La Passion de Dodin Bouffant : critique d'un des meilleurs films de 2023

Geoffrey Crété | 9 novembre 2023
Geoffrey Crété | 9 novembre 2023

C'est une histoire d'amour, et c'est une histoire de bouffe. Porté par Benoît Magimel et Juliette Binoche, écrit et réalisé par le Français d'origine vietnamienne Trân Anh Hùng (L'Odeur de la papaye verte, Cyclo), La Passion de Dodin Bouffant est l'un des plus beaux films de 2023, célébré dès son passage au Festival de Cannes où il a reçu le Prix de la mise en scène, avant d'être sélectionné pour représenter la France aux Oscars, au nez et à la barbe du favori Anatomie d’une chute (Palme d'or). Et cette adaptation du livre La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant gourmet de Marcel Rouff vaut largement le détour.

l'appétit vient en aimant

La dernière fois que Juliette Binoche a mélangé amour et cuisine, c'était Le Chocolat avec Johnny Depp, en 2001. Un plat 100% gras qui a fini aux Oscars avec cinq nominations, quitte à provoquer quelques niaises nausées. Rien à voir avec La Passion de Dodin Bouffant, qui cache sa fine et éclatante beauté derrière ses petits airs mignons et son titre anglais magique (The Pot-au-Feu également détourné en The Taste of Things).

À vue de nez, pas de quoi casser trois pattes à un magret de canard. Malgré son nom de héros de BD, Dodin Bouffant est un gastronome réputé dans la France du XIXe siècle. Sa cuisinière Eugénie est géniale, à tel point qu'elle est devenue son bras droit. Leur entente merveilleuse autour des fourneaux a enchanté des papilles et réchauffé leurs cœurs, créant une routine gastronomique et sentimentale idéale. Sauf que Dodin voudrait épouser Eugénie, et qu'elle n'y voit aucun intérêt. Pourquoi changer ne serait-ce qu'un seul ingrédient dans cette parfaite recette ?

Si vous avez envie de dormir ou fuir en lisant ces quelques lignes, vous avez tort. La magie de La Passion de Dodin Bouffant, c'est justement de prendre par surprise, de faire mijoter les sentiments, et d'enivrer grâce à un parfum extraordinaire. Et si vous y allez à reculons, vous aurez encore plus de chance d'en ressortir sur un petit nuage.

 

La Passion de Dodin Bouffant : photoMange avec Magimel

 

foi de beau

La longue et hypnotisante scène d'ouverture est une profession de foi. La cuisine est une place sacrée, un temple presque mystique où les feux, les vapeurs et les crépitements remplacent les mots pour les initiés. Les casseroles, les marmites, les couteaux et les cuillères forment un ballet silencieux, qui devient rapidement aussi palpitant qu'un match de tennis. À quoi sert ce beurre ? Quelle est la destination de cet oignon ? À quoi ressemblera ce poisson une fois sorti du four ?

Dit comme ça, on dirait une simple rediffusion de Top Chef. Sauf qu'il se passe quelque chose d'un peu magique dans La Passion de Dodin Bouffant. La caméra de Tran Anh Hung et son directeur de la photographie Jonathan Ricquebourg (La Mort de Louis XIV, Earwig) suit les corps de Juliette Binoche, Benoît Magimel et leur protégée Galatea Bellugi (vue dans Chien de la casse) ; elle s'attarde sur les mains, les yeux, les bouches et les gestes méthodiques. En quelques minutes, le cinéaste croque toute la magnifique harmonie de ce royaume du silence, et raconte en creux la complétude de la relation entre Dodin et Eugénie.

 

La Passion de Dodin Bouffant : photo, Juliette Binoche, Benoît MagimelPasser à la casserole

 

Tran Anh Hung n'est certainement pas le premier qui pense à mélanger l'amour, le sexe et la crème fraîche. Mais La Passion de Dodin Bouffant détruit si doucement toutes les barrières de cynisme que c'est comme si c'était la toute première fois que quelqu'un croisait les courbes d'un fruit avec celles d'un corps féminin.

Avec une simplicité et une économie désarmante (peu de décors, peu de dialogues), il filme cet homme et cette femme, à l'automne de leur vie, se chercher comme des adolescents. Cette légèreté apparente est d'autant plus belle qu'elle passe par les assiettes, comme si Dodin et Eugénie ne savaient s'exprimer autrement. Non seulement la nourriture est leur langage commun, mais c'est en plus présenté comme une sorte de secret, de privilège, et jamais comme un obstacle ou un problème.

