L'Etrange histoire du coupeur de bois : critique qui bûche

Mathieu Jaborska | 4 janvier 2023
Mathieu Jaborska | 4 janvier 2023

Découvert à l'Etrange Festival après un passage par la Semaine de la critique à Cannes, le conte fantastique finnois L'Etrange histoire du coupeur de bois s'est frayé un chemin en salles ce 4 janvier 2022. Un choix de programmation audacieux, qui fait débuter l'année les pieds dans la neige, sous le signe du surréalisme, de la poésie et d'un indéféctible optimisme.

Touche du bois

Définir l'ambiance très particulière de L'Etrange histoire du coupeur de bois (annoncée d'ailleurs par son titre) comme typiquement nordique pourrait paraitre caricatural si son auteur lui-même n'assumait pas cette prémisseMikko Myllylahti raconte qu'il cherchait une idée de scénario, chez lui, à la campagne, et qu'il a engagé un bûcheron pour abattre l'un de ses arbres. Son calme et sa sympathie l'ont intrigué : l'homme, sans âge, avait dû quitter, faute de travail, son village où logeait sa famille, sans que cela ne semble le perturber outre mesure.

Et le metteur en scène d'en tirer une conclusion sur le tempérament de ses semblables, capables de subir les pires galères sans broncher, du moins sans laisser paraître leur désarroi. Se définissant lui-même comme un indécrottable optimiste, il en a donc tiré ce personnage attachant, Pepe (rien à voir avec une grenouille virale), campé par Jarkko Lahti (SparrowsOlli Mäki), pauvre gars licencié de son emploi de bûcheron et condamné à voir son patelin sombrer dans la dépression, la folie, voire l'absurdité pure et simple. Le tout avec un air et un sourire innocents qu'il gardera du premier au tout dernier plan du film.

 

Metsurin tarina : Photo Jarkko LahtiTête en l'air

 

Si Myllylahti est un réalisateur et scénariste, diplômé de la ELO Helsinki Film School, responsable d'un court-métrage déjà diffusé lors de la Semaine de la critique et du scénario de Olli Mäki, il est surtout connu en tant que poète (il a publié plusieurs recueils). Il a donc choisi volontairement de s'éloigner d'un carcan narratif classique, avec comme objectif de faire régulièrement bifurquer le récit dans une direction inattendue, sans pour autant déroger au rythme lancinant de l'ensemble.

L'épopée mutique, quoiqu’insouciante, du coupeur de bois en question n'est contre toute attente pas un prétexte à la comédie – bien que quelques touches d'humour sont distillées ici et là – mais plutôt une sorte de déambulation existentielle au sein d'une petite communauté qui finit par se déliter jusqu'au non-sensique.

Au fur et à mesure que la galerie de personnages secondaires sombre dans la folie et que l'étrangeté du titre contamine ce petit village, l'attitude décalée (il pleure dans les moments heureux) de notre héros finit ironiquement elle-même par lorgner sur le surnaturel. Fantôme dans un microcosme complètement déréglé, il pose une question qui vire à l'obsession : à quel point l'esprit humain dépend-il de son environnement ? L'est-il toujours – humain – quand son monde s'écroule ?

 

Metsurin tarina : Photo Jarkko LahtiParties de pêche nocturnes

 

Surrealism is myself

Libre à nous, donc, de constater la portée quasi ontologique de cette curieuse flânerie, où toutes les composantes établies de la société humaine sont détricotées jusqu'au néant (la famille s'éloigne, le travail manque, puis ne rime plus à rien) ou d'embrasser pleinement la subjectivité du protagoniste, de revêtir sa chapka, son air hagard, et de contempler, hypnotisés, un univers de plus en plus surréaliste. Et il peut être en effet tentant de se laisser porter par la rythmique millimétrée du récit, renvoyant aux plus nébuleux des films de Tarkovski (principalement L'Enfance d'Ivan et Nostalghia, référence assumée par le cinéaste) ou tout simplement au registre poétique que son auteur maîtrise si bien.

