Scrapper : critique d'un Matilda réaliste

Judith Beauvallet | 8 janvier 2024 - MAJ : 08/01/2024 12:33
Judith Beauvallet | 8 janvier 2024 - MAJ : 08/01/2024 12:33

Remarquée en 2016 pour son court-métrage Standby, la réalisatrice anglaise Charlotte Regan fait désormais ses débuts dans le long-métrage avec Scrapper, un drame particulièrement touchant. L’héroïne de l’histoire est Georgie, une orpheline de banlieue qui se débrouille pour vivre seule à la barbe et au nez des services sociaux depuis le décès de sa mère, jusqu’au jour où son père, qu’elle n’a jamais connu, refait surface. Porté par un formidable casting, la jeune Lola Campbell dans le rôle de Georgie et Harris Dickinson (acteur principal de la Palme d’Or 2022, Sans filtre) dans le rôle de son père, ce bijou situé au croisement du cinéma social britannique et d’un vent frais de modernité émeut autant qu’il réjouit.

PLUS VRAI QUE NATURE

La tradition du réalisme social britannique a encore de beaux jours devant elle. Héritier de films comme Billy Elliot sorti en 2000 ou Le Géant Egoïste sorti en 2013, Scrapper continue de s’intéresser au sort des enfants délaissés par une société qui les ignore. Pourtant, aucun misérabilisme dans cette histoire qui pourrait, à peu de choses près, basculer dans le tire-larmes.

Car il ne s’agit surtout pas, pour Charlotte Regan, de porter un regard condescendant sur Georgie, si jeune et malmenée par la vie soit-elle. Au contraire : le point de vue de la petite fille est habilement retranscrit, avec la légèreté, l’humour, ou parfois la colère que cela suppose.

 

Scrapper : photo, Lola CampbellLola Campbell dans son premier rôle

 

Haute en couleurs, Georgie est un bel exemple d’écriture de personnage réussie : loin des gamins idéaux et robotiques de certaines productions plus lisses à l’hollywoodienne, cette petite fille n’est ni une angélique tête blonde aux grands yeux humides ni une caricature de cancre capricieuse. Pleine de contradictions et forte d’un caractère bien trempé, la moindre de ses répliques fait mouche pour attendrir, désarçonner ou amuser le spectateur qui se retrouve immédiatement embarqué par la vraisemblance de cette héroïne de la vraie vie.

Cette réussite tient aussi en grande partie à l’interprétation sans fausses notes de Lola Campbell, qui impressionne déjà par son charisme et sa justesse. À ses côtés, Harris Dickinson incarne avec autant de talent ce père déserteur mais repenti, qui tente de bien faire mais qui se sait terriblement faillible. À noter aussi : Alin Uzun qui interprète Ali, le meilleur ami de Georgie, avec un naturel déconcertant. Bref, si Scrapper est bourré de qualités sur lesquelles cette critique va s’empresser de revenir, sa plus grande force réside sans aucun doute dans sa petite galerie de personnages dont la puissance réside autant dans l’écriture que dans le jeu d'acteur.

 

Scrapper : photo, Lola Campbell, Alin UzunLa petite banlieue dans la prairie

 

un deuil en couleurs

Et heureusement que le film a de tels atouts dans sa manche, parce qu’au vu de son scénario, le risque de se complaire dans la larme facile était réel. Quelques rares scènes n’échappent d’ailleurs pas à des leviers un peu trop artificiels et cousus de fil blanc pour appuyer l’émotion (comme la séquence où Georgie écoute sur répondeur un message laissé par sa défunte mère). Mais à part ces minuscules maladresses, c’est l’art de la subtilité qui domine. Pour faire comprendre que Georgie, en dépit de sa dureté extérieure, est profondément affectée par le deuil, une scène la montre en train de réarranger les coussins du canapé en fonction d’une photo sur laquelle figure sa mère.

En une image simple, tout est dit de cette petite fille qui ne s’autorise pas de larmes et qui refuse que les choses changent autour d’elle pour conserver ses souvenirs intacts. Ce passé qu'elle ne veut pas lâcher est très joliment représenté par les quelques araignées que Georgie laisse évoluer dans sa maison : un seul plan d’introduction montrant la petite fille passer l’aspirateur sur une plinthe en évitant soigneusement d’aspirer une araignée, pour laquelle elle a même dessiné une petite porte de maison, montre la délicatesse intérieure de l'héroïne.

 

Scrapper : photo, Lola CampbellMontée au ciel

 

Dans la première partie du film, elle met en scène ces araignées dans son esprit comme des partenaires de jeu qu’elle partage avec Ali, le montage superposant les plans d’araignées à leurs dialogues de jeu. Un instant, l’image d’une petite tombe en carton (très mignonne) fabriquée pour l’une des araignées apparaît à l’écran lors de l’un de ces jeux : une belle manière de montrer que le deuil de la petite fille s’immisce dans les recoins de son quotidien et de son imaginaire, bien qu’elle refuse de laisser apparaître sa fragilité auprès de son entourage.

De même, la bande originale pleine de morceaux pop vient sans cesse vitaliser ces moments d’introspection ou de flottements. Des effets de montage éclectiques (changements de ratio de l’image, fausses interviews des personnes connaissant Georgie, superpositions, etc.) donnent à l’ensemble du rythme et de la personnalité, et permettent d'enrichir toujours plus le point de vue de Georgie, dont l’esprit en pleine construction perçoit les choses de mille manières différentes. Très agréables à l’œil, tous ces partis pris apportent également beaucoup à la narration et permettent à Charlotte Regan de tirer son épingle du jeu.

 

Scrapper : photo, Harris Dickinson, Lola CampbellQuand une coupe de footballeur rencontre un maillot de foot

 

Archi-cool architecture

Mais la réalisatrice s’amuse aussi dans sa mise en scène et ses cadres : filmant cette triste banlieue avec talent, elle réussit à y capturer du charme et de la beauté au travers de son architecture, comme le ferait l'œil d'une enfant telle que Georgie.

Une scène sur un quai filmée au travers d’un surcadrage de piliers aux angles ronds, des cadres qui mettent en valeur les couleurs pastel des lotissements, des trouées de soleil qui viennent souligner la perspective des allées identiques... Sur ces 1h23 (seulement !) de film, les trouvailles se bousculent et donnent vie à tout un décor à la richesse insoupçonnée.

 

Scrapper : photo, Lola Campbell, Harris DickinsonLa banlieue d'Edward aux Mains d'Argent version Angleterre

 

Une sorte de monde différent auquel Georgie va pouvoir accéder au fur et à mesure qu’elle tisse des liens avec son père, celui-ci n’étant pas toujours bien plus mûr qu’elle. Ce même père qui aura tout autant besoin d’être adopté par sa fille que l’inverse, et qui ressortira de cette rencontre aussi grandi que le spectateur, grâce au talent de Charlotte Regan qui est sans nul doute l’un des nouveaux talents britanniques à surveiller de très près.

 

 

Scrapper : Affiche française

Résumé

Scrapper est la nouvelle perle du cinéma indépendant britannique. Digne héritière de Stephen Frears et Stephen Daldry, Charlotte Regan montre toute l’étendue de son talent dans ce premier film qui évite tout misérabilisme pour être tout simplement juste, drôle et émouvant.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.8)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire