Vesper Chronicles : critique du bijou apocalyptique de 2022

Simon Riaux | 17 décembre 2022 - MAJ : 17/12/2022 12:13
Simon Riaux | 17 décembre 2022 - MAJ : 17/12/2022 12:13

Il paraît que quand on n'a pas d'argent, mieux vaut avoir des idées. Vesper Chronicles illustre cette maxime à la perfection en y ajoutant une remarquable louche de talent. Et il en faut pour relever le défi de proposer au spectateur de 2022 un récit de science-fiction ambitieux graphiquement, émouvant et inventif, loin des budgets pharaoniques des blockbusters nord-américains. Autant d'ardeurs qui explosent à l'image, parfois jusqu'à la sidération.

L’APOCALYPSE DES ENFANTS PERDUS 

À même un sol boueux, les mains d’une silhouette frêle s’agitent et pressent de curieux tubercules. Difformes et spongieux, ils sont palpés, pressés, puis rejetés au loin, comme s’il n’y avait plus rien à tirer de ces fruits inconnus. Alors que la caméra s’éloigne de cette action qu’on devine fastidieuse, la silhouette se fait celle d’une enfant, le sol détrempé devient une rizière de fortune, tandis que se dessine derrière elle une vaste superstructure à l’abandon. Ce mouvement du particulier vers le général, du détail vers le tableau, c’est précisément ce qui fait, dès son introduction, la valeur de Vesper, et nous permet de retrouver quelques-unes des plus précieuses spécificités de la science-fiction. 

 

 

Les récits de science-fiction, sous l’impulsion d'exécutifs gourmands en franchises ambitieuses et au potentiel spectaculaire, auront rarement engendré autant d’attention de la part des studios américains. En apparence, puisque sous les ors des conflits stellaires et autres hochets issus du genre, la plupart des blockbusters contemporains se gardent bien d’explorer les thématiques ou terrains d’élection qui ont fait de la SF une typologie pionnière, confondant souvent densité et pyrotechnie.

 

Vesper Chronicles : photo, Raffiella ChapmanDes marais pas marrants

 

Conflits génériques, héros duplicables, enjeux tièdes et spectacle attendu... Ni la science ni la fiction ne se rencontrent plus guère au sein du cinéma américain. Et c’est cette ambition qui semble nourrir le film de Kristina Buozyte et Bruno Samper. Celle de renouer avec un imaginaire sans limites, conjugué à des protagonistes forts, et des inquiétudes viscérales quant à notre devenir commun. D’où la nécessité pour la caméra du long-métrage de nous donner à voir ses vastes concepts ou ses décors délirants, via les pupilles d’une toute jeune femme et de son père, devenu un précepteur biomécanique. L'immensément grand, l'intensément petit, et autant de possibilités en matière de jeux d’échelle. 

On ne saura pas grand-chose de la catastrophe qui a provoqué la quasi-disparition de l’espèce humaine, dont les derniers représentants se divisent entre survivants condamnés à récolter les maigres baies d’une nature mutante et quelques privilégiés reclus dans une cité à la technologie protectrice. Et jamais le scénario n’aura à expliciter ou caractériser trop avant les mécaniques de ce monde, puisque c’est à la narration visuelle d’assumer la charge de nous faire croire à cette vision à la fois naïve et cauchemardesque de notre futur. Et ce récit de nous pousser dessus, à la manière d’une vigne vierge retorse, dont aucun écueil ne parvient à entamer la vigueur. 

 

Vesper Chronicles : photo, Eddie MarsanUn oncle qui met les mains dans le cambouis

 

SCIENCE-FRICTION 

Le cinéma européen, notamment français, ne manque pas d’histoires ambitieuses ni de volonté, fût-elle kamikaze, de mener à bien de grands projets. Le récent Dernier Voyage et son appétence pour la poésie cosmique en constituent un excellent exemple, tant la générosité du projet se heurtait parfois à des moyens plus que chiches. On est donc d’autant plus impressionnés par la réussite plastique de Vesper, que ce long-métrage franco-belgo-lituanien s’avère être une des propositions les plus spectaculaires vues sur grand écran ces dernières années, qui accomplit le tour de force de proposer une totale réinvention de notre monde. 

L’univers du film a vu la nature se métamorphoser suite à une impulsion humaine, jusqu’à devenir un ensemble végétal prédateur pour qui ne parvient pas à décoder ses habitus et appétits. Créations numériques, modèles réduits, incrustations, perspectives forcées, jeux sur la photographie et le son... les cinéastes déploient une inventivité de chaque plan pour nous raconter ce monde en pleine métamorphose. Et leur inventivité n’a d’égale que leur impeccable maîtrise technique. Difficile de trouver une seule image défaillante, un seul décor rabougri ou la moindre faute de goût, de diagnostic quant aux méthodes employées. 

 

Vesper Chronicles : photoUn univers agonisant

 

Certes, on ne pulvérise pas ici de villes, pas plus qu’on ne bombarde de monstre alien baveux aux tentacules disproportionnés. Tout se fera dans la mesure, et dans la recherche de maximisation de chaque effet. Mais force est de constater que Vesper propose un enchantement d’orfèvrerie, de créativité et de cinéma tels que Marvel, Universal ou Warner se sont révélés bien incapables de les proposer ces dernières années.  

En témoigne la malice avec laquelle le film traite son climax. À l’évidence, le métrage ne peut aligner le budget qui autoriserait ses méchants de choc à débarquer fusil laser à la main, desquamant tout ce qui respire à la ronde. Qu’importe, Samper et Buozyte dotent leur trio de salopards d’un atour qui touchera les fans de l’Alien de Ridley Scott au cœur. Un concept simple, qui frappe immédiatement la rétine, et transforme trois figurants en tenue de commando en de redoutables hérauts de la mort, capable de redéfinir jusqu’à notre compréhension de la mythologie globale de l’oeuvre. 

