Conann : critique barbare

Mathieu Jaborska | 29 novembre 2023
Mathieu Jaborska | 29 novembre 2023

D'abord annoncé sous le titre Conan la Barbare, le Conann sorti dans les salles françaises ce 29 novembre est aux antipodes de la fresque guerrière de John Milius. On n’en attendait pas moins du cinéaste fantasque Bertrand Mandico, réalisateur de Les Garçons sauvages et After Blue – Paradis sale, et cinéphile endurci.

Sauce barbare

Bertrand Mandico est désormais bien installé dans le paysage cinématographique français. Son premier long-métrage, Les Garçons sauvages, avait fait grand bruit en 2018, se hissant même en tête du classement annuel des Cahiers du cinéma. Par la suite, sa collaboration avec des musiciens populaires, comme M83 et le duo Kompromat, a fait découvrir son univers atypique, empreint de culture Queer et de références au cinéma bis, à un public plus large encore.

Rien d'étonnant donc à le voir s'attaquer très indirectement à une figure issue de l'imaginaire populaire. À sa manière, cela va sans dire. S'il fallait tenter de trouver une logique dans son style poétique, il faudrait bien reconnaître l'importance d'un fétichisme des films tournés en pellicule et à l'artificialité obsédante, un peu comme chez les trop rares Hélène Cattet et Bruno Forzani. Le cinéaste s'empare d'une esthétique faite de bric, de broc et d'ambiances colorées (l'ombre de Mario Bava et particulièrement de sa Planète des Vampires plane sur sa filmographie), se débarrasse des poncifs narratifs et se complait dans sa dimension onirique et sensuelle.

 

Conann : photoEt toujours des costumes superbes

 

Conann n'échappe pas à la règle. À vrai dire, il ne partage pas grand-chose avec le chef-d'oeuvre guerrier débordant de testostérone. À l'origine censé suivre un "spectacle préparatif" encouragé par le directeur de théâtre Philippe Quesne, il est presque l'antithèse de la fresque épique réalisée par Milius. Mandico s'est plutôt intéressé aux romans qu'elle adapte, puis au mythe celte dans lequel ceux-ci ont puisé leur inspiration (d'où les deux "n") et dont les aventures aux côtés de créatures étranges sont bien plus en accord avec son style. Encore une fois, le réalisateur prélève une sève fantasmatique d'un 7e art généralement pragmatique.

Il y a ensuite insufflé toutes ses références, parcourant des décennies de cinéma (et de musique) au gré de ses envies. Il cite pêle-mêle à la presse René Clair, Marcel Carné, Francis Ford Coppola, Rainer Werner Fassbinder ou encore Max Ophüls, pour le personnage de Reiner, sorte de fil rouge canin du film et décalque du Monsieur Loyal de Lola Montès. En résulte un précipité visuel qui tient presque autant du collage que du pastiche et qui ne dépaysera pas les habitués de son oeuvre. Toutefois, quand Les Garçons sauvages, Ultra Pulpe et surtout After Blue assumaient une forme de concentration culturelle, Conann sépare des séquences très différentes les unes des autres, quasiment sur le modèle du film à sketchs.

 

Conann : photoThe power of the dog

 

Tuer la mère

Malgré le travestissement de la mystique autour de la figure de Conan, le film garde une structure, celle de l'épopée. Au sens temporel. Il préserve les effets du temps sur les personnages et surtout le changement d'acteur ou d'actrice auquel doivent se résoudre les metteurs en scène quand ils font grandir leurs héros. Changer de comédien ou de comédienne, c'est souvent trahir l'illusion, et forcément faire basculer l'histoire aux yeux du spectateur. Mais là où la plupart de ses collègues tentent tant bien que mal de minimiser l'impact d'un tel choix sur leurs films, Mandico en fait le coeur du sien.

Le personnage éponyme est donc incarné par 6 actrices différentes, à différents âges de sa vie. Chaque âge étant un segment unique, charriant son lot de citations, d'ambiances et de mouvements de caméra à la grue assez impressionnants. Amérique post-apocalyptique, champ de bataille autoritaire, paysages d'heroic fantasy, performances artistiques scandaleuses... autant de pastilles sublimes littéralement survolées par le cinéaste, et vécues par une protagoniste qui n'est jamais vraiment la même personne. Bien qu'assez sombre, le procédé traduit une boulimie cinéphile et une certaine idée de l'évolution du cinéma.

 

Conann : photoFoncer vers la mort

 

Histoire de pousser le concept dans ses extrêmes, le scénario impose à son personnage d'assassiner chacune de ses précédentes versions. Difficile de ne pas y voir un parallèle avec le rapport du cinéaste au matériau qu'il transgresse. Dans Conann, il tue Conan le barbare pour écrire son propre récit éphémère, avant qu'un autre ne vienne à son tour s'emparer de son esthétique (et ça a déjà commencé, en témoigne des courts-métrages qui circulent en festival). Il décrit une industrie audiovisuelle qui se cannibalise en permanence et en tire au passage une partie de sa beauté. Ainsi, il répond peut-être par l'affirmative à la sphère pop actuelle, accusant Hollywood de "tuer" son imaginaire à coups de remakes.

