Ogre : critique donjons et chardons
La culture française et ses contes forment un terreau propice au merveilleux, au fantastique et à l'horreur. C'est à ces trois genres qu'emprunte Ogre, premier film de Arnaud Malherbe et menée par Ana Girardot, même si la faim ne justifie pas toujours les moyens.
APPÉTIT MODÉRÉ
Le cinéma français, souvent caricaturé en champ de mines jalonné de comédies infernales et de drames sociaux grisâtres, demeure un des plus variés, puissants et créatifs au monde. Après deux années à ramasser l’essentiel des principales distinctions internationales, s’il est bien un domaine dans lequel le 7e Art hexagonal bénéficie encore d’une grande marge de progression, c’est celui du cinéma de genre. En effet, la tradition, initialement très forte sous nos latitudes, s’est effilochée au fil des décennies, jusqu’à devenir un repoussoir pour des exploitants laissant rarement aux œuvres remuantes l’opportunité de trouver leur public. Gageons qu’Ogre n’y changera pas grand-chose.
Sur le papier, le premier long-métrage de cinéma d’Arnaud Malherbe avait pourtant tout pour qu’on s’en repaisse avec appétit. On y suit un jeune garçon et sa mère, qui se retranchent dans un petit village enclavé pour échapper à un passé (et un paternel) qu’on devine violent. Mais le hameau qui les accueille est sous la coupe d’une mystérieuse entité, qui confond manifestement les enfants du coin avec de juteuses côtelettes de porc. Noyau familial chaotique, ruralité, mythologie, pour un peu on se croirait dans un décalque français de Stephen King.
Au milieu coule une civière
Une équation qui ne serait pas pour nous déplaire, si l’écriture parvenait à faire quelque chose de ces prometteurs ingrédients. Mais après quelques minutes seulement, nos espoirs s’envolent. Difficile de ne pas pouffer quand surgit le personnage du séduisant médecin, brun ténébreux qui susurre à l’oreille du petit Jules qu’il est bien maigrichon, propulsant instantanément le film sur les rivages de l’auto-parodie et de la sur-signification.
On ignore si le metteur en scène et réalisateur de l’ensemble connaît bien le Morvan où se déroule son récit, mais on aura bien du mal à le croire tant son portrait des habitants ferait passer l’intégralité des figurants de Kaamelott pour l’amicale des praticiens de la physique quantique. Les apparitions des chasseurs devraient faire date, tant les malheureux semblent issus d’une hasardeuse campagne hygiéniste en défaveur de la consanguinité. Des faux pas qui pourraient être risibles, voire touchants, si leur ridicule n’anesthésiait pas systématiquement le potentiel immersif de la narration.
Ana Girardot fait de son mieux...
LA FAIM D’UNE BELLE HISTOIRE
Récit revisitant une figure matricielle des contes européens, le long-métrage s’efforce de soigner son ambiance et d’offrir au spectateur une atmosphère digne de ce nom. Et par endroit, il n’est pas loin d’y parvenir. Quand la caméra fait corps avec la photographie soignée de Pénélope Pourriat, on sent poindre une authentique inquiétude.
Tant et si bien que durant le premier acte du film, quand l’ensemble adopte le point de vue de Jules, on sent poindre les racines d’un beau vertige. Mais ce dernier restera cantonné à une poignée de plans fixes, le dispositif se révélant bien plus incertain sitôt la caméra en mouvement, quand ce ne sont pas les dialogues qui ruinent ces prémices.
Le visage du désespoir
Hélas, la mise en scène doit perpétuellement se démener pour masquer, sans grand succès, les limites d’un budget qu’on devine modeste. Dès lors que l’action dépasse le simple concept d’exposition, que les protagonistes doivent agir, les limites du dispositif deviennent terriblement criantes, jusqu’à souligner des carences en termes de dramaturgie, qui mutilent définitivement l’histoire. On pense par exemple à cette séquence, qui devrait être un sommet d’angoisse, où le jeune héros tente de s’échapper à bord d’une barque, avant d’être confronté à celui qu’il soupçonne d’être l’ogre du titre. Tout y est si maladroit et rapiécé qu’on ressent de la gêne, bien avant de s’inquiéter du sort des personnages.
