Coup de théâtre : critique à couteaux manqués

Antoine Desrues | 13 septembre 2022
Antoine Desrues | 13 septembre 2022

Avec le succès d’A couteaux tirés (super) et des réadaptations d’Agatha Christie par Kenneth Branagh (moins super), le whodunit connaît une renaissance logique, qui espère bien capitaliser sur des codes connus de tous, et sur un casting cinq étoiles. C’est exactement le programme sans surprises de Coup de théâtre, porté par Sam RockwellSaoirse Ronan et Adrien Brody .

Théâtre de sang

Qu’on aime ou pas le premier Deadpool, il faut bien reconnaître que le film de Tim Miller s’impose d’année en année comme un marqueur culturel “important”, tant son rapport au second degré et à un quatrième mur explosé au bazooka s’est répandu comme une marée noire dans l’industrie hollywoodienne. Signe de médiocrité de l’époque ou d’une simple lassitude, les notions de genres et de codes cinématographiques ne sont plus que des cases à cocher pour mieux s’en moquer.

La norme semble être à l’absence d’exigence et d’inventivité, dissimulée sous le vernis d’un humour conscient que l’entreprise ne croit pas en son récit, et encore moins dans le fait de réinventer la roue.

 

See How They Run : photo, Pearl Chanda, Adrien Brody"Toi aussi tu aimes le cynisme ?"

 

Si d’aucuns assurent que ce genre de déconstruction post-moderne fonctionne par cycles, il semblerait que le cinéma occidental soit plus que jamais dans le creux de la vague, désamorçant tout premier degré sur l’autel d’une connivence avec un spectateur qui ne serait pas dupe, et ne cherche plus à être dupé par la magie du septième art.

Sur ce point, la voix-off désabusée de Coup de théâtre a le mérite d’être claire : “C’est un whodunit. Quand vous en avez vu un, vous les avez tous vus”. Le clin d’œil forcé annonce la couleur : sous couvert d’une pseudo-modernité qui assurerait sa singularité, le film de Tom George (réalisateur de la série comique This Country) n’a envie de faire aucun effort.

 

See How They Run : photo, Saoirse RonanOn se ferait pas un peu chier ?

 

Le Crime de l'ennui express

C’est d’autant plus dommage que le long-métrage repose sur une mise en abyme amusante sur le papier. Alors que le producteur Damian Jones voulait réellement adapter une pièce tirée de l’œuvre d’Agatha Christie, il s’est rendu compte que La Souricière n’avait jamais pu être transposée sur grand écran à cause d’une clause de contrat. Celle-ci stipule qu’un film ne pourrait être fait qu’après la fin des représentations théâtrales. Pas de bol, cela fait maintenant presque soixante-dix ans qu’elle est jouée dans le West End de Londres.

C’est donc à partir de ce contexte que Coup de théâtre déroule son enquête dans les coulisses que ce panier de crabes qu’est le show-business. Un choix évident, mais duquel il aurait été possible d’exploiter un filon fun et grinçant. Malheureusement, mis à part deux pauvres blagues qui exploitent les possibilités de son décor (une dangereuse poulie, une fausse porte de sortie...), le film se contente de bien peu dans ce monde d’artifices, presque auto-satisfait de ses rares idées comme un enfant qui nous montrerait fièrement un collier de nouilles.

 

See How They Run : photo, Sam Rockwell"Bonjour, c'est moi le clin d'oeil complice. Prière de coopérer"

 

Dès lors, on pourrait se dire que l’ensemble s’inscrit dans la continuité des navets de Kenneth Branagh, sauf que celui-ci assume avec candeur son amour pour le whodunit, même s’il n’en fait pas grand-chose. De son côté, Coup de théâtre agace, la faute à une narration aussi débonnaire que son personnage principal, inspecteur dépressif incarné par un Sam Rockwell décevant.  

