The Green Knight : critique du géant vert d'Amazon

Mathieu Jaborska | 5 janvier 2022 - MAJ : 06/01/2022 10:19
Mathieu Jaborska | 5 janvier 2022 - MAJ : 06/01/2022 10:19

Après A Ghost Story et avant un retour chez Disney pour Peter PanDavid Lowery persiste dans le cinéma dit d'auteur avec The Green Knight, longtemps annoncé en salles avant de terminer sur Amazon Prime Video en France, la faute - faut-il le rappeler ? - à la politique tarifaire de son illustre distributeur A24. Voilà qui ne va pas aider à réconcilier les défenseurs et détracteurs d'un cinéma volontiers esthétique, voire parfois contemplatif, généralement peu à sa place dans un catalogue hyperactif. Pourtant, le jeu en vaut la chandelle.

A Knight story

Drôle de carrière que celle de David Lowery, navigant à vue entre mégaproductions financées par pur opportunisme (les remakes Disney) et objets esthétiques et poétiques indépendants, qu'il écrit et met en scène. Deux systèmes dans lesquels il assure s'épanouir et dont l'apparente opposition correspond finalement bien à ses idées, mesurant l'écart entre la simplicité de ses histoires et la sophistication visuelle et psychologique de la vie (ou de la mort) humaine.

 

 

Les sceptiques qui voyaient dans le format 1,33:1 à bords ronds et les plans-séquences fixes de A Ghost Story un simple ticket d'entrée pour le festival de Sundance seront rassurés par The Green Knight. Sous couvert d'expérience esthétique et sensorielle, il témoigne d'une véritable identité artistique. L'auteur s'exprime encore à travers la réappropriation de certaines formes de narration. Pressé par un roi Arthur agonisant, influencé secrètement par une mère tapie dans l'ombre et provoqué par un mystérieux chevalier vert, le Gauvin incarné par Dev Patel est sommé d'écrire sa propre légende, tout comme, sous le drap, Casey Affleck était directement acteur d'une histoire de fantôme.

 

The Green Knight : photo, Dev PatelEntre la résignation et l'héroïsme

 

En adaptant le roman en vers Sire Gauvain et le Chevalier vert, récit arthurien déjà passé à quelques reprises par la case cinéma, Lowery conte un mythe conscient d'être un mythe, une quête dont le seul but est de se revendiquer comme telle. Érigé en célébrité sur la foi d'un acte de bravoure enfantin (il n'a même pas eu à se battre), Gauvin est obnubilé par l'accomplissement qui fera de lui un héros au sens premier du terme. Le cinéaste retourne ainsi la figure originale de ce fameux sire. Autrefois guerrier noble et sans reproche, il se transforme grâce à un Dev Patel touchant de fragilité en jeune inconscient courant aveuglément après les qualités qu'on lui prêtera après son exploit.

Chez Lowery, les protagonistes façonnent eux-mêmes, parfois maladroitement, les histoires qui en feront des exemples pour la postérité. Les fondations des grands mythes sont donc bâties sur quelques mensonges et lâchetés, idée appuyée par l'architecture générale du film et ses déchirantes dernières dix minutes. Difficile de ne pas voir dans la "Lady" de Alicia Vikander un alter ego du metteur en scène, elle qui avoue aimer autant lire les grands récits que les modifier et représente notre chevalier grâce à un amusant anachronisme renvoyant directement au procédé cinématographique.

 

The Green Knight : photoPatel ment

 

Quelques "trous dans la structure", pour reprendre les termes utilisés par l'auteur chez Premiere, qui font du long-métrage une adaptation fascinante, fidèle et audacieuse. Fidèle parce qu'elle se plait à transposer sur pellicule le rythme des vers originaux, envoyant Gauvin dans un voyage atmosphérique, une ballade épique. Audacieuse parce qu'elle trahit sa conclusion et sa finalité pour mieux en tirer des thèmes métaphysiques, en tête desquels, bien sûr, le temps et la mort.

 

The Green Knight : Photo, Dev PatelUne iconographie dépouillée, mais à tomber

 

 

No time to die

Une fois de plus, ici, écrire sa propre histoire revient à se confronter à sa propre fin. La pourriture, la moisissure dont le personnage de Vikander - encore lui - fait l'apologie dans un étrange monologue suinte de chaque image de The Green Knight. Elle infuse directement sa direction artistique monumentale (composée par Jade Healy et Andrew Droz Palermo, qui, de Mise à mort du cerf sacré à You're Next, se sont beaucoup inspirés de leurs travaux précédents), moins flamboyante que magnifiquement glauque, et bien sûr la mise en scène de Lowery, toujours enclin à étirer et contracter le passage du temps, que ce soit lors d'un long panoramique pourtant très elliptique ou d'un bref sursaut horrifique.

