La Syndicaliste : critique d'un Huppert film

Judith Beauvallet | 28 février 2023 - MAJ : 28/02/2023 10:34
Judith Beauvallet | 28 février 2023 - MAJ : 28/02/2023 10:34

Non, La Syndicaliste n'est pas la suite de La Daronne, réalisé en 2019 par le même Jean-Paul Salomé et avec la même Isabelle Huppert dans le rôle principal. En revanche, il s'agit bien d'une adaptation de l'histoire vraie de Maureen Kearney, syndicaliste du groupe Areva, cible de nombreuses menaces et victime d’une agression à son domicile en 2012. D’abord considérée comme menteuse et condamnée, Maureen Kearney a été relaxée en appel. Avec La Syndicaliste, Salomé relate son combat politique et personnel.

C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS

L’histoire vécue par Maureen Kearney est déjà un thriller en elle-même. Un parcours de combattante traversé dans la douleur, entre idéaux bafoués, corruption à tous les étages, retournements de situation improbables et bouleversement de vie personnelle. Salomé a été séduit par la possibilité de mettre en images ce scénario pré-écrit et de contribuer à porter la voix de Maureen Kearney, doublement victime. D’abord menacée puis agressée chez elle (un intrus l'a bâillonnée et l'a ligotée avant de graver la lettre “A” sur son ventre et d’enfoncer le manche du couteau dans son vagin), Maureen n'a pas été prise au sérieux et la justice a même retourné son témoignage contre elle.

 

La Syndicaliste : photo, Isabelle HuppertPlus vraie que nature

 

L’intention de Salomé est louable, on sent toute son implication dans l’histoire et son admiration pour Maureen Kearney à travers le portrait sensible et complet qu’il en brosse. Isabelle Huppert, de son côté, disparaît derrière les lunettes et les cheveux blonds pour laisser place à un personnage incarné avec force. Voici la peinture appliquée d’une femme étonnamment forte et courageuse, que le système s’acharne à briser, et dont le film ne veut ignorer aucun aspect, positif ou négatif. Mais les bonnes intentions sont-elles suffisantes ? Salomé tient à retracer fidèlement une histoire importante, mais comme pour chaque film historique ou chaque biopic, cette fidélité finit par poser problème.

À commencer par le rythme du film, hétérogène et laborieux, parce qu’il colle de trop près à celui de la réalité. Le flashforward d'introduction, qui ouvre le film sur la scène du crime qui arrivera bien plus tard, perturbe : pas assez percutant, il ne parvient pas à donner une cohérence à l’ensemble et à annoncer le développement de l’histoire. La Syndicaliste commence comme un thriller politique et se change à mi-parcours en drame intime, en bouleversant complètement les enjeux posés. Si les deux parties ont leurs intérêts, elles se marient mal et le manque de résolution concernant les situations exposées au début est frustrant.

 

La Syndicaliste : photo, Isabelle HuppertOù es-tu Manu Areva ?

 

écriture et écrémage

Au milieu de ces deux parties, la vie de famille de Maureen Kearney fait office de liant. C’est l’aspect sur lequel Salomé s’est permis le plus de libertés, puisqu’il ne s’agit pas de faits publics. Grégory Gadebois est très juste dans son rôle de mari au soutien exemplaire, et la plupart de ces scènes du quotidien sont bienvenues pour caractériser le personnage de Kearney et montrer la manière dont les menaces pèsent sur sa vie personnelle. Malheureusement, nombre des dialogues de ces séquences sont plombés par une écriture très scolaire et pédagogique, dont on sent qu'ils ont été étudiés pour être les plus justes, mais pas vivants pour autant.

 

La Syndicaliste : photo, Isabelle Huppert, Grégory GadeboisMariés au premier regard

 

Dans l’écriture se perdent aussi certains personnages secondaires. Notamment Luc Oursel, nouveau président du directoire d’Areva incarné par Yvan Attal, qui est tout d’abord annoncé comme le grand méchant de l’histoire. Lui qui veut brader le savoir nucléaire français à la Chine et qui lance des chaises à la figure de Kearney, il est au centre du combat qu'elle mène, tant sur un plan politique que sur un plan humain. Pourtant, dès lors que le film se recentre sur le parcours judiciaire de Maureen, Oursel disparaît des radars, et sa mort d'un cancer est mentionnée bien plus tard au détour d’un coup de fil sans que son personnage retrouve la moindre influence sur l’histoire.

