Passages : critique du jeu de l'amour et du bâtard

Geoffrey Crété | 28 juin 2023
Geoffrey Crété | 28 juin 2023

Après les très remarqués Keep the Lights On et Love Is Strange, Ira Sachs continue à raconter des histoires d'amour, de lutte et de larmes avec Passages. Ici, c'est Franz Rogowski, Ben Wishaw et Adèle Exarchopoulos qui vivent et subissent les jeux de l'amour et du hasard dans une double histoire d'amour.

l'amour a mal

Ira Sachs aime l'amour, mais l'amour qui fait mal. Dans Passages, c'est celui d'un faux triangle amoureux : Martin et Tomas s'aiment depuis longtemps, mais Tomas rencontre Agathe. La surprise hétéro vient briser le couple homo, et c'est le début des allers-retours sentimentaux et sexuels. A priori, c'est une histoire vue et lue mille fois, d'autant que le réalisateur et co-scénariste (avec son fidèle Mauricio Zacharias) commence son film en douceur. Trop, peut-être.

Pendant un temps, Passages se contente ainsi de balayer tous les mots et maux du désir et du rejet, de la rencontre et de la séparation, des possibilités et des impasses. C'est joli, mais c'est étonnamment simple et lisse. Contrairement à Keep the Lights On, Love Is Strange ou Brooklyn Village, où les personnages étaient définis dans de petits mondes extrêmement spécifiques, ceux de Passages semblent plus flottants et abstraits. Le film s'ouvre sur une scène marquante de tournage, où Tomas le cinéaste exerce son pouvoir de contrôle sur les corps et la vie, mais la suite s'écrira dans un monde beaucoup plus normal et ordinaire. Trop, peut-être.

Il manque quelque chose à cette valse sentimentale pour que les scènes s'additionnent véritablement. Passages commence réellement lorsque Tomas, le petit dieu de ce petit monde, perd le contrôle. Problème : ça arrive trop tard dans le film.

 

Passages : photo, Franz RogowskiLe rose et le noir

 

tomas le trainwreck

Car Tomas est le vrai sujet de Passages, qui s'ouvre et se referme sur lui. Ballottés par leur amant, les personnages d'Adèle Exarchopoulos et Ben Wishaw sont finalement des figurants dans la tempête. Peut-être parce que l'ego de Tomas est un trou noir qui avale tout et empêche de voir loin, ils restent en marge, comme s'ils vivaient presque hors champ. Mais à la fin, c'est eux qui restent debout, ancrés dans le sol.

Personne ne ressort indemne de ce chaos, mais c'est Tomas (incarné par l'excellent Franz Rogowski, vu notamment dans Ondine et Disco Boy) qui se brise les os en tombant de son piédestal. Et c'est là que le film commence : lorsqu'il raconte et observe la solitude de tous ces gens piégés avec/par eux-mêmes, et qui tombent finalement comme des dominos. Tout le monde se débat avec des pulsions et des peurs, jusqu'à un point de rupture qui survient évidemment trop tard pour ne pas causer beaucoup de dégâts. Ici, l'amour n'est qu'un dédale d'impasses.

 

Passages : photo, Franz RogowskiDans de beaux draps

 

Les moments de douleur sont nettement plus réussis que les instants de joie, même si les effets de mise en scène sont simples (les cadrages et surcadrages, les plans larges et fixes). Ira Sachs sait filmer les crises et les séparations, et il le rappelle encore une fois, notamment lorsque Martin fait machine arrière et se détourne d'un nouvel amour de toute évidence plus sain (l'occasion de mesurer une nouvelle fois le charisme monstre d'Erwan Kepoa Falé, vu dans Le Lycéen de Christophe Honoré).

C'est dans la violence finale que Passages trouve un équilibre, comme si tout le reste n'avait été qu'un préambule. Et une réplique, prononcée par Adèle Exarchopoulos, cristallise toute la tristesse de cette valse sentimentale : "Even your face is ugly now" ("Même ton visage est laid maintenant"). Tout se perd, rien ne se transforme, sauf la douceur en amertume, et l'amour en solitude.

 

Passages : Affiche

Résumé

Il faut attendre (trop) longtemps avant que Passages ne dépasse les scènes attendues pour vraiment creuser ses personnages et leurs dilemmes. Un Ira Sachs en mode mineur donc, malgré quelques très beaux moments.

Autre avis Axelle Vacher
Passages est de ces films dont le titre est à concevoir comme une dénomination. Ira Sachs s’y joue certes des trajectoires, du temps et des corps, mais l'ensemble est incertain, fugitif. Fragmenté, aussi. Alors c'est un peu comme les histoires d'amour dépeintes dans ce récit : à demi manqué.
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Lecteurs

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commentaires
Hugo Flamingo
03/07/2023 à 20:17

@robert la fondue.
Merci pour ce détail que nous avions laissé passer. Nous allons ré imprimer les affiches

Loozap
29/06/2023 à 00:31

J'ai tellement aimé ça

Robert La fondue
28/06/2023 à 16:31

Ils se sont trompés sur l'affiches, Ben Wishaw est a gauche.

Tim Lepus
28/06/2023 à 14:42

'Keep the Lights On' m'avait laissé indifférent, voire agacé, je m'étais laissé touché par 'Love Is Strange', je voulais voir celui-là juste pour Franz Rogowski, mais si c'est encore moyen ou mauvais, je passe mon tour.

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