Le voyage de Gauvin est jalonné de rencontres surréalistes, voire fantomatiques, puisqu'elles sont toutes, comme lui, aux portes de leur mort. La farce de l'histoire originale se transforme peu à peu en farce morbide, au gré des jolis chapitres intermédiaires, jusqu'à ce dernier acte qu'on ne révèlera évidemment pas, mais qui parvient à insuffler à l'avalanche de nihilisme final une pointe d'émotion universelle. De même que la musique de Daniel Hart, loin des envolées lyriques des autres oeuvres du réalisateur, même si son style reste reconnaissable, troque l'épique contre une dissonance mélancolique, quand il ne se livre pas carrément à l'expérimental.

 

The Green Knight : photo, Dev PatelGhost Recon

 

À la fin subsiste un constat amer : les grands mythes se sont construits sur des fantasmes de pouvoir et d'immortalité, alors que leurs auteurs et leurs héros chassaient en fait leur propre mort en quête de grandeur, sociale ou sexuelle. L'hégémonie humaine s'est construite sur une imposture. Une illusion tragique qui l'emporte sur le cynisme dont on pourrait accuser le film, parce qu'elle raisonne en chacun d'entre nous, biberonnés, de gré ou de force, avec appétit ou inconsciemment, aux mythes arthuriens et à leur idéal de virilité.

Et si la proposition esthétique paraissait convoquer le Excalibur de Boorman, c'est plutôt à une oeuvre aux antipodes de son style qu'il fait penser : La Légende de Beowulf de Zemeckis. Lui aussi mettait en scène un héros en charge de son propre mythe, et esclave de ses faiblesses résolument humaines. Les deux cinéastes étudient la postérité de la mythologie avec un ton désabusé, et concluent sur la nécessité de s'affranchir de la gravité de la mort afin de subsister dans l'imaginaire collectif. On souhaite à The Green Knight un meilleur destin.

The Green Knight est disponible sur Amazon Prime Video en France depuis le 3 janvier 2022

 

The Green Knight : Affiche

Résumé

Lowery s'empare avec une habilité sidérante des codes du mythe arthurien pour en dégager une très belle méditation sur la mort, sauvée du nihilisme par un dernier acte déchirant.

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commentaires
Grey Gargoyle
01/10/2023 à 01:02

Hello,
j'ai beaucoup aimé le film, vu en DVD d'occasion sur le conseil du vendeur. Je le conseille fortement.
Bien cordialement

Nymph
18/09/2022 à 19:04

Pathétique. Plus mauvais tu meurs. Dommage qu'on ne puisse pas mettre 0.

mamoru-sama
09/05/2022 à 17:30

Ce n'est simplement pas un film pour les gens qui ont besoin qu'absolument tout soit ultra explicite ou qui s'attendent à un récit d'héroic fantasy.

Le film et le personnage principal annoncent déjà la "couleur" d'entrée, ce n'est pas un chevalier, et il n'est pas destiné à de grandes choses. A partir de là, le spectateur habitué à ce que ce prémice soit un mensonge comme dans tous les autres films et s'attende à ce qu'il devienne un grand chevalier.

Que nenni, chaque étape de son périple représente une des 5 valeurs de la chevalerie, et il échoue misérablement à s'en montrer digne à chaque fois.

Delacroix
18/01/2022 à 10:35

Acteurs avec peu de charisme , film trop long . Le cinéma du genre a bien perdu depuis « Excalibur »

MoiLeVrai
12/01/2022 à 10:24

Regardé hier, globalement je n'ai pas trop aimé.

Il y a plusieurs aspects que j'ai apprécié malgré tout. visuellement c'est très réussi, à tous les niveaux. Le rythme bien que lent est agréable et bien accompagné par le sound design et la musique.

Mais je pense simplement que le côté mystique trop poussé de l'histoire n'est pas pour moi. Il ne se passe pas grand grand chose en terme d'évènements et la majorité du message repose sur de l'interpretation comme pour beaucoup de fables ... je pense que ce style est tout simplement pas fait pour moi. J'en suis ressorti un peu comme après the lighthouse en fait.