Non seulement la plupart des vannes tombent à l’eau, mais la dynamique globale du récit est empesée par ce besoin de relever des clichés comme les flashbacks ou les climax explosifs alors que le scénario fonce tête baissée dedans. Pire encore, on pourrait (presque) tolérer un tel cynisme si le film pouvait au moins résister à un examen rigoureux, ce qui serait la moindre des choses pour un whodunit.

Mais là encore, le long-métrage ne cherche pas à mettre en valeur les rouages complexes de son enquête, c’est-à-dire la source de plaisir principale instiguée par le genre. À l'inverse, Tom George préfère rendre sa mise en scène extrêmement démonstrative, et ne se concentre que sur une poignée de personnages, quitte à réduire la liste des suspects.

 

See How They Run : photo, Harris Dickinson, David Oyelowo, Ania Marson, Ruth Wilson, Sian Clifford, Jacob Fortune-Lloyd,Un casting au demeurant très bien pensé

 

Poirot ou Navet ?

À vrai dire, Coup de théâtre est d’autant plus navrant qu’il essaie désespérément de recréer la réussite d’A couteaux tirés. La différence, c’est que Rian Johnson est revenu à la substantifique moelle du whodunit, non pas en rejetant ses codes pour en observer l’obsolescence, mais en les embrassant pour mieux les pervertir.

Voilà comment on façonne un objet post-moderne malin, qui s’amuse tout en amusant les spectateurs. Le manoir aux pièces secrètes, la troupe de personnages détestables et les enquêteurs aux accents improbables, tout y passait avec une énergie revigorante, qui rendait un hommage sincère à l'identité d'Agatha Christie pour casser derrière certains pré-requis (le personnage incapable de mentir) ou y insuffler des thématiques plus contemporaines (le statut d’immigré de ce même personnage).

 

See How They Run : photo, Saoirse Ronan, Sam RockwellOn se ferait pas un peu chier ? (bis)

 

En comparaison, Coup de théâtre se contente de sentiers battus, à commencer par un regard sur la misogynie de son époque très superficiel. La jeune policière volontaire et naïve incarnée par Saoirse Ronan a beau essayer d’être le cœur émotionnel du récit, sa présence ne semble justifiée que pour rappeler les rôles de l’actrice dans les films de Wes Anderson.

Avec ses plans de profil, ses travellings latéraux soignés et ses couleurs pastel, le film de Tom George cherche clairement à lorgner du côté du réalisateur de The Grand Budapest Hotel, mais sans la malice ou la mélancolie. Dommage, car Coup de théâtre est par instants sauvé par sa jolie photographie, et surtout par l’inventivité de sa musique, que l’on doit au toujours génial Daniel Pemberton. Mais rien de tout cela ne peut supporter l’odeur de naphtaline d’un projet tellement persuadé de sa modernité qu’il en devient encore plus ringard.

 

Coup de théâtre : photo

Résumé

Faussement post-moderne mais franchement bête et feignant, Coup de théâtre est une sacrée déception dans le revival récent des whodunit. Rendez-nous Rian Johnson !

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Lecteurs

(3.6)

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commentaires
Groucho
04/02/2023 à 09:39

Moi j'ai bien aimé

Tesla Kusturica
14/09/2022 à 15:57

@kyle reese
Tellement !

Loozap
14/09/2022 à 15:35

Moi j'ai bien kiffé le délire

poutrelle
14/09/2022 à 11:26

super film 4/5

Kyle Reese
13/09/2022 à 17:49

Dingue comment Sam Rockwell avec sa moustache et son costume me fait penser à Gérard Jugnot dans Papy fait de la résistance.

Prisonnier
13/09/2022 à 17:06

Godard, il est mort à bout de souffle du mépris envers les autres.

Sanchez
13/09/2022 à 16:39

Un grodard ! Au paradis des guêpes

Connais pas...
13/09/2022 à 16:09

Godard ? Je ne connais pas !
C'est quoi un Godard ?

Sanchez
13/09/2022 à 14:25

Et la necro sur Godard elle était pas prête EL ? ;)

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