Après quoi, c’est le cœur même du projet qui cesse de battre, sitôt l’aspect mythologique du film touché par tous ces manquements. Car, alors que s’approchent le dernier acte et son climax, on perçoit cruellement tous les raccourcis scénaristiques, mais aussi la légèreté de l’univers convoqué devant nos yeux. Qu’à finalement à nous raconter Ogre de la figure qui fonde son intrigue ? Pas grand-chose, et encore moins quand il abat sa dernière carte, un rebondissement qui s’imagine poétique, mais nous renvoie aux plans les plus incertains de La part des ténèbres.
Lecteurs
(2.4)25/04/2022 à 11:01
De fait Simon, comme je ne lis les critiques qu'après visionnage j'ai tendance à trop oublier la nécessité de ne pas trop en révéler.
Surtout que le piège constitue la seule véritable surprise.
Tendance aussi à défendre (trop ? ) le peu de cinéma de genre français... Même si la mauvaise note demeure justifiée au final.
D'accord avec Kyle et Caraccala pour la BA qui m'avait bien motivé pour venir voir Ogre. Il eut peut-être fallu instiller plus de ce savoir faire dans le corps du film lui même.
Ou oublier cette trop bonne BA pour aller quand même voir Ogre en oubliant... l'Ogre pour s'attacher à ce qui fut évoqué dans ma précédente contribution ?
24/04/2022 à 22:25
@Leuwen
Absolument. L'idée était de décrire simplement la séquence sans en spoiler les enjeux pour qui ne l'avait pas vu, et en permettant aux spectateurs de l'identifier clairement. D'autant plus que le reproche que je lui adresse ne tient pas à son écriture.
@mina
La critique a été publiée 48h après la sortie du film, qu'on a découvert en septembre 2021 à Deauville. Elle est plus brève que l'essentiel des textes critiques publiés sur le site.
Si nous avions voulu nous acharner, nous aurions publié bien plus tôt, un texte autrement plus conséquent.
Et on nous reproche assez fréquemment notre supposée indulgence à l'endroit du cinéma hexagonal pour qu'on ne nous caricature pas soudain en grands méchants cruels.
Le films nous a déplu, nous écrivons pourquoi. Si au contraire il vous a séduit... bah tant mieux non ?
24/04/2022 à 11:05
Simon : il ne s'agit pas d'une "fuite en barque" mais d'une ruse. En fait un piège préparé par le gamin envers l'ogre présumé. Peu avant nous l'avons vu stocker les pierres dans la barque avec l'aide de la fillette.
Au final l'ogre participe d'un fantasme intérieur. Peut-être lié aux terreurs passées. Exutoire ! Orgre / père violent / nouveau conjoint... Au final comme issue son esprit imagine diriger les oiseaux sur la pseudo l'entité et... le jour se fait !
23/04/2022 à 12:32
Ha le vertige de la plume qui s’écoute écrire en roue libre, confondant critique et assassinat en règle, ignorant la différence entre goût personnel et « vérité » quasi technique quand il s’agit d’évoquer la dramaturgie et/ou la réalisation. Ogre est un ovni, un film d’auteur de genre, une proposition singulière qui ne répond pas à des codes établis ou aux références habituelles du fantastique horrifique. Ça peut dérouter, on peut évidemment ne pas aimer, mais cette griserie fielleuse qui consiste à passer autant de temps à démolir en règle et de À à Z un projet aussi inhabituel, c’est à la fois bête et méchant. Pour ma part j’ai vu un très beau film, un film d’ambiance et d’atmosphère, un songe qui convoque les terreurs enfantines aussi bien que les angoisses profondes de la civilisation face à une nature hostile. Bref, faites vous votre opinion, et merci au CNC d’aider à ce que des films aussi atypiques puissent exister.
23/04/2022 à 06:52
@Caracalla : rien ne t'empêche d'y aller. EL ce n'est pas la vérité absolue. Le libre-arbitre lui n'est pas un mythe
22/04/2022 à 22:38
C est subventionné par le CNC... Tout est dit
22/04/2022 à 19:31
Les plans les plus incertains de la part des ténèbres ? J'ai un très bon souvenir de ce film pour ma part... Encore un essai à priori raté pour le cinéma de genre français, dommage. J'irais tout de même le voir pour me faire mon idée.
22/04/2022 à 13:22
Le teaser était sympa et donc ça fait pchitt ?
22/04/2022 à 11:09
Ah merde j'ai vu la B.A. ya quelques jours en Salle et c'est la seule qui m'aie donné envie ...
Tant pis alors :/