Ce défaut de narration prouve encore que des faits réels en eux-mêmes peuvent difficilement constituer un scénario de fiction satisfaisant. La même chose arrive au personnage de la prédécesseuse d’Oursel, Anne Lauvergeon, campée par Marina Foïs et dont les dialogues complices avec Kearney sont vite évacués, sans annoncer ou justifier la manière dont elle finira par trahir sa consœur. Si ce grand ménage fait autour du personnage principal a sans doute pour but de montrer son isolement progressif, les faiblesses d'écriture n'en font qu'une suite d'arcs non résolus.

 

La Syndicaliste : photo, Isabelle Huppert, Yvan AttalEn salle des profs

 

MONIKA KEARNEY

Si le film affiche une mise en scène et une photographie sobres, dont l’intention évidente est de ne pas tomber dans une esthétique de thriller et ainsi rester au plus près d’un quotidien crédible, Salomé s’autorise un pas de côté dans le tout dernier plan du film. Celui-ci a lieu après la réhabilitation de Kearney, désormais innocentée et reconnue victime de viol, suite à un combat acharné de plusieurs années. Kearney donne alors une intervention publique et se retrouve de nouveau en position de force, devant un micro.

La séquence en question se termine par le parti pris de mise en scène la plus tarte à la crème du cinéma : le fameux regard caméra qui brise le 4e mur. En un plan serré sur le visage d’Isabelle Huppert qui défie l’objectif, filmé dans le même axe que le boss de tous les regards caméra – celui du Monika de Bergman –, celui-ci assume sa filiation. Problème : le film reste trop anecdotique et sage pour que ce point final apparaisse comme autre chose que ridicule.

 

La Syndicaliste : photo, Isabelle Huppert, Marina FoïsJuste pour cette Foïs

 

Une erreur de style qui joue contre son camp et ponctue le film avec le ton surfait qui lui correspond, mais qui ne saurait faire oublier les qualités de ce récit. Car il faut reconnaître à La Syndicaliste son application à représenter frontalement la difficulté du parcours que doit mener une femme victime pour se faire entendre par la justice, et a fortiori si son combat est teinté de politique. Pour sa dénonciation claire d’un système discriminatoire inapte à traiter efficacement les affaires de viol, et le rappel du scandale d’Areva au passage, le film de Salomé méritait de voir le jour.

 

La Syndicaliste : Affiche officielle

Résumé

Un film qui se veut trop édifiant pour être vraiment pris au sérieux, du fait d'une écriture bancale qui préfère coller à la réalité plutôt que d'aller vers une narration cohérente. On en retient néanmoins l'importance de son sujet et la performance d'Isabelle Huppert, totalement au service du personnage de Maureen Kearney.

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Lecteurs

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commentaires
Nobody
27/03/2023 à 11:42

Hélas, la réhabilitation d'Anne Lauvergeon et l'absence de toute critique à l'égard de la filière électro-militaro-nucléaire française viennent ternir ce film qui aurait pu être un beau combat de David(e) contre Goliath(e). De plus la confusion des genres (film politique, policier ou syndical ?) dans laquelle le réalisateur s'englue peu à peu décrédibilise son propos dont on ne sait pas s'il vante la combattivité ou la fragilité de cette syndicaliste, s'il critique ou défend les institutions (justice, police), s'il croit que la filière nucléaire française est en danger à cause des appétits chinois ou de la fragilité des tuyaux et de l'accumulation des déchets. Bref, on est loin d'Erin Brockovitch, du Tunnel ou du Syndromee chinois !…

Eusebio
09/03/2023 à 13:50

Totalement en accord avec votre critique. Un sujet important, dont on aurait pu tirer autre chose qu'un film qui se déroule sans grande envergure, un peu ronflant, pas désagréable mais clairement pas inoubliable. La faute sans doute à une écriture très lisse, des arcs narratifs survolés et une réalisation pépère.

"Oui... Bon ben c'est un film français avec Isabelle Huppert, quoi", disait mon voisin de ciné à la sortie de la séance.

Je n'aurais pas mieux dit.

Sarafian
01/03/2023 à 18:11

Je sors d'une séance et je vous trouve d'une sévérité extrême avec ce film. C'est un excellent film politique, avec un scénario très maîtrisé ne vous en déplaise et une distribution solide. Mention à Marina Foïs qui est subtilement ambigüe et Attal très crédible. Vous aviez bien compris que si le film s'appelait La Syndicaliste c'est bien que ce personnage était au centre du propos et que les autres personnages graviteraient autour. Donc votre réflexion sur le destin d'Oursel tombe à plat. Je voudrais voir plus souvent des films aussi intelligents et encore une fois maîtrisés. Rares sont les longs métrages français dénonçant la classe politique et le monde de l'entreprise. Je suis par contre d'accord sur ce dernier plan, ce clin d'oeil à la caméra qui est un parti-pris plutôt contestable.

Hank Hulé
28/02/2023 à 11:01

J'irai le 7 mars...

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