KIMI : critique d'une Catwoman confinée et parano

Matthias Mertz | 10 mars 2022 - MAJ : 10/03/2022 10:50
Matthias Mertz | 10 mars 2022 - MAJ : 10/03/2022 10:50

KIMI est le nouveau film de Steven Soderbergh (célèbre réalisateur des Ocean's, Traffic ou Sexe, mensonges et vidéos). Ici, continuant ses expérimentations cinématographiques, il revient dans un exercice pas très éloigné d'une épreuve en solitaire en concoctant un thriller très référencé pour HBO Max, dans lequel Zoë Kravitz officie en tant qu'employée de la tech agoraphobe et possiblement témoin d'un meurtre.

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KIMI raconte l'existence incompressible d'Angela Childs (Zoë Kravitz), une employée de la tech habitant à Seattle dont la fonction est d'écouter les retours utilisateurs jugés comme non concluants de Kimi, un assistant personnel intelligent semblable à Alexa. Au cours de l'une de ces écoutes, la jeune femme par ailleurs agoraphobe à la suite d'une agression (que la pandémie de COVID n'a pas aidé) comprend qu'elle est sans doute témoin d'un meurtre. Elle décide alors, envers et contre tout, de signaler le potentiel crime.

Avec un pitch pareil signé par le grand David Koepp (Jurassic Park, L'impasse), KIMI ne pouvait pas être autrement qu'une oeuvre très bien référencée. Le personnage d'Angela est amateur de voyeurisme depuis sa fenêtre (son agoraphobie l'empêchant de sortir, comme la jambe cassée de James Stewart obligeait son personnage à patienter derrière sa fenêtre dans le classique d'Alfred Hitchcock Fenêtre sur cour), et son emploi la contraint à écouter sans intervenir les utilisateurs de Kimi, une situation amenée à changer lorsqu'elle pense détenir la preuve d'un meurtre (à l'instar d'Harry Caul, le détective privé de Conversation secrète).

 

KIMI : photo, Zoë KravitzQuand il n'y a plus de chocolat chaud au bureau 

 

La principale caractéristique de KIMI, c'est avant tout sa structure simple qui va droit au but grâce à un scénario très épuré. Ainsi, le film dure moins de 90 minutes, et est composé de trois actes immédiatement identifiables, à savoir une enquête (le meurtre est-il réel ou une nouvelle conséquence des troubles psychiques de la jeune femme ?), une poursuite et une séquence d'effraction entre Maman j'ai raté l'avion et Panic Room. Ces actes s'enchaînent avec fluidité et si le ton du film change régulièrement avec ces bascules du genre, l'ensemble demeure homogène.

Le film jouit d'ailleurs d'un rythme efficace, qui gagne en intensité au fur et à mesure de l'avancée (et des conséquences) de l'enquête d'Angela.  Steven Soderbergh parvient ainsi à concentrer les influences et les genres sans difficulté en un temps record, dans un récit aussi versatile que son actrice principale.

 

KIMI : photo, Zoë KravitzLa sortie d'Angela hors de chez elle, filmée dans un rollercoaster

 

la femme qui n'aimait personne

Avec une mise en scène très resserrée autour de cette dernière, KIMI parvient ainsi à la caractériser avec brio dans un rôle qui rappelle Lisbeth Salander, personnage de Millénium : Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes incarné par Rooney Mara (avec qui Steven Soderbergh a collaboré dans Effets secondaires).

Taciturne, austère, franchement désagréable et limitant ses interactions à un caractère fonctionnel (qu'il s'agisse de sexe, de soins dentaires ou encore de support émotionnel), le personnage d'Angela parvient à incarner le meilleur et le pire de ce que la technologie nous apporte comme confort, mais aussi comme isolement.

En outre, KIMI parvient à afficher le réalisme qu'on avait acclamé dans Mr. Robot à propos de l'outil informatique, bien loin des gens qui tapent sur des claviers et des diodes qui clignotent (à l'exception de quelques passages où tracer la position de quelqu'un n'a jamais semblé si facile). La question technologique n'est pas la seule à être au moins évoquée, puisque la pandémie, le confinement ou encore l'époque post-MeToo sont aussi de (brefs) sujets de réflexion au sein du film.

 

KIMI : photo, Zoë KravitzMs. Robot

 

Toute la mise en scène tourne autour de la psyché d'Angela, dont le large loft est filmé dans des plans larges, parfois fixes, nous laissant l'envisager comme un espace de confort et de sécurité pour la jeune femme. Au contraire, lors des incursions d'Angela hors de son appartement, elle se retrouve parfois dans le coin du cadre, filmée en biais, souvent de dos, ou encore en contre-plongée (tous ces effets étant parfois superposés ou se succédant pour constituer une impression d'instabilité et de malaise chez le spectateur).

De même, lorsqu'elle écoute les enregistrements des utilisateurs de Kimi, le son ambiant disparaît subitement, rappelant le dispositif qu'on avait apprécié dans Boîte Noire et pastichant ici allégrement le Blow Out de Brian De Palma (autre référence évidente). Et si KIMI vit ou meurt par son actrice, c'est un pari réussi pour Steven Soderbergh, Zoë Kravitz offrant une excellente prestation. C'est d'ailleurs elle qui a proposé la perruque bleue pour le personnage d'Angela, détail Scott Pilgrimesque dont on ne se lasse pas.

 

KIMI : photo, Rita Wilson, Zoë KravitzRita Wilson, visage faussement compréhensif d'une entreprise de la tech

 

seule contre tous

Malheureusement, le film meurt aussi par son incapacité à offrir un développement ou un caractère pertinent à quiconque gravite autour de son héroïne. Qu'il s'agisse de son amant, de sa mère, de son mystérieux voisin, ou encore de la malfaisante compagnie de tech pour laquelle elle travaille, aucun personnage (parmi la mince poignée d'autres protagonistes présents à l'écran) ne bénéficie ne serait-ce que du début d'un design. Tous ou presque sont des fonctions posées à la vue du spectateur, qui aura vite fait de désamorcer des éléments de l'intrigue par leur présence très (trop) fonctionnelle.

Fonctionnel, c'est le terme qui définit peut-être le mieux KIMI, dans sa clarté comme son absence de chair. Si le film se permet des références à des classiques du film d'espionnage ou du huis clos, il manque d'une identité propre, mais aussi d'une profondeur de réflexion quant aux thèmes qu'il aborde. Oui, la technologie est autant un outil pour notre confort qu'une graine d'aliénation plantée par des compagnies malfaisantes, mais ça, KIMI ne l'a pas inventé, et ce discours est désormais (très) convenu.

 

KIMI : photo, Byron BowersÀ ce niveau-là, c'est même plus un personnage secondaire

 

Les interrogations sur le confinement, le Covid, ou encore l'agoraphobie de la jeune femme sont finalement réduites à fixer les conditions d'existence du récit plutôt qu'à devenir une matière organique qui gagnerait à être modelée. L'agoraphobie, par exemple, permet surtout de transformer le huis clos en récit paranoïaque. L'agression sexuelle vécue par la jeune femme ne forge pas un propos militant pourtant bienvenu dans le film, mais permet d'expliquer la pugnacité d'Angela à poursuivre son enquête malgré les pressions.

En résulte une impression de regarder un film de série B à la réalisation convaincante, mais incapable de développer une réflexion élaborée, pas plus qu'il n'est capable d'offrir une fin pertinente à son intrigue et à la hauteur de ses enjeux, jusqu'à friser l'incohérence concernant son coeur : le personnage d'Angela. Le film jouit d'une fin dont le peu de vraisemblance (et il ne s'agit pas là d'une critique quant à son caractère burlesque, mais bien quant à sa conclusion) vient affaiblir l'ensemble, comme c'était le cas récemment pour Last Night in Soho d'Edgar Wright, par exemple.

