Second tour : critique d'un Dupontel présidentiel

Mathieu Jaborska | 26 octobre 2023 - MAJ : 26/10/2023 11:16
Mathieu Jaborska | 26 octobre 2023 - MAJ : 26/10/2023 11:16

Albert Dupontel entraîne Cécile de France et son fidèle acolyte Nicolas Marié au coeur d'une machination politique tordue dans Second tour, en salles depuis ce 25 octobre. Malgré son sujet, le réalisateur de Bernie persiste à déployer son univers poétique, pour un résultat parfois déroutant, mais toujours attendrissant.

Politique fiction

Cela fait désormais plus de 30 ans qu'Albert Dupontel sillonne l'industrie du cinéma français derrière la caméra (son ambition dès ses débuts en tant que comédien) et il en est désormais l'un des artistes les plus respectés. Mais c'est la première fois qu'il s'attaque frontalement au petit monde puant de nos chers politiques. Non pas qu'il n'ait jamais brusqué les institutions de notre pays, de son odyssée punk Bernie jusqu'aux pérégrinations marginales d'Adieu les cons, en passant bien sûr par la critique judiciaire bien piquante de 9 mois ferme.

Cette fois-ci, cependant, il raille directement les campagnes électorales contemporaines, cirques médiatiques n'aboutissant sur rien, si ce n'est un statu quo de plus en plus insupportable. Le cinéaste met les pieds dans le plat. Son récit est enclenché par une référence à peine voilée à l'affaire Griveau et assume la parodie des grands responsables du moment, à commencer par un certain ancien banquier à la moumoute susceptible. Son propre personnage est en apparence un pur rejeton macroniste, qui fait campagne pour satisfaire d'autres intérêts à coups de phrases creuses et de techniques de com'. Sauf qu'il y a un hic, auquel s'intéresse une journaliste (Cécile de France) trop curieuse pour son propre bien.

 

Second tour : photo, Nicolas Marié, Cécile de FranceJournalisme total

 

Un sujet qui laissait présager un retour à l'humour noir irrévérencieux de ses débuts. Or, c'est bien avec le sens de la poésie d'Adieu les cons qu'il le traite. Une approche qui décontenance, surtout au début. D'une part, les politiques et schémas visés sont explicites et très contemporains. D'autre part, les situations sont volontairement grotesques (le complot au cœur du film, assez caricatural), la jolie photographie presque expressionniste et les dialogues, truffés de jeux de mots, très littéraires.

Un décalage saugrenu, auquel on s'habitue néanmoins après un moment, le temps de s'attacher aux traditionnels laissés pour compte que le cinéaste aime mettre en scène. Ici, ils sont considérés comme les doubles négatifs des politiques qui pourrissent la planète et ses habitants. Ils sont même ceux, selon l'auteur, qui devraient occuper leur fonction. L'occasion d'observer une évolution dans son style pourtant si singulier : autrefois des fous furieux meurtriers (Bernie), ses héros en marge détiennent désormais les clés d'un monde meilleur. Encore faut-il trouver la porte de l'Élysée. Une conclusion évidente, qui gagne en intérêt grâce justement à l'univers déjanté du cinéaste.

 

Second Tour : Photo Albert Dupontel, Cécile de France, Nicolas MariéUn trio très attachant

 

Coup d'état émotionnel

Car s'il peut donner l'impression d'enfoncer des portes déjà grandes ouvertes, Dupontel défend moins sa thèse que sa démonstration. Les relations entre ses personnages prennent peu à peu le pas sur la satire politique et médiatique et ils finissent par tous laisser transparaître une forme de sincérité. Et c'est cette sincérité qui motive toute la démarche et embarque le spectateur, qui ne s'attendait pas forcément à se prendre d'affection pour un candidat désespéré ou même le cadreur joué par l'éternel Nicolas Marié, tirant son intelligence déductive insoupçonnée de sa passion contagieuse pour le foot.

Ainsi, bien que le climax délirant semble insister sur la nécessité de changer le système de l'intérieur, le véritable intérêt réside dans les moyens déployés pour y parvenir. La coalition formée par une reporter dans le collimateur du journalisme de préfecture (elle bosse pour l'équivalant de BFM, dans un bureau improbable éclairé comme dans un film noir) et un factieux en embuscade est présentée comme une sorte de contestation populaire idéale. On est loin du manifeste anarchiste, très loin même, et il faut bien reconnaître qu'on attendait le réalisateur plus vindicatif. Mais leurs péripéties attendrissent assez pour se laisser emporter par la rêverie réformiste qui constitue le coeur du film.