 

La Passion de Dodin Bouffant : photoTenir la chandelle

 

La pudeur des sentiments

Mais la vraie arme de discrétion massive de La Passion de Dodin Bouffant est sa pudeur. La délicatesse avec laquelle Dodin et Eugénie expriment leurs sentiments (et dont ils sont écrits par Trân Anh Hùng) est d'une douceur exquise, et d'une beauté à toute épreuve. Dans la cuisine, les gestes sont assurés et maîtrisés. Dans la vie, ils sont timides et maladroits. Quand le chef veut convaincre Eugénie de devenir sa femme, il lui prépare donc un gigantesque festin pour échanger les rôles.

Faire la cour en passant par les plats, est-ce une simple diversion pour éviter les sentiments, ou n'est-ce pas finalement la plus belle des déclarations possibles aux yeux d'Eugénie ? Par le délicat et fragile croustillant d'un dessert qu'il a sculpté, Dodin se met à nu devant celle qu'il aime. C'est bien plus efficace que toutes les belles paroles de monsieur Bouffant, qui aime pourtant parler et parle bien – son monologue romantique autour du tube digestif.

Et pendant que Dodin utilise ses mots et ses mains pour exprimer ses sentiments, Trân Anh Hùng, lui, fait appel aux silences pour combler tous les vides de cette romance.

 

La Passion de Dodin Bouffant : photoLe déjeuner des cachotiers

 

La pudeur, c'est aussi celle face à la gravité, et c'est là que le personnage d'Eugénie est encore plus magnifique. En ne revendiquant rien d'autre que sa passion qui fait son identité et en restant déterminée jusqu'à l'entêtement, elle s'impose comme une femme totalement libre, seulement rattachée à la terre par son corps. Jusqu'au bout, elle gardera une part de mystère que ni Dodin ni le film ne pourront entièrement percer. Comme s'il ne fallait pas trop parler des choses, qu'elles soient belles ou mauvaises. Non pas par peur ou lâcheté, mais par respect pour les autres, et la vie.

Cette ombre cachée derrière les sourires est un crève-cœur et chaque éclat de rire devient de plus en plus déchirant au fil des scènes et des non-dits. Benoît Magimel est excellent et d'une douceur exceptionnelle, aucun doute. Mais Juliette Binoche est fantastique et à l'image du film : la simplicité, l'évidence, la justesse, la finesse.

Les légumes changent au fil des saisons qui passent et c'est finalement tout le cycle de la vie que La Passion de Dodin Bouffant raconte, avec une distance délicate. Il y a une scène finale qui explicite cette valse du temps dans un interminable mouvement de caméra magique ; et surtout un tout dernier échange entre Dodin et Eugénie, précisément hors du temps. Elle lui pose une question et il répond. En apparence, c'est très simple. En réalité, c'est d'une beauté déchirante, et qui reste très longtemps en tête. Comme quoi tout est possible, même chialer autour d'un pot-au-feu.

 

La Passion de Dodin Bouffant : Affiche française

Résumé

Avertissement : ce film fera fondre même les cœurs les plus durs. D'une délicatesse et d'une pudeur infinie, La Passion de Dodin Bouffant est une petite merveille qui donne envie d'aimer Juliette Binoche et Benoît Magimel comme jamais.

Autre avis Alexandre Janowiak
La Passion De Dodin Bouffant absorbe avec sa romance culinaire bouleversante et son ode à la gastronomie française où la cuisson d'un ortolan est élevé au rang d'art, une poire dénudée se mue en invitation au plaisir charnel et un ris de veau rallume la flamme d'un amour perdu. Exquis.
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Lecteurs

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commentaires
Soïzic Carré
30/11/2023 à 23:30

Un film bien français : lent comme l’exécution d’une œuvre d’art , dense, délicat. Oui, un peu long mais tout est beau . A savourer.

Joboart
26/11/2023 à 09:24

Je ne me souviens pas avoir entendu de musique, des chants d'oiseaux familiers, oui, des craquements de bois, de plancher, de.... oui, des froissements, des respirations de trop gros mangeurs, oui, le corps de Magimel et sa respiration. La composition des personnages. Leur engoncement,... devient compréhensible. À partir de là, on peut réinterpréter tout cet objet film. Le scénario ne deviendrait il pas une symphonie ? Les images autant que les mots et les noms sont la chair du film. Je me suis régalé. Une belle œuvre.!