 

KIMI : photo, Zoë KravitzAmbiance fenêtre sur cour et voyeurisme

 

Finalement, KIMI est-il plus qu'un exercice de style pour Steven Soderbergh ? Avec une structure peu en chair et une caractérisation réduite à l'extrême, le film ressemble à une volonté de son réalisateur (qui endosse, une fois n'est pas coutume, aussi les rôles de monteur et de directeur de la photo sous des pseudonymes renvoyant à ses parents) de se lancer dans une course en solitaire, presque une épreuve sportive.

Heureusement, le réalisateur n'a pas perdu la main, et sa réalisation harmonieuse permet à l'ensemble de se déployer de façon nerveuse sans avoir le temps d'ennuyer ou d'être questionné par le spectateur. Comme un plat dans un restaurant gastronomique, KIMI nous a un peu laissé sur notre faim, malgré le travail scrupuleux du chef Steven Soderbergh autour d'un unique ingrédient, l'exceptionnelle Zoë Kravitz.

KIMI est disponible depuis le 10 mars 2022 en VOD

 

KIMI : photo

Résumé

Bijou technique manquant de chair (et de caractérisation de ses personnages), Kimi ne raconte pas grand-chose de plus que le génie technique de Steven Soderbergh ou la présence magnétique de Zoë Kravitz. Cela suffit pourtant à faire de l'ensemble un thriller minimaliste, mais nerveux et diablement divertissant.

Autre avis Alexandre Janowiak
Avec deux bouts de ficelle et son cynisme jubilatoire, Steven Soderbergh s'amuse à singer, célébrer et remodeler le thriller paranoïaque dans Kimi et on y prend un sacré plaisir.
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Lecteurs

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commentaires
Ozymandias
03/11/2022 à 23:40

Vu il y a quelques jours, j'ai trouvé ça très sympa, merci pour la recommandation ;-).

Ozymandias
13/03/2022 à 10:20

Allez, vais me le tenter !

Kyle Reese
11/03/2022 à 23:25

Bonne pioche, exercice de style réussi, sympathique et efficace avec une Zoé Kravitz décidément bien talen-tueuse et vraiment très mimi. Une bonne surprise sans prétention et bien maitrisé avec à la fois la fraicheur de l'actrice et une vrai tension progressive.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu un Soderbergh. Pour l'anecdote j’avais séché un bac blanc pour aller voir sa palme d'or et tout premier film Sex mensonge et vidéo ... je pense qu'il y a surement une signification à ça en creusant un peu :)

Catwoman
11/03/2022 à 12:16

L'actrice principale Zoe Kravitz (fille du chanteur) joue Catwoman dans le dernier Batman.

Christian B
10/03/2022 à 20:38

Quel rapport avec Catwoman ?

The insider38
10/03/2022 à 15:33

Réticent sur le moment , j ai passé un très bon moment avec ce petit film.

Bien réalisé, j’aime bien le côté confinement bien utilisé. Bonne surprise

RobinDesBois
10/03/2022 à 14:44

Mouai encore une caricature grossière du geek renfermé: le look, l'agoraphobie, j'imagine qu'ils nous l'ont rendu asperger aussi. Elle est peut être convaincante dans ce rôle mais j'ai l'impression de voir ce genre de personnage partout depuis quelques années. Et le pastiche du pastiche c'est vraiment intéressant ?

RedRat
10/03/2022 à 14:43

Pas mal. Bien aimé. Mais la coiffure bleu fait perruque très bon marché tout le film. Un peu dommage.

Kyle Reese
10/03/2022 à 13:26

J’hésitais a regarder, car ça sentait bien l’exercice de style un peu vain mais comme Il y a Zoé « catwoman » en Miss Robot et avec des cheveux bleus alors … je vais me laisser tenter.

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