Iron Claw : critique du WrestleManiaque de Zac Efron

Déborah Lechner | 24 janvier 2024 - MAJ : 24/01/2024 11:20
Déborah Lechner | 24 janvier 2024 - MAJ : 24/01/2024 11:20

Après le film Cassandro réalisé par Roger Ross Williams et librement inspiré de la vie du luchador Saul Armendáriz, c'est au tour d'un autre cinéaste de monter sur le ring avec Iron Claw, cette fois inspiré par la tristement célèbre famille Von Erich. Mais plus qu'une plongée dans le monde haut en couleur du catch des années 80, ce nouveau long-métrage est surtout une autre occasion pour Sean Durkin d'explorer les thématiques de l'emprise et du traumatisme, qui s'imposent comme d'épais fils rouges dans sa filmographie. Le résultat est aussi pathétique que saisissant, à l'instar des performances de Zac EfronJeremy Allen WhiteHarris DickinsonStanley Simons et Holt McCallany

ATTENTION : SPOILERS !

AU NOM DU PèRE...

Iron Claw a beau s'ouvrir sur un match de catch, cette discipline sportive si particulière (et fascinante) n'est que la toile de fond du film de Sean Durkin, et non son principal sujet d'étude. Dans cette première démonstration de force en noir et blanc, seul compte ce plan rapproché et insistant sur l'Iron Claw ("la griffe de fer"), c'est-à-dire la prise de soumission de Fritz Von Erich, à qui Holt McCallany prête ses traits carrés et son regard sévère.

Ce geste signature, qui consiste à humilier et vaincre les adversaires en leur comprimant le visage d'une seule main, est grandement simulé et exalté sur le ring, se voulant plus impressionnant que crédible. À l'inverse, la domination et la mainmise de cet homme sur les siens n'ont plus rien d'artificiel ou divertissant en dehors des cordes.

 

Iron Claw : photo, Holt McCallanyMême avec des gants, l'Iron Claw est dévastatrice

 

C'est l'idée centrale qu'on saisit dès le flashback d'ouverture où Fritz impose un plan de vie à ses deux têtes blondes, dans le but égoïste d'asseoir un nom qui ironiquement n'est même pas le sien. Et c'est précisément cette poigne tyrannique sur sa famille (qu'il considère plus comme un roster qu'une fratrie) qu'a voulu sonder le cinéaste, lui qui avait déjà ausculté les mécanismes d'emprise et d'aliénation dans The Nest (au travers du couple) et Martha Marcy May Marlene (par le biais des sectes).

Ainsi, le scénario dissipe d'emblée les possibles mystères ou zones d'ombre autour de la fameuse "malédiction" des Von Erich, qui ne résulte pas d'un triste concours de circonstances, mais bien de l'obsession étouffante de son patriarche, de la recherche de gloire par procuration de ce "mur", comme le décrit sa belle-fille. 

 

Iron Claw : photoLa photo rétro sublime de Mátyás Erdély

 

De fait, l'aspect très programmatique de l'intrigue qu'on pouvait craindre devient la principale force de la narration. À l'instar de Fritz, le récit conditionne patiemment le délitement du clan et sa descente aux enfers, jouant sur notre anticipation de plus en plus insoutenable des malheurs qui s'enchaînent à toute allure dans la seconde moitié du film, à l'image d'une terrible prophétie qui se concrétiserait.

L'histoire n'a donc rien de surprenant étant donné ses prémisses désastreuses. Tout ou presque y est prévisible, et c'est bien ça qui la rend aussi âpre et douloureuse à suivre. 

 

Iron Claw : photoNon, ce n'est pas une belle célébration en famille

... DES FILS

Le scénario s'articule autour de Kevin, un protagoniste tout trouvé étant donné qu'il est le seul à avoir survécu à son père. Celui qui est devenu l'aîné par défaut est aussi le plus paumé, le moins mature et donc le plus malléable. II est l'anti-héros par excellence, une montagne de muscles atrophiée devant laquelle on a du mal à réprimer un sourire moqueur.

Il n'a pas de grand talent pour le catch et est benêt sur les bords, sa coupe mi-bol mi-mulet ne l'aidant pas à paraître fringant. Avec ses airs de bête blessée et sa souffrance intériorisée qui déborde maladroitement par instant, Zac Efron tient cependant une de ses meilleures performances, si ce n'est la meilleure

 

Iron Claw : photo, Zac EfronThe Main Event

 

De plus, le fait qu'il évolue dans le catch, un milieu où les clés de la réussite sont abstraites et les victoires arbitraires, souligne davantage son impuissance et son détachement vis-à-vis de sa vie et de sa carrière. Le récit reste flou concernant les discussions et négociations des matchs des Von Erich. Une grande partie se déroule hors champ et tout se décide en une phrase, presque dans le dos des concernés, ce qui renforce l'ascendant de Fritz sur ses enfants.

