Vincent doit mourir : critique qui tabasse

Judith Beauvallet | 14 novembre 2023
Judith Beauvallet | 14 novembre 2023

Après avoir fait parler de lui à la Semaine de la critique du Festival de Cannes 2023 (entre autres festivals), Vincent doit mourir débarque en salles. Premier long-métrage de Stéphane Castang et qu'il coécrit avec Mathieu Naert, le film est porté par Karim Leklou dans le rôle du fameux Vincent, un monsieur-tout-le-monde qui se met à déclencher bien malgré lui des crises de folie meurtrière chez les gens qu’il croise. Heureusement pour lui, il croisera bientôt la route de Margaux, interprétée par Vimala Pons, qui semble immunisée contre ce mal étrange. Une proposition originale de film de genre, qui présente néanmoins les qualités et les défauts typiques d’un premier film.

ATTENTION : LÉGERs SPOILERS

bonjour, monsieur vincent

C’est facile à deviner à la lecture du synopsis du film : le premier atout de Vincent doit mourir, c’est la force de son postulat de départ. Tout le monde s’est au moins un jour posé la question de comment les choses se passeraient si un événement extraordinaire et d'une violence extrême se déclenchait soudain dans la banalité de son quotidien, et le personnage de Vincent est confronté à la forme la plus dépouillée et cruelle de cette idée.

Cet anti-héros est le personnage auquel le grand public s’identifie par excellence : incarnation du type lambda qui pointe tous les jours à un job quelconque en open space, la malédiction qui va le frapper est d’abord traitée avec le plus grand cynisme par son entourage professionnel. Dans les premières séquences du film, on voit donc Vincent être gratuitement et violemment frappé au visage à l’aide d’un ordinateur portable, et subir aussi d’autres agressions dans le cadre de son travail.

 

Vincent doit mourir : photo, Karim LeklouComme un lundi

 

Stéphane Castang ne lésine pas sur la violence des scènes d’attaque, mais joue aussi beaucoup sur l’absurde des situations : au bureau, on répond à Vincent que cette affaire peut se régler par une bonne poignée de main, et qu’après tout, tout le monde est un peu tendu au travail et qu’il faut être compréhensif. Une scène tristement crédible dont l’humour pince-sans-rire met en exergue la critique que le film fait d’une société capitaliste qui transforme les gens en animaux prêts à tout pour survivre selon la loi du plus fort.

Dans la même veine, des séquences qui resteront dans les annales comme la baston dans la fosse septique, la foule du supermarché qui poursuit Vincent sur le parking, ou encore quelques jolis moments de douceur dans la violence entre Vincent et Margaux, donnent au film une personnalité certaine et des images marquantes. En somme, le concept et les personnages sont parfaitement pensés, et le film démarre sur les chapeaux de roue en nous en mettant plein la tronche. Le problème est que le tabassage ne dure pas.

 

Vincent doit mourir : photo, Karim LeklouCombat de kakaraté

 

un vin(cent) bouchonné

Comme dans beaucoup de films dont le concept est aussi soigné et impactant, la suite des événements s’essouffle. En cause : la difficulté d’étirer sur un format long une idée qui ne peut jamais être aussi forte que dans sa simplicité. En voulant raconter une histoire tout en refusant de s’éloigner de son sujet pour l’enrichir, Stéphane Castang finit par tourner un peu en rond. Les séquences se répètent, épuisant rapidement les ressources du personnage de Margaux, qui avait pourtant du potentiel.

Il est aussi frustrant de voir que certaines “solutions” évidentes au problème sont gentiment ignorées ou glissées à la va-vite à la fin du film pour permettre au scénario de se dérouler comme il l’entend et non pas comme le voudrait la logique. Par exemple, une fois que les personnages élucident le fait que ces spasmes de fureur sont déclenchés par le regard assez tôt dans le film, pourquoi diable attendent-ils la fin de l'histoire pour se protéger avec des lunettes de soleil ?