Cette logique prend des proportions pantagruéliques dans le dernier segment du film, gore jusqu'à la nausée. Afin de ne pas spoiler, on n'en dira rien, sinon qu'il est toujours aussi difficile d'enlever à Mandico ses talents de plasticiens et sa propension à aller au bout de ses idées, qu'on adhère ou pas à son univers. Univers qui, on l'espère, restera un peu dans le paysage cinématographique français, avant qu'il ne le digère complètement.

 

Conann : affiche française

Résumé

En passant plusieurs genres cinématographiques à la moulinette Mandico les uns après les autres, Conann nous montre la beauté morbide d'un art condamné à se cannibaliser. Et une fois de plus, c'est somptueux.

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commentaires
Marc en RAGE
06/12/2023 à 19:33

Comment peut encore faire un films pareil !
J'ai suis sortie au bout 1 heure d'une salle vide. Le pire film que j'ai vu , rien ne vas rien à sauver.

NE PERDEZ PAS VOTRE TEMPS DEVANT CE NANAR HORRIBLE.

rafido
04/12/2023 à 17:50

Je ne suis pas du tout rentré dans le film. Je n'ai pas trouvé ça esthétiquement beau. Je n'ai pas compris le message, ni même le sens du film, sauf s'il s'agit de déconstruire Conan auquel cas... oui c'est déconstruit (mais pour en faire quoi?).

Je ne vois pas où mène le mélange violence/cannibalisme/saphisme. Pour ne donner qu'un exemple, je ne vois pas comment on peut ressentir une attirance sexuelle pour la meurtrière de sa mère qui nous a forcé à la manger. Je ne vois pas l’intérêt de tous ces fluides corporels.

Les dialogues et les personnages me laissent perplexes. C'est un film que j'ai vu sans éprouver la moindre émotion à l'exception de l'ennui et du dégout.

NB: je n'étais pas entré non plus dans AFTER BLUE. (et les deux films de se ressemblent.
je n'ai pas pour habitude de me palucher sur des doudous qu'ils soient autrichiens ou pas.
Je n'affirme pas que ce film n'est pas bon. j'exprime juste que ce n'est pas ma came.

Pax
03/12/2023 à 16:03

Altaïr Machin,
Non il n'y aura pas de polémique, même si cette œuvre déconstruit le mythe de Conan pour la raison suivante : ce film fera peut-être 600 entrées au total en France dont la moitié proviendront des critiques presse. Pour faire court, à part toi , tout le monde s'en fout.

beurk
30/11/2023 à 17:38

En plus d'être extrêmement moche et de s'adresser à l'élite de l entre-soi histerico-artistique ce film est encore la preuve que l'art en France est mort.
Amusement au frais d' émanu premier.

Cidjay
30/11/2023 à 16:51

@altaïr demantia : Bah non, tu vois, personne n'est venu s'en plaindre...
Comme quoi, le nauséabond vient surtout de ceux qui crient au loup alors que le loup n'existe pas...

C'est juste une relecture. c'est pas comme si ils avaient sorti "Hitler.e"...
Là ça aurait gueulé

Salsifiz
30/11/2023 à 07:19

Beau

yo
29/11/2023 à 21:49

faut le voir en entier, 6 segments différents , conan devient une fille, c est à la mode, de toute façon même dans le premier du nom, conan est mal interprété,sharwzenegger joue mal, c est pas un bon acteur, son jeu n est pas très développé, tout se base sur ses muscles, par contre l interprétation de r.e.howard par milius est pas mal, l attaque du village au début, montage photographie, tout roule, musique, ça va être dur de faire mieux,
conann à l air de plagié pas mal de références, ou rendre hommage, chacun son point de vue.

Nico1
29/11/2023 à 21:40

J'ai eu beaucoup de mal avec After Blue , mais quand même curieux de voir celui ci, la bande annonce m'avait bien motivé.

Altaïr Demantia
29/11/2023 à 20:47

Ça ne va pas plaire à tout le monde.

Déjà parce qu'esthétiquement il y a un parti-pris radical. Ensuite parce que ça interprète librement le personnage de R.E. Howard et le "culte" autour du film de Milius avec des bouts d'Autrichien mutique stéroïdé dedans. Et surtout, les virilistes vont venir chouiner qu'on s'attaque à un doudou sur lequel ils se palûchent à s'en donner des ampoules aux mains.

"Ouiouin, c'est une entreprise de déconstruction de la virilité par les féminazis w0ke islamogôchistes, ouin, ouin"

Ça aurait été sympa de mettre la bande-annonce dans la critique.

C'est très beau en tous cas. La composition de certains plans est magnifique. Ça m'a rappelé, par moment, Excalibur de Boorman.

En tous cas, ça sort des sentiers battus.

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