 

Second tour : photo, Nicolas Marié, Cécile de FranceCulture poubelle

 

C'est là que le choix de l'onirisme qui fonctionnait très bien dans Adieu les cons prend son sens : il permet de justifier une posture prétendument apolitique qui passerait pour un peu niaise sans lui. La mise en scène hyper stylisée et ses plus beaux instants de bravoure, comme ce plan-séquence collé à un aigle royal, font office de rappel cinglant : l'univers de Second Tour est complètement factice, illusoire. Quand le générique se terminera et les lumières se rallumeront, il faudra composer sans héros du quotidien, mais avec les dirigeants qui ont bel et bien été élus. S'il voulait précipiter les premiers de cordée dans le vide, c'est raté. S'il voulait nous faire rêver de changement, c'est réussi.

D'autres cinéastes avaient tenté d'accabler la sphère politique française à travers un style décalé, comme le France de Bruno Dumont pour ne pas le citer, sans succès. La jolie parenthèse poétique de Dupontel ressemble, elle, presque à un doux aveu d'échec collectif, lesté d'une bonne dose d'émotion.

 

Second tour : Affiche

Résumé

Même quand il enfonce des portes ouvertes, Dupontel fait preuve de sincérité et d'un sens non négligeable de la poésie.

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commentaires
Flo
31/10/2023 à 13:29

Retour conséquent...

"Second tour" est (seulement) le huitième film de Albert Dupontel, et il ne déroge pas aux habitudes de l'auteur - hormis "Au revoir là-haut", considéré selon lui comme Pas vraiment Son film :
À chaque fois, depuis au moins "9 mois ferme", une affiche avec des ombres chinoises sur des motifs rouge (colère) blanc et noir.
Une héroïne blonde (pour prendre le contre-pied de Claude Perron ?) incarnée par une actrice vedette confirmée, pendant que lui se met un poil en retrait - pas trop, sa présence en tant qu'acteur aide bien au financement de ses films (les spectateurs apprécient l'homme).
Toujours les mêmes amis acteurs dans des petits rôles, toujours un sujet à tendance sociale, mais traité avec une énergie visuelle burlesque, violente et cartoonesque, de vrais films de formaliste.
C'est sa signature, personne ne fait ça mieux que lui. Et c'est aussi éminemment politique, mais toujours du côté des "plus petits", avec beaucoup de tendresse...

Alors qu'est-ce que ça donnerait si Dupontel prenait quelque peu le contre-pied de ses habitudes, en traitant ouvertement de ceux qui vont être désignés pour nous influencer et nous gouverner ? Lui qui a d'ailleurs été le "Président" (2006) ? Et bien ça change beaucoup de choses, ce qui a pu en déstabiliser plus d'un chez les analystes du Cinéma, alors que pourtant... même en étant plus "calme", cet opus ne dévie pas trop de l'ADN de Dupontel, on va le voir.
Mais ça dévie toutefois du tout venant des fictions critiquant la Politique, ses magouilles, la complaisance médiatique paresseuse. Tout ça reste néanmoins bien présent là dedans assez féroce et très ordurier (donc drôle), on en connaît plein des films comme ça.
Et Dupontel ne va pas juste s'en contenter. Il va étendre son récit en y ajoutant des rebondissements fantasques, des idées absolument farfelues (et si on faisait une espèce de crossover entre CNews et Canal Plus Foot ?), nous donnant une histoire hybridant Alexandre Dumas et "Un crime dans la tête" de Frankenheimer, en passant par "Le Dictateur" de Chaplin, son idole absolue.
Plus que de la comédie grinçante, presque un film d'aventures et d'action.

On pourrait croire qu'il s'agit d'une parodie à la Groland, partant dans tous les sens, et pourtant tout ça est très construit, très logique...
Parce-qu'il déplorait l'état de la Politique (pas que française) au cours de la Pandémie, et qu'il imagina ce que serait devenus les Etats Unis sous Robert Kennedy, le cinéaste en est arrivé à fantasmer : Et si pour une fois le sempiternel "film de journalistes qui déterrent un secret scandaleux" n'avait pas pour but de révéler une arnaque corrompue et crapuleuse (plein des comme ça, qu'on vous dit), mais... un plan vertueux, digne d'un super-héros infiltré en territoire hostile ?
L'antithèse d'un "La Raison d'État"de André Cayatte, par exemple.
Ce qui fait que pour la première fois de sa carrière, Dupontel va imaginer une histoire aussi globale qu'intimiste, pouvant déboucher sur... un avenir utopiste. Une fable incroyable, aux enjeux souvent prévisibles mais jamais quand on s'y attend, avec moins d'amertume... un bon remède à l'anxiété .