 

Vesper Chronicles : photoJusque dans leurs moindres détails, les costumes interpellent

 

CLARTÉ VESPÉRALE 

Mais la réussite de Vesper n’est pas limitée à la splendeur de l’univers dépeint. Elle tient également à la rigueur de son écriture. Le projet ne peut pas se permettre d’élargir son intrigue au-delà d’une poignée de personnages, tout comme il doit s’efforcer de nous faire découvrir les codes de son monde par le biais d’un regard jeune, celui de son adolescente d’héroïne, pour être en mesure de tenir ses horizons thématiques et budgétaires. Et c’est logiquement de là que proviennent les rares limites de l’entreprise, condamnée à une narration “introductive”, dont les enjeux, s’ils sont brillamment exposés, demeurent relativement classiques. 

 

Vesper Chronicles : photo, Eddie MarsanLes nounours d'hier seront les grizzlys de demain

 

Mais revenir aux fondamentaux de la quête initiatique, traverser auprès d’un personnage une première aventure, aux airs d’épopée introductive, n’est jamais problématique, tant l’écriture parvient à donner corps aux conflits qui animent les personnages. Et pour ce faire, les deux cinéastes se sont appuyés sur une distribution aussi intelligente qu’inattendue. Spécialiste des petites choses malmenées par leurs semblables, Eddie Marsan campe ici un oncle esclavagiste, abusif, qui a industrialisé la maltraitance à l’encontre de sa glauquissime descendance. Richard Brake pour sa part et en dépit de son curriculum de tueur en série sanguinaire, probablement consanguin, prête ses traits à un paternel rude, mais concerné, alité par un mal cruel. 

Cette opposition à rebrousse-poil de l’orientation traditionnelle de deux “character-actors” – connus pour leur propension à incarner certains stéréotypes – permet à Vesper de toujours trouver un équilibre au sein d'une architecture narrative qui pourrait sembler académique, mais attaque systématiquement le monde dépeint par des biais inattendus. Ne reste plus dès lors aux metteurs en scène qu’à soigner la caractérisation de leur personnage principal, joué avec intensité par la jeune Raffiella Chapman, et au spectateur d’apprécier que s’articule sous ses yeux une des propositions de science-fiction les plus originales et débordantes de savoir-faire découvertes ces dernières années. 

 

Vesper Chronicles : Affiche française

Résumé

Derrière son récit direct et simple, Vesper Chronicles s'impose comme une des plus belles surprises de science-fiction de ces dernières années, à l'univers riche, à la direction artistique foisonnante et aux personnages solidement campés.

Autre avis Geoffrey Crété
Peu importe ses petits défauts d'écriture et son rythme parfois bancal : Vesper Chronicles emporte par la richesse de son univers, qui fourmille d'idées et de détails, et ouvre les portes d'un monde passionnant.
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Lecteurs

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commentaires
Corinne
13/06/2023 à 02:46

Tout simplement poetique, frais et si "plein d'espoir" : j'ai adoré !

Tarem
10/03/2023 à 20:15

@Madame Vagin : regarde bien dans le miroir, la vérité n'est souvent pas très loin.

Dom.
15/02/2023 à 20:11

J'ai adoré. Critique fort ajustée.
Un ovni. C'est vrai que les fans de super-héros stéréotypés vont être déçu.
Mais ceux qui pensent avec le coeur et l'âme seront conquis...
Un b-mol... Celà appelle furieusement une suite non ? Hein ? Please ! ;-)

Joris777
17/01/2023 à 17:10

Le 2 pour 2024

Zut de zut. ...
02/01/2023 à 18:11

J'aime et n'aime pas ce film.
J'en attendais mieux tout en attendant rien.

Beaucoup de choses m'ont plus, mais ce n'est hélas pas suffisant pour en faire un excellent film.

Ennuyeux au charme certain.
Je n'en garderai pas non plus un souvenir inoubliable.

Oui, mais bof.

????
29/12/2022 à 02:46

Non. Haha…

illyapof
25/12/2022 à 03:23

je viens de le terminer et j'ai adoré. En effet ça change des grosses productions hollywoodiennes mais ca en devient sa force.
J'aimerais beaucoup voir une suite avec les déconstructions des citadelles et le retour d'une civilisation digne de ce nom à l'extérieur.

John J
22/12/2022 à 10:19

Le titre d'ecran large " donne des nouvelles un peu rassurantes de spiderman 4"
"des nouvelles " tout simplement aurait été plus appropriée sauf si un des journalistes d'écran large a des actions chez Sony.

alulu
21/12/2022 à 16:26

J'ai maté Vesper Chronicles pile hier soir. C'est immersif dés les premières minutes mais j'avoue et honte à moi, que je me suis endormie juste après le meurtre commis par l'oncle de Vesper. Sinon ça me semble bien sur ce que j'ai vu et je vais sûrement finalisé la chose à coup de Red Bull.

Waito
18/12/2022 à 13:00

"Ni la science ni la fiction ne se rencontrent plus guère au sein du cinéma américain"
Lire ça la même semaine que votre orgasme à répétition sur Avatar 2, c'est rigolo.
Et au-delà de ça, c'est une remarque injustifiée. Seul Sur Mars, Gravity, Les Fils de l'Homme, Premier Contact, Nope, After Yang, Apollo 10 1/2, Les Crimes du Futur, Everything Everywhere all at Once ... La SF ne va pas si mal aux USA merci pour elle!

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