Une bulle de plasma qui s'élève dans une salle de pause, une voiture enflammée, un monstre inconnu qui émerge d'un trou de pêche, une boule de poils fugace... Malgré la beauté de ces quelques instants suspendus, c'est bien grâce à l'organisation et aux variations de ses dérapages absurdes, parsemées dans la froideur irréelle de la Laponie, que le long-métrage happe le spectateur conciliant. Le fantastique pur succède à une aliénation collective plus concrète, initiée par le devin/gourou qui vient exploiter (ou presque) la dépression des villageois mis à la porte. Le délire physique (le meurtre) surnage dans une paranoïa collective.

 

Metsurin tarina : Photo Jarkko LahtiLigma Ball

 

Rien ne va plus dans ce village trop blanc pour être vrai, auquel l'usage du 35 mm et la musique entêtante de Jonas Struck (qui, à l'image du film, passe des chants choraux à une ambiance glaciale proche du The Thing de Morricone) ajoutent une texture et un soupçon de bizarrerie supplémentaires. Et la manière dont on tente de se repérer dans cette réalité de moins en moins fiable nous relie indubitablement aux questionnements de ce héros improbable. D'où la difficulté de s'attacher aux personnages qui défilent comme autant d'apparitions impromptues (la petite fille), ceux-ci désobéissant en permanence aux règles de la fiction.

Ne reste plus qu'à se laisser embarquer dans cette escapade neigeuse et à se laisser aller, progressivement délesté du poids des conventions de narration et plus largement du travail, de la famille, de la vie en communauté, voire du sens de l'existence. N'est-ce pas là, selon les préceptes surréalistes, une forme de liberté ?

 

L'Etrange histoire du coupeur de bois : Affiche

Résumé

L'Etrange histoire du coupeur de bois, ou comment faire rimer optimisme absurde et surréalisme poétique.

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Lecteurs

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commentaires
Cyril29
28/06/2023 à 00:44

Bonsoir, j'arrive un peu après la bataille mais quelqu'un connaîtrait une plateforme légale où voir ce film ? J'étais intéressé, mais ça n'a pas l'air d'avoir été diffusé très largement.

Emmanuel
27/01/2023 à 14:46

Franchement, j'ai pas aimé, trop bizarre et sans queue ni tête.

Un m
16/01/2023 à 10:31

Vidéos
Jgfjmp

Jgggh


07/01/2023 à 19:34

Bonsoir,

Merci pour cet critique.

Cependant ce film n'est pas finnois, il est finlandais. Le finnois, c'est la langue.

Geoffrey Crété - Rédaction
04/01/2023 à 14:57

@Tutut

On fait au mieux ! On aimerait pouvoir faire encore plus, et mieux, parce que chaque mois on doit malheureusement et à contrecoeur laisser des films et séries de côté... et parfois alors même qu'on les a regardées sur notre temps libre (mais le temps d'écrire un article digne de ce nom, c'est parfois ingérable).

Tutut
04/01/2023 à 14:56

@Goeffrey, Je trouve ça très bien que vous passiez en revue ce qui est moins souvent commenté ailleurs! On est souvent bombardé d'info des grandes productions et votre site me permet de découvrir autre chose.

Geoffrey Crété - Rédaction
04/01/2023 à 14:36

@Zarbiland

Qui ça, ils ? Nous ?
Il y a quantité de films et séries (et jeux vidéo et comics et etc) dont on ne parle pas chaque semaine. Pas parce qu'on ne veut pas, mais parce qu'on ne peut pas. L'équipe se démène déjà pour couvrir autant que possible l'actu et parler d'autres choses que l'actu. Nos moyens sont limités, on reste un site indépendant, donc impossible de tout voir et traiter.

Zarbiland
04/01/2023 à 14:21

Sinon, il y a The offer sur paramount plus, série génialissime sur la production du film Le Parrain. Mais bizarrement ici ils n'en parlent pas

Drachiam
04/01/2023 à 13:50

26 séances seulement sur tout le pays... autrement dit bon courage pour aller le voir au ciné

Drachiam
04/01/2023 à 13:50

Que 26 séances seulement en tout sur toute la France... bon courage pour réussir à le voir au ciné

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