Ce choix narratif s'accompagne d'une mise en scène affutée, avec des compositions de plans aussi expressives qu'esthétiques. C'est par exemple le cas de l'après-match de Kevin contre Ric Flair dans les vestiaires qui consiste en un plan fixe où chaque reflet, absence dans le cadre ou amorce trouve une signification clé.

  

The Iron Claw : photo, Zac EfronLe revers de la ceinture

... ET DES SAINS ESPRITS

Comme dans de nombreux cas d'emprise psychologique, Fritz est toutefois une menace sourde pour sa famille, sa responsabilité dans la mort et le mal-être de ses fils n'étant une évidence que pour le public, qui n'est pas soumis à son influence. On le voit ainsi rendre amer tout ce qui devrait être doux, endurcir ce qu'il y a de plus inoffensif et euthanasier chaque tranche de vie familiale, comme pendant cette partie de football américain qui collerait à tous les clichés de la famille américaine parfaite si le père n'en profitait pas pour rabaisser sa progéniture. 

Le plus beau et triste à la fois, c'est que ces quatre frères classés par ordre de préférence et poussés à la rivalité restent miraculeusement unis et aimants. Ils s'écoutent, règlent leurs différends quand ils en ont, s'admirent et prennent soin les uns des autres, malgré leur soif de reconnaissance paternelle. Mais comme un serpent qui se mord la queue, c'est aussi parce qu'ils ont été des parents de substitution les uns pour les autres que la perte d'un d'eux va fatalement entrainer celle des autres. 

 

The Iron Claw : photoFatal 4-Way

 

C'est donc l'émancipation et l'épanouissement de Kevin qui est en jeu durant tout le film, sa sortie du déni et du schéma viriliste mortifère de l'époque, dans lequel la sensibilité et les failles émotionnelles des hommes sont sans cesse réprouvées. La fin ouvre ainsi à fond les vannes, plonge dans un pathos tire-larme intentionnel, loin de la pudeur et retenue de départ. La séquence est donc exagérément mélancolique et sentimentale, ce qu'on peut trouver ridicule, mais aussi parfaitement à propos.

Cette prise de conscience et cette libération cathartique concernent également sa mère, jouée par Maura Tierney, une femme dévote et effacée qui soigne les apparences plus que ses états d'âme. Mais elle finit par revenir symboliquement dans le cadre, à l'issue d'un autre jeu de hors-champ qui, comme le reste du long-métrage, transpire la maîtrise et surtout le cinéma.

Entre La Zone d'Intérêt, Les Chambres rougesScrapper et maintenant Iron Claw, l'année 2024 vient à peine de commencer, mais elle est déjà très riche en découvertes.

 

Iron Claw : Affiche officielle

Résumé

Iron Claw évite les écueils du biopic en présentant son histoire comme une prophétie, une tragédie annoncée et patiemment orchestrée, tout en subjuguant par sa mise en scène très expressive et les nombreuses nuances de ses personnages meurtris. 

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Lecteurs

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commentaires
Sands
22/02/2024 à 10:44

Impossible de le voir , il n'est diffusé nul part chez moi !

Lenko
29/01/2024 à 12:48

Le film est très bon, heles très peu de salle

souleater34
25/01/2024 à 10:52

Excellente critique qui donne envie!
Par contre, parler de "musculature atrophiée" pour un mec bodybuildé est inadapté, le terme exact étant "hypertrophiée"...

Kyle Reese
24/01/2024 à 20:15

Pas fan du catch mais beaucoup aimé The Wresler. La BA donne envie tout comme cette belle critique. Zac Effron cherche à sortir de son image de simple beau gosse et y arrive enfin, ça fait plaisir.

Prisonnier
24/01/2024 à 18:35

Content pour Efron, que je trouve être un bon acteur. Il est de la trempe des Pattinson,, Stewart, Radcliffe... Ils ont "subit" une carrière très tôt dans des franchises ado et ont su montrer une autre palette.

Hank Hulé
24/01/2024 à 17:11

j'y go !

Alice
24/01/2024 à 15:03

bien une chose qui est très impressionnant dans ce film, est la transformation physique de Jeremy Allen White, de Shameless à ce film.

au passant, encore une fois, toujours un Superstar (Efron) qui fait abaisser un autre bon acteur (White).

Loreas
24/01/2024 à 14:31

Votre critique confirme les bons à prioris que j'ai eu en voyant la bande annonce, je vais définitivement aller voir ça.

Clay
24/01/2024 à 14:08

Super critique.

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