Thar : critique qui dépoussière le western sur Netflix

Clément Costa | 9 mai 2022
Clément Costa | 9 mai 2022

La nouvelle production indienne de Netflix donne les commandes au jeune cinéaste Raj Singh Chaudhary. Avec en tête d’affiche Harshvardhan Kapoor et Anil Kapoor, Thar : Les trois cibles dépoussière le western indien pour offrir un film-choc souvent captivant.

Everything, every genre, all at once

Avec Thar, Raj Singh Chaudhary se lançait le pari fou de réaliser un film de dacoit. Genre méconnu dans nos contrées, il s’agit de l’équivalent indien du western. Un type de western qui a fait les heures de gloire du Bollywood populaire avec notamment le monument Sholay en 1975. Ces dernières années cependant, les rares incursions du cinéma indien vers le dacoit ont donné vie à des westerns crépusculaires mêlant violence pure et propos politique impitoyable. On citera notamment Paan Singh Tomar ou encore le chef-d’oeuvre mal-aimé Sonchiriya.

Mais non content de s’attaquer à un des genres les plus exigeants possible dès son deuxième long-métrage, Chaudhary voyait les choses en plus grandes encore. Thar tente d’être à la fois un western, un polar et un film de vengeance. Le tout imprégné d’un message social fort et radical. Une ambition presque vouée à l'échec, mais qui force le respect.

 

Thar : Les trois cibles : photoUne maîtrise visuelle qui ne cesse de surprendre

 

D’un point de vue formel, le pari est largement tenu. On observe une vraie virtuosité de la mise en scène, un travail impressionnant sur la lumière et les couleurs. Les zones désertiques du Rajasthan constituent souvent un vrai piège pour les directeurs de la photographie. Difficile de les filmer sans obtenir une image fade et désincarnée. Si l’univers visuel de Thar est aride, poussiéreux et éreintant, il est également intense et toujours surprenant. On observe avec fascination un grain de l’image assez subtilement travaillé pour ne pas apparaître comme un énième filtre numérique artificiel.

Et pour donner encore un peu plus de vie à cet environnement hostile, le cinéaste compte sur l’écriture irréprochable des personnages secondaires. Chaque figurant semble incarné. On devine une histoire derrière chaque visage. Les dialogues incisifs écrits en grande partie par le toujours excellent Anurag Kashyap contribuent d’ailleurs à insuffler au récit un réalisme saisissant.

 

थार : photoThe Lone Walker Texas Ranger

 

Et pour quelques roupies de plus

Si l’on considère chaque genre que le film invoque de façon indépendante, Raj Singh Chaudhary maîtrise tous les registres. Le western fonctionne à merveille. Le polar nihiliste ferait passer True Detective pour une comédie familiale. Malheureusement, son scénario patine un peu plus dès qu’il s’agit de créer un ensemble homogène et cohérent. À trop vouloir en faire, le cinéaste se voit contraint de sacrifier par moments le rythme et la fluidité de son récit. Son envie de conclure toutes les histoires en un seul lieu offre un final assez brouillon.

Autre limite du film, son scénario devient prévisible et linéaire une fois que les enjeux principaux sont posés. Son héros mutique qui ferait passer Ryan Gosling dans Drive pour un grand bavard essaie bien de maintenir du mystère. Harshvardhan Kapoor l’incarne d’ailleurs avec une présence physique lourde et menaçante rappelant celle de Varun Dhawan dans le sublime Badlapur. Toutefois, difficile de ne pas voir la répétition assez mécanique dans le parcours de son personnage.

 

थार : photoLe fameux héros souriant et jovial du western classique

 

No Country For Young Woman

Mais ce qui fait la vraie force de Thar, c’est la brutalité avec laquelle il décrit un pays usé, poussiéreux, en pleine décrépitude. Le portrait acerbe d'une Inde oubliée de tous, qui se déchire à force de frontières, de castes et de traditions. Ça n’est évidemment pas un hasard si le cœur du récit tourne autour d’un fort abritant les pires horreurs, mais que personne ne visite jamais car il se trouve à la frontière pakistanaise. Thar utilise le contexte des années 80 comme prétexte pour dépeindre l’Inde contemporaine. Une nation divisée dans laquelle tout le monde se veut du mal.

