Falcon Lake : critique d'une autre Ghost Story

Geoffrey Crété | 6 décembre 2022 - MAJ : 06/12/2022 14:31
Geoffrey Crété | 6 décembre 2022 - MAJ : 06/12/2022 14:31

C'est une histoire d'amour, d'adolescence et de fantômes. C'est le premier film réalisé par Charlotte Le Bon, adapté du roman graphique de Bastien Vivès, et produit par Jalil Lespert et Dany Boon (oui oui). C'est Falcon Lake, avec Joseph Engel et Sara Montpetit, et c'est l'une des plus belles surprises de 2022.

LE LAC DES SIGNES

C'est la plus vieille histoire du monde : un garçon rencontre une fille. Il s'appelle Bastien, il a 13 ans, et il vient passer un été avec ses parents chez des amis, dans une maison au bord d'un lac au Québec. C'est là qu'il rencontre la fille : Chloé, 16 ans. Trois minuscules années qui sont un gouffre à cet âge où l'adolescence déchire les habits de l'enfance. Et c'est justement dans cet entre-deux, et ce flottement entre l'envie et la peur de grandir, que la magie arrive. La magie d'une histoire improbablement belle, mais aussi la magie de Charlotte Le Bon, qui signe ici son premier film.

Avec son co-scénariste François Choquet et sur les conseils avisés de Jalil Lespert (qui l'a dirigée dans Yves Saint Laurent et Iris), Charlotte Le Bon a librement adapté la BD Une sœur de Bastien Vivès. Librement, parce que la Bretagne a laissé place à son Québec natal. Dans ce paisible décor où elle a elle-même grandi, et où Jason Voorhees aurait pu passer un bel été, elle tricote une petite histoire de grands sentiments sur le canevas bien connu de la coming of age story.

Sauf qu'elle y ajoute une petite touche de pure poésie fantastique, que ne renierait pas A Ghost Story de David Lowery. Et qu'elle filme ses personnages avec une délicatesse et une intelligence rare. Et qu'elle dirige Joseph Engel et Sara Montpetit avec un talent évident. Et qu'elle prouve, dès son premier film, et avec une simplicité désarmante, qu'elle est déjà une réalisatrice à suivre de près.

 

Falcon Lake : Photo Joseph Engel, Sara MontpetitAdolescence(sens)

 

les corps impatients

Charlotte Le Bon ne réinvente pas la roue, mais ça n'est jamais le sujet de Falcon Lake. Un peu comme Olivia Wilde avec le beau Booksmart, qui réinvestissait tous les clichés du teen movie américano-américain avec une tendresse folle, elle pose un regard simple mais unique sur ce petit monde où les corps et les cœurs frémissent. La réalisatrice a beau rassembler tous les motifs attendus du genre, elle leur donne une couleur bien particulière (littéralement même, avec le choix de filmer en 16 mm).

Les adultes indispensables dans ce genre d'histoire ? Relégués ici au troisième plan, pour renforcer la sensation que le monde des enfants-ados est sur une autre planète, coupée de tous. L'incontournable soirée entre ados ? La scène de danse prend la forme d'une étrange hallucination, où Bastien semble se transformer derrière un masque, le temps d'une parenthèse-pulsion. Même ce lac au milieu de la nature, vu mille fois au cinéma, est d'emblée présenté comme un lieu inquiétant et étrange.

C'est particulièrement saisissant lorsque Charlotte Le Bon filme les peaux qui se rapprochent ou se révèlent. Bastien veut (trop) vite grandir, et Chloé semble vouloir ralentir le temps en le préférant aux garçons de son âge. En plein jour, c'est un jeu de cache-cache malin (le corps de Bastien inévitablement tiré vers le bas, le t-shirt de Chloé volontairement tiré vers le haut). Et dans l'obscurité d'une salle de bain, quand le rapprochement est possible, elle le filme avec toute la pudeur et la douceur des premières fois, sans ellipse ni fioriture.

 

Falcon Lake : photoNoir désir

 

melancholia

Puis, il y a la dernière ligne droite, magique dans tous les sens du terme. D'abord avec un silence assourdissant et d'une intelligence folle, puis avec une course enivrante, portée par la magnifique musique de Shida Shahabi. C'est l'ultime mouvement qui boucle la boucle, et prouve définitivement le talent de Charlotte Le Bon réalisatrice.

Falcon Lake est vendu comme "une histoire d'amour et de fantômes". Parce qu'avec chaque histoire d'amour, on laisse une part de soi derrière, avec l'autre. Parce qu'au fond, tout le monde trimballe les fantômes des histoires passées, en emportant cette petite miette de l'autre que personne ne pourra reprendre. On devient un spectre pour quelqu'un, quelque part, et on est soi-même hanté. Le film pousse cette idée jusqu'au bout, avec une simplicité qui brise le cœur.

 

Falcon Lake : photoCrépuscule des cœurs

 

C'est là que Falcon Lake touche du bout des doigts une petite magie. En transformant le teen movie en film de fantômes, au sens propre et figuré, Charlotte Le Bon raconte à merveille la mélancolie propre à cette période de mutations et de deuils – l'enfance qui disparaît derrière l'adolescence, elle-même avalée par l'âge adulte. Dans cette période où tout devient rapidement la fin du monde, et où chaque sentiment ressemble à l'apocalypse, l'histoire de Chloé et Bastien prend une valeur extraordinaire. Et le film est de leur côté, dans leur bulle hors du temps, pour rendre compte de cette beauté jusqu'à la toute fin.

Le dernier fantôme de l'histoire ? Celui que Falcon Lake laisse, et qui s'accroche un moment après le générique de fin. La fin parfaite d'un grand petit film.

 

Falcon Lake : Affiche française

Résumé

Une douce rêverie mélancolique, qui commence comme un tendre teen movie avant de s'envoler vers une poésie d'une infinie délicatesse. Charlotte Le Bon, refais vite un film stp.

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Lecteurs

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commentaires
Ozymandias
05/11/2023 à 22:53

Très joli film, j'ai adoré. C'est sensible, rempli de poésie, doté d'une très jolie photographie... Super premier film.

Dario 2 Palma
17/01/2023 à 16:56

J'ai trouvé cette chronique ado terriblement plate, convenue et ennuyeuse; j'ai l'impression d'avoir vu cette histoire des centaines de fois. Reste un cadre et deux acteurs plutôt sympathiques, mais un film au final vain et soporiphique.

Geoffrey Crété - Rédaction
07/12/2022 à 09:48

@Judith Beauvallet

VOUS ALLEZ VOUS CALMER

Cidjay
07/12/2022 à 09:24

Falcon Lake : Magnifique endroit de la province Canadienne du Manitoba.
Apparemment source d'inspiration de grande qualité.
je vous suggère d'écouter "Jim Bryson and The Weakerthans : The Falcon Lake incident"
pour vous imprégner de l'ambiance (magnifique album)
Concernant le film, à voir, si ça ressemble à "A Ghost Story", c'est du tout bon !

Judith Beauvallet - Rédaction
06/12/2022 à 23:59

MOI JE DIS CINQ ETOILES

Sanchez
06/12/2022 à 15:22

Les images donnent extrêmement envie

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