Reduchronia
10/01/2022 à 10:49

Que l'on aime ou pas le film de Lowery, il est difficile de soutenir qu'il ne raconte rien.
C'est bien tout le contraire. Le film ne cesse d’essaimer des signifiants, à travers les personnages rencontrés et les actes du "héro".
Le film peut parfois manquer de rigueur dans son éloge de la lenteur, l'équilibre est imparfait, mais au respect du fusil de Tchekhov, il s'en sort plutôt très bien.

Guéguette
07/01/2022 à 08:24

Lánthimos et Cuaron ne me posent pas de problème. Children of Men et Roma sont gavés de matière, et Lánthimos ça reste hyper ludique même si c'est le foutoir donc je n'ai pas de problème avec lui.

@Alxs
06/01/2022 à 18:52

@Guéguette: hahaha j'aurais plutôt fait un tir groupé avec Cuarón et Schultz - pas vu un Tarantino depuis que je me suis fait avoir avec Kill Bill au ciné. Prétentieux notamment dans ses changements narratifs qui affaiblissent le propos originel, les dialogues pompeux, la prise au sérieux non stop, le côté poseur entre autres. Mais je ne perds pas espoir. Peut-être que comme Lánthimos des producteurs lui feront comprendre que c'est juste un très bon metteur en scène (ce qui est déjà énorme) et qu'on aura sa Favorite à lui - avec de bons scénaristes derrière ses purges arty.

GTB
06/01/2022 à 17:30

@Morcar> Quantité d’œuvres picturales ont plus à offrir que la simple appréciation de l'image. C'est la base même, utiliser le langage du médium. Le cinéma en combine plusieurs: l'image, la musique, le dialogue. Chacun de ses éléments est narration.
Après, bien évidemment on peut préférer les narrations claire, qui vont droit au but, voire qui surligne leur propos. Tous ces téléfilms policiers de la télé où la continuité dialoguée passe son temps à faire dire aux personnages ce qu'il voient, ce qu'ils pensent, pourquoi ils agissent ainsi, et à rappeler ce qui s'est passé il y a 10min; c'est précisément pour que ce soit parfaitement compréhensible pour tout le monde, même la ménagère qui fait autre chose en même temps.

En revanche, c'est autre chose de prétendre qu'à l'autre bout de l'échelle, ce sont des films qui n'ont rien à raconter. The Green Knight parle de beaucoup de choses, raconte énormément. Par contre oui, ce n'est pas la patte de Lowery de surligner en permanence ce qu'il est en train de dire. Et pour la scène dont on parlait, au contraire, il est important que la scène dure. C'est précisément là que se situe son sens et le propos de la scène. Lowery ne cherche pas ici à simplement faire une description de cette banalité, mais à la dessiner, la faire ressentir un minimum. Voilà la réalité du prestige. Est-ce qu'il fallait la faire un tout petit peu plus courte, un tout petit peu plus longue? Ce sont là des choix artistiques, et par conséquent subjectifs. Mais par rapport à ce qu'elle raconte, il fallait qu'elle dure "trop" longtemps.

Morcar
06/01/2022 à 15:50

@GTB, je m'attendais à ce que ma comparaison ne plaise pas, car en effet certains tableaux de maître nécessitent bien un long temps d'analyse. Mais ce n'est pas ce que je rechercher au cinéma. Evidemment, chaque plan doit être travaillé, mais il faut quand même que le film raconte une histoire. Ici, rien.
Pour prendre votre exemple, je veux bien comprendre que la scène avec le berger et son troupeau de montons raconte quelque chose, mais elle dure bien trop longtemps pour ce qu'elle raconte. Au bout d'une heure de film, j'ai abandonné car le film ne m'avait raconté que très peu de choses.
Je ne connais pas l'oeuvre originale, mais soit elle fait vingt pages, soit elle raconte beaucoup d'autres choses que ce qu'on voit à l'écran. Car au rythme où allait le film, ses deux heures auraient pu faire un court métrage de 30 minutes à mon goût.

@Caracalla, je suis totalement d'accord avec toi. Il y a des films très "actifs" qui sont ennuyeux (Man of Steel qui pète pleins d'immeubles, et pourtant....) et d'autres contemplatifs qui ne le sont pas. J'en apprécie moi-même. Par exemple, on peut citer le film "Elefant" de Gus Van Sant, qui est assez lent, et qui pourtant raconte quelque chose.
A mon avis, ce n'est pas le cas ici. Une heure pour uniquement voir un gars accepter une quête, partir sur son cheval, demander une direction a un passant et tomber dans un guet-apend, c'est quand même trèèèèèèèèèèèèèèèèèèèès long pour pas grand chose...

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