La critique se fait encore plus virulente lorsqu’elle aborde les rapports entre hommes et femmes. Dans Thar, on découvre un monde d’hommes lâches, aveuglés par l’avarice, l’orgueil et dont l’honneur n’est qu’un prétexte à la violence. Dès les premières minutes du film, on voit un bandit abattre froidement une mère de famille. Le meurtrier repart en se moquant de sa victime qui "croyait pouvoir affronter des hommes". Cette violence masculine est terriblement incarnée par un Jitendra Joshi dont toute la bonhomie dans Le Seigneur de Bombay n'est qu'un lointain souvenir.

 

थार : photoMacho Unchained

 

Face à ces repères masculins défaillants, on croise des femmes sacrifiées, mais en quête de liberté. Bien conscient de l’époque qu’il traite et de la mentalité encore actuelle de ces régions reculées, le cinéaste ne tombe pas dans l’anachronisme des héroïnes modernes qui s’émancipent sans mal. Le personnage de Kesar, subtilement incarné par Fatima Sana Shaikh, témoigne d’une souffrance infinie tout en incarnant ce qui est peut-être une des seules notes d’espoir du film.

Dans l’ensemble, Thar saisit le spectateur par sa méchanceté et sa colère. C’est quand il se déchaîne que le récit est le plus fort, capable d’alterner entre vrai moment de poésie contemplative et choc radical. Les explosions de violence ne ménagent jamais le spectateur. Des séquences de torture filmées en plan fixe aux cadavres mutilés, Raj Singh Chaudhary ne nous laisse pas le luxe de la violence esthétisée pour créer un décalage avec la réalité. À des années-lumière de la relecture pop outrancière que Quentin Tarantino a faite du western, Chaudhary en tire une forme épurée qui n'en conserve que la rage.

Thar : Les trois cibles est disponible depuis le 6 mai sur Netflix

 

थार : photo

Résumé

Thar est un film âpre, mal-aimable, qui nous plonge sans ménagement dans un univers hostile. À l'écran se déroule un spectacle parfois décousu et trop ambitieux, mais on retiendra avant tout une œuvre passionnante, qui hante le spectateur et grandit en lui bien après son visionnage.

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commentaires
Clément Costa - Rédaction
12/05/2022 à 00:06

Merci bien pour ce retour @Kouak, voilà qui fait vraiment plaisir ! Une mission découverte réussie.

Kouak
10/05/2022 à 23:09

Ca y est !! Vu!
Rien à ajouter à l'analyse de Mister Costa.
C'est dur... Très dur... Malheureusement réaliste et pas qu'en Inde...
Un p'tit côté "Et pour quelques dollars de plus"...Le médaillon remplaçant la montre à gousset...
Une histoire de vengeance sans blabla...
Direct au but !!
Bien...Simple, mais bien...
Merci.

Kouak
10/05/2022 à 20:12

Oui et je dirais même que pour découvrir le cinéma indien, il vaut mieux Thar que jamais...
Désolé...Trop facile...

GTB
10/05/2022 à 19:34

@Pseudo2> Je pense que c'est moins une question d'a priori que d'ignorance. Les gens pensent savoir parce qu'on ne les informe pas, tout simplement. Les grands médias cinéma ne parlent absolument pas du cinéma indien. EL sont les seuls à le faire (et c'est important si on veut valoriser ce cinéma, montrer ses forces, ses codes). Le public ne connaît rien des films, des réal, des acteurs etc...c'est un cinéma qui, au delà d'avoir une certaine image auprès de certains, n'est juste absolument pas identifié par le public. Et comme tous les cinéma, il y a du bon et mauvais. Quel(s) film(s) voir, comment choisir puisque personne n'en parle? Le spectateur qui tente au pif et tombe sur un truc pas bon va, étrangement mais naturellement, se dire que ce cinéma n'est pas pour lui.
Si les médias s'enthousiasmaient ensemble autour d'un grand film en disant "ce film là, il faut le voir c'est génial", je pense que le public serait au moins intrigué. La deuxième fois, il se dirait qu'il y a peut-être quelque chose. La troisième fois il irait voir par curiosité etc...

Actuellement, on ne peut pas vraiment reprocher au public d'être loin de ce cinéma...parce qu'il n'occupe aucune place, ni dans les salles, ni dans les médias, ni dans la culture.

Pseudo2
10/05/2022 à 13:50

C'est une industrie du divertissement comme une autre : un Baaghi 3 n'est pas produit pour l'amour de l'art ...

