morale, humour à 2 balles ( bon après les spectateurs dans la salle étaient pliés de rire pour une paire de fesse nu…) bref juste des acteurs beaux et un décor de rêve.. Un film que je conseillerai à des collégiens à la limite.. et encore.

Niko
06/02/2024 à 22:09

Il y en a assez des rabat-joies pseudo intellectuels. J’ai accompagné ma femme voire ce film en amoureux. Ce n’est pas mon style de film mais j’ai passé un bon moment qui m’a fait oublié les tracasseries du quotidien. N’est ce pas la le rôle du cinéma ??? Et pour ceux qui rabaisse ce film aux plateformes de streaming, je doute qu’ils soient abonnés : pas assez de films ou séries entraînant une vraie réflexion sur notre nature humaine et générant une dépression monumentale dans laquelle ils se complaisent. Vive le ciné léger, ras le bol du cinéma d’intellectuels qui n’intéresse qu’une poignée de spectateurs qui d’ailleurs critiquent sans même se déplacer dans les salles obscures.

Juliewowo87
28/01/2024 à 01:55

Je suis allée le voir ce soir. Dans l'ensemble, je l'ai trouvé assez plaisant et je ne me suis pas du tout ennuyée. Mais je suis assez d'accord avec cette critique d'Écran large (sauf sur le couple de lesbiennes que j'ai trouvé hyper cliché pour le coup). Le film se veut subversif mais il est trop balisé, c'est dommage. Sur l'absence de désir dans les regards ou attitudes des deux héros, je suis totalement d'accord avec Écran large, ça manque de frôlements, de yeux qui caressent etc... Les scènes de nudité sont assez vulgaires (une scène comique dans l'avion également) et n'apportent strictement rien. Il y a un peu trop de personnages secondaires, ce qui fait que ça limite leur potentiel comique (très contente de revoir Bryan Brown par contre). Sur la réalisation, ça ne m'a pas dérangée jusqu'à une scène vers la fin où je n'ai pas compris pourquoi la caméra restait fixer la fille en gros plan plutôt que de faire un plan large. Ça m'a énervée parce que ça a gâché toute la scène, c'était vraiment idiot de filmer de cette façon.
Pour la chanson du film, je ne la connaissais pas du tout, je l'ai trouvée aussi banale que celles qu'on entend aujourd'hui. Je n'aurais jamais pensé qu'elle datait de quelques années, je l'ai déjà oubliée. D'ailleurs, la bande-son est ratée, il n'y a rien d'original, on est loin de Dirty Dancing.
Bref, quelques déceptions mais si vous aimez les comédies romantiques, vous trouverez votre bonheur avec ce film plutôt sympathique.

dahomey
24/01/2024 à 14:47

J'aime le commentaire de Miss M.....c'est tellement vrai même si tout n'est pas que mauvais au cinéma bien sûr . On assiste à une répartition des cartes d'un nouveau genre en masse quand même...

Miss M
24/01/2024 à 12:19

Donc... Ferrari de Mann direct sur Amazon Prime et cette chose inutile en salle de cinoche...
Okay.....

Morcar
24/01/2024 à 10:09

Pourtant amateur aussi de comédies romantiques (j'aime tous les genres de cinéma), la bande-annonce de ce film ne m'a aucunement donné envie d'aller voir ça en salles. Sur une plateforme, je l'aurais regardé sans souci, au cinéma, je ne payerai pas.

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