 

Vincent doit mourir : photo, Vimala PonsVimala Pons, star du cinéma indé

 

Peut-être par souci de simplicité aussi, le film choisit de se concentrer essentiellement sur ses deux personnages principaux, même lorsqu’il est acquit que la folie meurtrière touche toute la planète. Certes, le fait d’étudier une apocalypse mondiale à travers la lorgnette d’une histoire individuelle est un procédé aussi efficace que classique, mais Castang s’interdit par la même occasion de traiter des intrigues B qui auraient mérité un détour : on pense notamment à la voisine de Vincent, dont on comprend que sa fille âgée de seulement quelques années va essayer de la tuer alors qu’elle se met à lui donner des petits coups lors d’une promenade.

L’image est glaçante, puisque le spectateur, à travers les yeux de Vincent, a connaissance de ce qui est en train de se tramer. Mais c’est seulement bien plus tard dans le film que cette petite histoire trouvera un semblant de conclusion lorsque Vincent croisera le cadavre de la fameuse voisine. Au regard de certaines scènes répétitives, il est frustrant de se dire que de tels éléments sont passés sous silence, davantage par facilité que par souci de narration.

 

Vincent doit mourir : photoKarim sur le point d'enfoncer Leklou

 

Vincent peur et sans reproche

Ces défauts sont assez caractéristiques d’un premier film, qui séduit par l’originalité de son idée, mais qui peine à en tirer toute la sève et à contourner les règles pour tracer son propre chemin en dehors des clous. Pourtant, la proposition reste très rafraîchissante grâce à sa sincérité et, soyons honnêtes, sa violence. En effet, voir un film français (et un film tout court) qui n’hésite pas, frontalement et indistinctement, à exploser des tronches dans un contexte aussi réaliste pour parler crûment de violence, ça réveille. Nul besoin de chercher une explication au phénomène, le spectateur sait et sent qu'on lui parle de la violence dormante qu'il craint autant chez lui que chez les autres.

 

Vincent doit mourir : photoUn soupçon de Shaun of the Dead, par moments

 

Sans tomber dans la complaisance, Vincent doit mourir ne contourne pas la difficulté du gore et crée une atmosphère dérangeante dans laquelle le spectateur ne peut jamais savoir qui va y passer ni de quelle manière. À la fois pleinement inscrit dans la nouvelle vague de films de genre français de ces dernières années (dont Le Règne Animal est l’autre exemple le plus récent), Vincent doit mourir n'est peut-être pas le plus réussi, mais affirme tout de même son propre style et propose un nouveau genre d’apocalypse zombie. Nouveau davantage dans sa nature que dans son déroulé qui ne surprend guère, certes, mais disons que c’est déjà ça.

Pour terminer, il faut évidemment souligner aussi la qualité de l’interprétation, entre un Karim Leklou qui joue à la perfection la sidération et l’urgence de la survie, et une Vimala Pons toujours aussi charismatique et juste (malgré un rôle trop bâclé). Cette dernière évolue d’ailleurs comme un poisson dans l’eau dans les productions décalées et indépendantes, s’étant notamment fait remarquer chez un autre Vincent, Vincent n’a pas d’écailles, et ce film-là fait espérer que ce sera encore longtemps le cas.

 

 

Vincent doit mourir : Affiche française

Résumé

Un concept qui tape fort, ça fait du bien, même si l'idée du film est plus forte que le film lui-même. Vincent doit mourir louvoie et tourne vite un peu en rond, heureusement qu'il n'oublie pas au passage d'offrir quelques séquences marquantes et des acteurs au top.

Autre avis Alexandre Janowiak
Au cœur d'un mystérieux récit parano aux sursauts trash, Vincent doit mourir évoque in fine les angoisses modernes (solitude, dépression, incommunicabilité...) et la préciosité de la tendresse dans un monde en proie à une violence absurde. Un belle étrangeté, imparfaite mais prometteuse.
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Lecteurs

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commentaires
Sanchez
06/12/2023 à 09:11

Une des plus belles surprise de l’année, Vincent doit mourir tient toutes ses promesses et nous envoie son cocktail de violence , d’émotion et d’horreur dans un mélange de vomi , de merde , de sang et de tendresse. Je m’attendais pas à une telle maîtrise dans un film fait avec 12euros50. Les 15 premières minutes sont anthologiques , dommage que le film ne retrouve jamais son humour tout au long de l’histoire, même si c’est pour le remplacer par de l’émotion brute.
Le réalisateur (inconnu au bataillon) nous promet du lourd pour la suite. Et son high concept devrait lui valoir des pépettes tant un remake américain est prévisible.