Delphine
25/11/2023 à 15:05

pour les plus âgés gastronomes ou professionnels confirmés une illustration parfaite de l'art culinaire au début du siècle.

Les cuisiniers procèdaient de cette manière jusqu'aux années 60, se délectaient dans leurs lieux de travail et ne pensaient qu'à l'amélioration de leurs plats surtout dans les maisons bourgeoises

Incroyable illustration et bravo aux deux acteurs !

Fleurs46
21/11/2023 à 08:55

Je n' ai pas vraiment aimé le film. Attention pas détesté non plus.
Il a toutes les qualités décrites dans les critiques des spécialistes, plus à même de juger que moi.
Je m' y suis parfois ennuyée. Je dois l' avouer.
La nourriture même exquise qui devient bouffe. Nous sommes fin XIX ème siècle. Et le peuple crève la faim.
Mais ce fait n' est pas dit.
Bien sûr des images superbes et des acteurs de talent.
Seule la cuisine, toujours et encore la cuisine à en avoir une indigestion.
Le sentiment amoureux passe au second plan.
La cuisinière est plus importante que la femme..
Je n' ai pas ressenti d' émotion car on est et reste dans la matière.
D' aucune diront que c' est un grand film. Sans doute..
Il n' empêche qu' il ne m' a pas touché l' âme.
Pourtant, on y parle Art et cela est Art..
On aime et en même temps, on peut ne pas aimer. Paradoxal.
Par contre, je ne peux le conseiller.
Il faut que j' y réfléchisse encore.

Marie-Christine
20/11/2023 à 02:07

Beau film, superbes beaux plans sur les marmites, casseroles ….
Beaucoup de délicatesse., de raffinement mais vraiment 1/2h , voire 3/4 d’heure de trop !!!!

The Truth
19/11/2023 à 20:37

HONTEUX ! .... Tellement facile, il n'est même pas question de relever le jeu des acteurs, mais de parler de plagiat.

comparez l affiche de DELICIEUX d'Éric Besnard et de ce film.
Même composition !! l homme debout a gauche, la dame a droite.
l'ambiance, tout pareil.

quant au sujet ? plagiat aussi .... Les gros plans culinaires, etc....

Surfez sur "la vague"pourquoi pas, mais faites le avec finesse Monsieur le réalisateur !!

Pas
18/11/2023 à 22:10

J'ai vu le film et j'ai pleuré sur la dernière scène...pas sur le pot au feu mais sur la peine d'un homme qui a perdu sa raison de vivre ses passions.

Arobase
15/11/2023 à 10:57

Merveilleux film dont on sort enchanté avec une furieuse envie de pot-au-feu…
Une ode à la gastronomie, au raffinement, à l’élégance, à la pudeur et aux belles et bonnes choses, qui réchauffe le cœur et l’âme.
Merci pour votre critique si juste qui conforte le souhait de partager ce film avec les amis amoureux de la vie.

Fox
14/11/2023 à 10:33

@Morcar

J'aimerais vraiment qu'on m'explique une bonne fois pour toutes en quoi le discours de Triet à Cannes est un problème.

En revanche, nul doute que le choix de "Dodin Bouffant" par le comité de sélection s'est fait en vue de bien racoler le ricain en mal d'image d'Epinal bien franchouille avec sa gastronomie en milieu champêtre.
Attention, pas de méprise, j'ai vraiment envie d'aller le voir. Mais un film sur la bouffe - entre autres, mais quand même -, adressé à un pays qui nous résume encore au "camembert-baguette" (le titre anglais, c'est quand même "The Taste of Things"... ou bien "The Pot-au-Feu" !!!) , on se dit qu'ils ont mis toutes les chances de leur côté pour rafler la statuette... même si la ficelle parait un peu grosse.

Morcar
10/11/2023 à 15:32

Vous avez attisé ma curiosité. J'avoue que quand j'ai appris qu'il était choisi pour représenter la France aux Oscars plutôt qu'Anatomie d'une chute, j'ai pensé que c'était vraiment un taquet mis à la réalisatrice pour son discours à Cannes. Mais à lire votre critique, ce choix est tout à fait justifié. Je vais sans doute tenter le coup, à cause/grâce à vous.

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