@GTB : le principal obstacle à ça, c'est que le cinoche indien a deja une réputation. Les gens ( moi le premier ) pensent savoir à quoi ressemble un film indien, ce qui n'était pas le cas des films japonais ou coréens. Donc en plus de réussir à ouvrir les gens à ce cinéma, il faut avant réussir à faire tomber les à priori. C'est chaud. ( mais c'est vrai que le studio Ghibli a réussi à le faire pour la japanim )

Kouak
10/05/2022 à 11:26

Hello...
Moi, normand/parigo/bérichon, je dis qu'en plus ils tentent des choses, se permettent des choses, que le plus motivé des réal's occidentaux ne peut se permettre...
Non pas par manque de moyens, car ils en ont beaucoup pour certains, mais simplement par manque de créativité artistique...
Il y a des scènes, des situations !! Waouh!! C'est GROS !! Mais c'est magnifique...
Faut pas qu'il tombent dans le travers du blockbuster prévu initialement pour une seule et unique raison...Le fric !!
Tant mieux s'ils se remplissent un peu les poches au passage...Ça ne fera que développer leur potentiel...Mais il faut qu'ils gardent la tête froide et ne se laisse pas avoir par les spotlights de la cité des "anges"...Car, à mon humble avis, nombreux vont être sollicités d'ici peu par l'industrie Hollywoodienne et autre...
Bref...Moi je suis complètement fan...Pas de tout évidemment !! Mais je me régale quand même...

GTB
10/05/2022 à 10:52

@Ash yuara raille> Les cinémas Indiens sont snobés, parfois moqués effectivement, en France surtout par méconnaissance. Il faut le bon film, le bon distributeur, la bonne communication; voire plusieurs fois pour qu'une culture cinéma en pénètre une autre. Comme ce fut le cas pour d'autres cinémas qui ont dû pénétrer culturellement le marché pour changer l'opinion du grand public. Le cinéma espagnol, japonais, chinois, coréen, du moyen-orient, la japanime ont tous nécessité du temps et des films majeurs qui touchent le grand public pour qu'il se familiarise avec leurs codes, leurs cultures et leurs qualités. C'est pas une mince affaire quand culturellement le public connaît essentiellement le cinéma américain.
Aux US les choses changent un peu également. Initialement très réfractaire au cinéma étranger, notamment à cause de la langue et des sous-titres, une partie du public américain est tombé dans la japanime et devient habitué à regarder de la VOST.

Bref, pour résumer la difficulté principale est d'aligner les astres (trouver, porter et savoir vendre/marketer des œuvres majeures auprès du grand public) pour ouvrir un public à des cinéma culturellement assez différents. C'est pas simple.

Clément Costa - Rédaction
09/05/2022 à 22:10

@Ash yuara raille : Je pense que la mentalité française est prête à évoluer. Il est grand temps de découvrir que le cinéma indien est bien plus que les clichés qu'on nous rabâche depuis des décennies (non ça n'est pas kitsch, non ça ne dure pas 3h, il y a de moins en moins de chansons, etc). Je pense que les commentaires sous les articles l'illustrent bien, beaucoup sont agréablement surpris quand ils donnent une chance à ces films. Et en tant que français qui se passionne pour ce cinéma depuis de longues années, j'ai converti de très nombreux sceptiques qui avaient simplement besoin des bonnes portes pour accéder aux différents cinémas indiens. Il ne faut pas partir perdant :)

Ash yuara raille
09/05/2022 à 22:03

@Pseudo2

J'ai des origines indienne et on s'est toujours moqué de cette partie de mon héritage culturel... Jugé kitch, ridicule et sans intérêt... J'ai jeté l'éponge auprès de mon entourage mais j'écoute encore certain "hit" musicaux indien notamment lorsque qu'il y a une thématique historique.

Et je vous épargne le pire de la perception qu'on les Français d'origines maghrébine envers les hindoux...

La France a tout pour fermer ses portes à la culture Indienne en tout cas, ne tient qu'à nous de la laisser ouverte ^^

Pseudo2
09/05/2022 à 21:22

@Ash yuara raille

Je ne sais pas si je te rejoins là-dessus. Le truc qui m'a le plus surpris, c'est à quel point c'est un cinéma plus accessible que je ne le pensais. "The man who feels no pain" sur Netflix en est un bon exemple : ça fait penser à du Edgar Wright, ça ne traîne pas tellement en longueur et il n'y a pas de grands numéros musicaux détachés de l'intrigue.

Alors, c'est une autre paire de manche pour Baahubali ou KGF. Quoi que KGF est tellement imbittable et hystérique que ça m'a fait penser à Jean-Marie Poiré. Français compatible, donc.

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