Hunger : critique d'un Cauchemar en cuisine sur Netflix
Pour son troisième long-métrage à la réalisation, le cinéaste thaïlandais Sitisiri Mongkolsiri (Inhuman Kiss, Last Summer) propose un thriller au récit englué dans le monde de la haute gastronomie. Produit par Netflix, Hunger a pour ambition de livrer sur un plateau d'argent une critique sociale acerbe. Mais le plat est-il à la hauteur du menu ?
Eat the rich
Qu'il s'agisse des décors froids de cuisines en inox à la propreté suspecte, des étalages de couteaux semblables à un attirail prompt à la torture, ou encore du climat dictatorial auquel se prêtent les brigades, le monde culinaire n'a pas son pareil pour inspirer moult sordides recettes. Un potentiel déjà largement exploité par de récentes productions telles que Le Menu de Mark Mylod, Pig porté par Nicolas Cage, voire d'une certaine mesure, la Palme d'or du Festival de Cannes 2022, Sans filtre.
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que Sitisiri Mongkolsiri, déjà habitué aux thrillers par ses précédents crédits à la réalisation, se soit approprié avec brio le scénario anxiogène de Kongdej Jaturanrasamee. Aoy (Chutimon Chuengcharoensukying), la vingtaine, se destine bon gré mal gré à reprendre le restaurant familial – un boui-boui rural au menu principalement composé de plats de nouilles populaires. Repérée à l'improviste par le sous-chef d'un célébrissime cuisinier, cette dernière se voit offrir l'opportunité de toute une vie.
Certes, ces prémisses ont de quoi rappeler celles du premier Kung Fu Panda. Fort heureusement, les similitudes s'arrêtent à ces grandes lignes préliminaires tandis que le récit ajoute une poignée d'ingrédients à son intrigue. Rapidement, la proposition devient limpide au spectateur, et le cinéaste ne se donne nullement la peine d'y aller avec le dos de la cuillère : plus qu'un thriller sur le caractère impitoyable du milieu de la haute gastronomie, Hunger est avant tout une dénonciation de la lutte des classes thaïlandaise (ou plus généralement, mondiale).
Outre le contraste évident entre Aoy et le Chef Paul (Jayanama Nopachai), Mongkolsiri n'hésite pas à donner dans le grotesque en figurant l'élite du pays se bâfrer avidement des plats de ce cuisinier de légende, appuyant sans subtilité (aucune) sur le symbolisme social que prête le récit à la nourriture. Chaque élément mis en scène par le cinéaste, des dialogues aux motivations des différents personnages, s'applique alors à exposer le monstrueux fossé séparant la bourgeoisie des plus modestes.
Boulimie de luxe
Par-delà ses ambitions dénonciatrices, Hunger propose également de porter un regard incriminant sur le monde du travail, le prix du succès, ou encore les dessous douteux propres à l'industrie du luxe. Si l'intention est louable, la multiplication des thématiques adressées par l'intrigue vire peu à peu au gavage forcé, ce qui en affaiblit le propos central, et rend inévitablement la digestion difficile pour le spectateur.
Il ne s'agirait toutefois nullement de cracher dans la soupe. Certes, le plat servi par Mongkolsiri est copieux, mais il ne manque pas de saveur et demeure globalement équilibré. L'un des principaux mérites du film repose par ailleurs dans son sens du rythme, lequel atteste d'une maîtrise évidente des codes du thriller. Si la métaphore d'une bouilloire sifflant crescendo sur le feu est une image fort convenue, elle n'en reste pas moins prompte à décrire le sentiment de tension continue que le cinéaste parvient à inspirer au spectateur. Une cuisson de wagyu n'a que rarement semblé si oppressante.
L'ensemble du film profite également des solides interprétations de son duo principal – et si Jayanama Nopachai (Headshot) est glaçant dans le rôle de l'intransigeant Chef Paul, la jeune Chutimon Chuengcharoensukying lui vole allègrement la vedette. Non seulement l'évolution de son personnage est l'un des arcs les plus captivants du récit, mais la performance nuancée de l'actrice lui apporte un caractère aussi organique qu'hypnotisant.
Avec son scénario boulimique, Hunger aurait aisément pu tomber dans le thriller ubuesque, mais par la mise en scène aux petits oignons de son cinéaste, le déroulement finement mené du récit et les prestations de ses acteurs, le film parvient à engager son spectateur d'un bout à l'autre. Assurément, le format sériel aurait davantage convenu aux multiples diatribes que recèle le scénario, et il est effectivement possible de reprocher à Mongkolsiri son manque criant de subtilité. Néanmoins, comme dirait l'un des personnages, la finalité du message en vaut bien la chandelle.
Hunger est disponible sur Netflix depuis le 8 avril 2023 en France
Lecteurs
(2.9)13/04/2023 à 20:21
Superbe film qui dénonce les inégalités dans le monde asiatique. Très valable ppur la France aussi. Le rythme est parfait, le film se tient de bout en bout. Le metteur en scene est vraiment un
hampion du suspense. Jean-Pierre de Villers