Bruno Reidal : critique d'un choc sanguinaire

Alexandre Janowiak | 23 mars 2022
Alexandre Janowiak | 23 mars 2022

Bruno Reidal, confession d'un meurtrier était précédé d'une réputation plus que flatteuse avant même son passage à la Semaine de la critique lors du Festival de Cannes 2021, et il ne l'avait pas volée. Pour un premier long-métrage, signé du Français Vincent Le PortBruno Reidal impressionne de bout en bout et semble tout droit sorti d'un autre monde.

AUTO-AUTOPSIE d'un meurtre

Nous sommes le 1er septembre 1905. Le jeune Bruno Reidal, un séminariste de 17 ans, se rend à la police. Il avoue avoir commis un meurtre, celui d’un enfant de 13 ans. Pour que les médecins comprennent son acte, il lui demande d'expliquer son meurtre et de raconter son enfance jusqu'au jour du crime. Inspiré d'une histoire vraie, le long-métrage s'ouvre justement sur le meurtre en question, montré à l'écran à travers le visage déterminé du jeune Bruno Reidal et une giclée de sang, comme le symbole d'une jouissance tant espérée par le personnage.

Habilement, le réalisateur cache donc d'abord l'acte, laissant aux spectateurs comme seule possibilité de comprendre le geste de l'adolescent d'écouter son histoire. Une histoire que Bruno Reidal va raconter lui-même à travers une voix-off troublante, mise en scène à l'écran par l'alternance de flashbacks et interrogatoires au présent.

 

Bruno Reidal : photoL'heure des confessions

 

Un processus qui se révèle d'une puissance impressionnante, permettant au long-métrage de mener une grande réflexion sur les pulsions enfouies de Bruno Reidal (incarné avec brio par trois inconnus dont Dimitri Doré pour la version à 17 ans). Le moyen de discuter de l'impossibilité du jeune homme à communiquer ses déviances au reste du monde et donc condamné à tenter de grandir, évoluer, seul, en conservant pour lui cette vie cachée, ses monstrueux secrets.

Vincent Le Port l'a confié lui-même dans le dossier de presse du film : "Ce qui m’a troublé, c’est d’assister à une souffrance si tangible, si manifeste, en même temps qu’insaisissable. C’était de voir, derrière le monstre que les journaux décrivaient à l’époque, un jeune garçon qui a lutté contre lui-même toute sa vie". Le film pose alors une question simple, mais terrible : au sein d'une telle société, comment peut-on lutter contre ce que l'on est intrinsèquement au fond de soi ?

 

Bruno Reidal, confession d'un meurtrier : Photo Dimitri DoréDimitri Doré, impressionnant

 

delivrance

Le réalisateur français va alors s'amuser très habilement pour véritablement plonger le spectateur dans la tête de Bruno Reidal. Ainsi, avec une structure très linéaire, reposant quasi-uniquement sur la voix-off de Bruno Reidal, le long-métrage explore les tourments de l'adolescent. Ou plus encore, Bruno Reidal se replonge dans son passé, désespéré de ne pouvoir le réécrire ou simplement le modifier.

Ainsi, dans un Cantal reconstitué de la fin du 19e-début du 20e siècle, le spectateur découvre l'enfance difficile du jeune meurtrier entre agression sexuelle, pulsions meurtrières, fantasmes inassouvis, masturbation continuelle... Avec sa caméra, Vincent Le Port s'adonne alors à capter la nature humaine dans ce qu'elle a de plus étrange, indicible, en brossant le portrait subjectif du protagoniste. 

 

Bruno Reidal, confession d'un meurtrier : photoUne errance saisissante

 

Le moyen de provoquer le spectateur ou tout du moins de le placer dans une position ambigüe très inconfortable, la pitié et la complaisance pouvant pointer le bout de leur nez à tout moment et mettre à mal l'éthique de chacun. Car Vincent Le Port ne cherche pas à remettre en doute la véracité du témoignage de son protagoniste.

Évidemment, le cinéaste rappelle, à travers quelques modifications de dialogues très subtiles, que l'ensemble du récit conté par Bruno Reidal est avant tout "une reconstruction mentale de son passé". Toutefois, on sent que pour le réalisateur, il était nécessaire que le public croie le récit du jeune meurtrier, comprenne qu'il se met véritablement à nu et par conséquent, qu'il est sincère. Et c'est ce qui donne une véritable finesse dans l'approche de cette ambivalence, dont il se dégage une maturité, une assurance et une puissance rare pour un premier essai.

 

Bruno Reidal, confession d'un meurtrier : photoLe spectateur écoutant attentivement le meurtrier

 

Une ambiguïté sournoise que Vincent Le Port n'oubliera toutefois pas de décapiter (c'est le cas de le dire) lorsqu'il reviendra au meurtre dans une scène-choc. Alors qu'il n'était que suggéré dans la première scène du film, l'acte sera montré sans détour dans le dernier tiers, à travers une mise en scène crue et éprouvante qui retournera probablement plus d'un spectateur. La scène est simple, en plan fixe, mais d'une violence rare, obligeant le spectateur à se confronter véritablement à l'horreur commise par le narrateur, l'empêchant de détourner le regard.

Le message est clair : la tentative de compréhension ne doit pas laisser place à une quelconque forme de miséricorde. L'objectif n'a jamais été d'être du côté de Bruno, mais bien d'être à côté de lui, comme si on écoutait simplement son histoire pour mieux nous laisser la liberté de l'interpréter nous-mêmes par la suite. Une distinction dont Bruno Reidal est pleinement conscient durant 1h41, déployant ainsi toute sa plénitude et son intelligence. Un grand premier film ? Incontestablement, mais surtout un grand film tout court.

 

Bruno Reidal : affiche

Résumé

Vincent Le Port livre un premier film fascinant de maturité avec son Bruno Reidal, exploration de la nature humaine très intime, crue et sans concession. Marquant.

Autre avis Mathieu Jaborska
Une exploration singulière d'un esprit malade doublée d'un voyage malsain dans une France rurale vicieuse, qui impressionne grâce à la performance de ses jeunes comédiens et à une utilisation particulièrement audacieuse de la voix-off.
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commentaires
Hugito
23/03/2022 à 12:15

J'avais été à la Cinémathèque le voir cet été sur vos conseils, après votre avis à chaud quand vous étiez à Cannes et sincèrement merci parce qu'en effet c'est un grand film, une claque même !

Moi qui pensait que cinéma français ne se résumait qu'aux sempiternelles comédies toutes plus insipides les unes que les autres, eh bien entre, Bruno Reidal, A l'Abordage et Petite Nature (pour ne citer qu'eux récemment) y a pas à dire : nous sommes vraiment un grand pays du cinéma, avec des talents fous !

PS : par contre oui, âmes sensibles s'abstenir pour ce qui concerne la fameuse scène de la fin qui est vraiment horrible (première fois je crois qu'au ciné j'ai dû détourner le regard de l'écran pendant plus de 30 secondes facile..)

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