Au diapason de ce retournement, ses acteurs y évoluent un peu différemment de ses habitudes :
Cécile de France dans le rôle d'une journaliste rusée et goguenarde, un peu BD mais finalement pas si cynique, est ici l'élément du film qui est constamment en mouvement.
Albert Dupontel incarne à nouveau des êtres à la sobriété maladroite, à la rage maintenant maîtrisée, tout en étant ici paradoxalement plus présent qu'à l'accoutumée.
Et le fidèle Nicolas Marié en cameraman footeux est cette fois actif plus tôt et pendant tout le film, dans son rôle de prédilection d'Auguste flamboyant - la majorité des fous rires dans les salles, c'est à lui qu'on les doit.
Tous agissent cette fois depuis les coulisses du Pouvoir. Quant aux méchants du film, ils resteront invisibles, forces occultes de toute façon remplaçables...
Ça donne un film qui peut apparaître comme étonnamment naïf (les orphelins, l'écologie, les abeilles etc). Mais pas du tout dans le sens "niais", ni même pour exprimer un idéal.
Plutôt au service d'un pragmatisme nécessaire, d'autant plus qu'on n'y ne triche pas sur les sacrifices tragiques par lesquels il faudra malheureusement passer - Dupontel raccord avec le dernier Ken Loach ?

Tout ça couplé avec une grande exigence cinématographique, qui ne brouille pas le propos et qui justifie amplement de faire le chemin vers le grand écran.
Dixit l'intéressé : "Lumière contraste, mouvements de caméra, focales variées dans une même scène, montage souvent hyper cut et musique très présente. Quel que soit le sujet que je traite, politique, justice, monde consumériste, j’essaie de rendre belles, des choses qui sont parfois rustiques."

Une heure et demi ultra remplie, à suivre de modestes branquignoles tentant de découvrir si on peut sauver un peu de Bon dans le monde, sans gras inutile et sans jamais s'ennuyer une seule seconde...
Ça vaut mieux que tous les films qui y mettent deux fois plus de temps, sans vous galvaniser et pour parler de bien peu de choses.

Montez donc dans les tours !

Chris11
31/10/2023 à 01:37

"Second Tour est un film complètement, mais alors vraiment complètement, surprenant. Au début, j'ai pensé que c'était sa faiblesse, à la fin du film, j'ai compris que c'était sa force."
Absolument d'accord avec ça. Et en désaccord total avec le reste de ton commentaire.
C'est très déroutant, il mélange plusieurs styles, et les 30 premières minutes ne sont pas simples. Certaines choses paraissent ratées. Et puis finalement, tout prend son sens, chacun son niveau de lecture, chacun son thème, et le tout encore une fois magnifiquement mis en image, mis en scène et en musique. Merci.

Salsifiz
30/10/2023 à 07:34

Wouw, alors les spoils sont assez fous, comme souvent chez EL c'est assez aberrant d'ailleurs,
Mais juste Tonto, et j'ai limite envie de m'arrêter là direct dans les comments,
Ben ton commentaire il fait trop plaisir en fait. J'ai lu des commentaires d'une juvénile et tellement biaisée mauvaise foi ailleurs que bon bref...
Capra, Chaplin, wow quel hommage, et c'est vrai que y'a beaucoup de ça en fait chez Dupontel.
Un poil de Samuel Fueller, et une bonne dose de Terry Gilliams/Jones évidemment en sus pour les influences, ça fait vraiment une belle patte définitivement.
Il faut remercier Alain de Greef et Pierre Lescure apparemment pour avoir crû et parier sur Bernie à la base cinématographiquement.
Bonne époque ;)))
Pas sûr que les premiers film de Gaspard Noé, Jan Kounen, ou Kassovitz puissent être produits tel quels de nos jours d'ailleurs.
C'est la société qu'est bien foutue aussi, elle met des uniformes à chacun pour qu'on les reconnaisse.
Pis j'aime bien les hyènes et les lycaons aussi :))))
90's boomers booming systems ad lib.
Big Tonto's et belle journée ; )

Ethan
28/10/2023 à 13:55

Moi je trouve ça ecoeurant les films liés à la politique tant le débat est confisqué par les médias

Hank Hulé
27/10/2023 à 15:23

EL a toujours été très indulgent avec Dupontel. Très.Trop.

villago
27/10/2023 à 10:07

Dupontel réalisateur, ça passe; mais bon sang, qu'il arrête de faire l'acteur, là, il est nul .....!

ZakmacK
27/10/2023 à 07:44

@isaurus : il n'était qu'acteur sur président. Et de mémoire c'était un film assez oubliable.

Isaurus
26/10/2023 à 22:09

Allo la rédaction.., il a fait Président en 2006 bebert... ce n'est pas la première fois qu'il fait un film (sur les) politique...

vous avez vrillé
26/10/2023 à 18:42

Risible......
*

PATFAIVRE
26/10/2023 à 18:24

Ce n'est pas un aigle royal, c'est bien le problème, car on ignore pourquoi Dupontel a choisi l'aigle nord-américain …

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