Michel Rale
18/11/2023 à 22:03

Les premières scènes... Société capitaliste... Pfff ! Plutôt une bonne critique de la société du "pas de vague", dérive gaucho-laxiste bien connue.
D'ailleurs c'est pas France-Inter qui passera à la radio. Mais Elisabeth Levy.
Une chose, capitale, pas vue dans la critique ci-dessus : la victime qui devient bourreau. Vieille comme le monde, cette histoire, donc. Une histoire de la violence...
Un détail, dans cette veine, aussi : le gars rencontré à la station, dans le même cas que lui, qui lui parlera des Sentinelles. Guéri, semble-t-il, il revient voir sa femme. Avant de confier à Vincent que ça ne s'est pas très bien passé. Tu parles Charles ! Comme on comprendra vers la fin du film.
Le film est clair : d'une manière ou d'une autre, la violence est là pour longtemps. Et l'a probablement toujours été, sans qu'on en ait conscience.
Mais on peut apprendre à vivre avec. Presque un film optimiste sur les capacités humaines à s'adapter à toute nouvelle donne.

captp
16/11/2023 à 23:00

Vimala Pons qu'elle actrice sous exploitée quand-même !
Je l'aime.

Ozymandias
16/11/2023 à 07:35

Vu au NIFFF cette année, j'ai beaucoup aimé la proposition, très ambitieux pour un premier film. Le combat dans la boue est mémorable ^^.

Uncut_Jem
14/11/2023 à 23:14

C'est moi ou ça ressemble grave à Beau is Afraid ?

Grey Gargoyle
14/11/2023 à 21:37

Hello,
j'aime bien ce film. Notamment, Karim Leklou est formidable.
Bien cordialement

Fou Dubulbe
14/11/2023 à 19:13

J'ai personnellement adoré le film. À la critique selon laquelle le film s’essoufflerait, j'ai trouvé au contraire qu'il apporte une deuxième partie répondant très intelligemment à la première : à la solitude face à la violence s'oppose l'amour et son ambivalence face aux pulsions du désir et de la tendresse.

Pour ce qui est de l'idée des lunettes de soleil, j'étais à une avant-première où la question a été posée au réalisateur qui a répondu qu'on lui faisait la remarque à chaque projection et qu'il s'agit en réalité d'une scène coupée qui ralentissait le début du film. Surtout, il a ajouté que l'idée selon laquelle les excès de violence meurtrière sont créés par les regards est uniquement l'interprétation du héros et qu'elle est contredite plus tard dans le film, par exemple lorsque Margaux attaque Vincent dans son sommeil.

Et je suis bien content qu'il ait fait ce choix de ne pas faire un montage au début du film montrant Vincent essayer 100 techniques différentes pour empêcher cet étrange virus d'agir. Si le héros se résout à fuir, je comprends très bien qu'il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour tenter de trouver une solution et j'en ai marre des films qui me tiennent la main et me montre tout ce que fait le héros pas à pas afin de tenter de contrer toute critique d'illogisme quitte à en briser leur rythme.

Je suis malheureusement conscient que mon point de vue va être minoritaire car une bonne majorité du public attend un film où la tension monte tout au long du long-métrage de manière beaucoup plus classique tout en structurant son concept par des explications bien plus claires. Ça pourrait aussi faire un très bon film, mais en l'état Vincent doit mourir n'est ni un jeu vidéo avec des niveaux de plus en plus difficiles ni un manuel de 300 pages pour qu'un maître de jeu de rôle puisse toujours savoir quoi répondre à ses joueurs. C'est un superbe film, un cauchemar anxiogène qui tente petit à petit de glisser vers le rêve, un exutoire et une réflexion sur nos pulsions. Et peut-être même la meilleure métaphore de ce qu'on nous avons tous vécu durant le covid.

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