L'homme qui a tué Hitler et puis le Bigfoot : critique moins longue que le titre

Mathieu Jaborska | 5 janvier 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Mathieu Jaborska | 5 janvier 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Précédé d'une réputation solide construite sur plusieurs mois, voire plusieurs années de diffusions en festival, produit à la fois par des figures adorées du cinéma indépendant américain (Lucky McKee) et une partie du panthéon du divertissement hollywoodien (John SaylesDouglas Trumbull), L'homme qui a tué Hitler et puis le Bigfoot arrive enfin en France en catimini, directement en VOD. Un destin hexagonal quasi-scandaleux, car cette série B atypique est bien plus surprenante que son titre à rallonge ne le laisse présager.

the man who killed The book and the cover

L’habit ne fait pas le moine, et la promo ne fait définitivement pas le film. Avec son affiche rétro et son titre crâneur, L'homme qui a tué Hitler et puis le Bigfoot ressemble de loin à une de ces bisseries modernes contrebalançant un très maigre budget par un postulat de départ repoussant les frontières de l’absurde.

Et si la publicité est tout sauf mensongère, et qu’on devine des moyens microscopiques, le premier long-métrage de Robert D. Krzykowski (après un court-métrage remarqué et la co-production de l’excellent The Woman) prend un malin plaisir à emprunter une tout autre voie, grâce à une singularité tonale qui prend de court quiconque s’attendait à une série B taillée pour les fins de semaine difficiles.

Un pied de nez qu’on devine volontaire, tant le titre gâche le scénario en substance tout en passant sous silence les vrais intérêts du film. L'homme qui a tué Hitler et puis le Bigfoot raconte donc bien ces deux évènements, sans pour autant en faire le vrai cœur d’un récit qu’on pourrait finalement bien plus qualifier de drame que d’épopée d’aventure. Le geste en lui-même, au-delà de ce qu’il implique, force le respect. Loin de se contenter d’appliquer un programme, le cinéaste a pris le risque de tordre un peu la direction de son essai au risque de décevoir l’amateur du genre, très présent dans les festivals où le film a façonné sa renommée et forcé de perpétuellement adapter ses attentes.

 

photoLe plus bel acteur du film et Aidan Turner

 

Atypique, le résultat ne renie pourtant pas ses influences et son statut de divertissement. Il se permet juste de contourner le cahier des charges. Les tics stylistiques, tels les zooms rapides sur les visages, sont rares et utilisés à contre-emploi. Aux scènes de baston se substituent des scènes de suspense ou même des dialogues très malins (la scène du rasage), quand leur importance ne passe pas carrément au second plan, grâce à un montage parallèle paraissant inutile dans la première partie avant de faire sens dans la seconde.

Grâce à ce procédé, particulièrement bien exécuté (on passe parfois d’une époque à une autre d’un simple raccord regard), Krzykowski opère le véritable tour de passe-passe de son œuvre : s’attarder bien plus sur les causes et les conséquences des évènements que sur les évènements eux-mêmes. Privilégier l’introspection à l’action.

 

photo, Sam ElliottLe bon chasseur...

 

Dans la légende

Il se dégage donc de l’ensemble un parfum de mélancolie de plus en plus prégnant, tandis qu’on se rend compte, ébahis, que le sujet est plutôt le vieux papy nostalgique que le jeune homme à la vie bien remplie qu’il a été. Une idée très belle, qui trouve son point culminant dans la toute dernière séquence, révélant le véritable état d’esprit du protagoniste, pour qui ces péripéties ne sont qu’un bâton dans les roues de son accomplissement personnel, voire de sa propre humanité. Une remise en question à contre-courant des standards narratifs et merveilleusement bien jouée par un Sam Elliott extrêmement touchant.

Un point de vue qui aime prendre à rebours les intentions qu’on lui prêtait avant le visionnage, mais qui amène surtout une réflexion plus subtile encore sur le poids des mythes, véritable fil rouge de l’intrigue, longuement évoqué dans des dialogues savoureux. Qu’il s’agisse des croyances d’une mère russe, de la puissance écrasante et déprimante de l’idéologie fasciste, des théories du complot, des jeux à gratter ou d’un amour purement cinématographique, toutes les légendes ont droit à leur moment de gloire.

 

photoUn des quelques sublimes plans qui parsèment le film

 

Le pauvre Calvin Barr en a donc sa claque de ces grandes mythologies auxquelles il est perpétuellement confronté, et auxquelles la musique de Joe Kraemer et la photographie - transcendant avec un certain génie les limites du budget - d'Alex Vendler renvoient en permanence. La mise en scène se perd régulièrement dans de grands instants mystiques, renvoyant même parfois à la fameuse patine d’Apocalypse Now. Notre héros, perdu dans ces missions ambitieuses, ressemble à une sorte d’Indiana Jones fatigué de l’aventure. Sa seule quête, et celle qui motive finalement les 1h30 de métrage, est un retour à la simplicité de la vie, symbolisée par le personnage de son frère et par plein de petits détails.

Alors forcément, il faut transformer son regard, accepter quelques concessions et surtout un rythme par définition déceptif. Mais une fois qu’on s’enivre de l’impression de fatigue qui émane du film, on peut largement profiter de sa singularité.

L'homme qui a tué Hitler et puis le Bigfoot est disponible en VOD depuis le 4 janvier 2021

 

Affiche

Résumé

À force de transgresser son postulat de film d'aventure pour mieux se consacrer à l'introspection de son personnage, L'homme qui a tué Hitler et puis le Bigfoot propose une analyse tout en finesse des mythes qui nous entourent, et de leur charge psychologique et émotionnelle.

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commentaires
Jaabu
11/01/2021 à 22:33

« Alors forcément, il faut transformer son regard, accepter quelques concessions et surtout un rythme par définition déceptif. »

Je kiffe également Sam Elliot, les films sus-cités mais également Rush (1991), splendide descente dans l'enfer de l'héroïne seventies !
Merci de ce retour qui me conforte dans l'envie de le regarder, je tique un peu (beaucoup) cependant sur l'emploi du mot "déceptif", néologisme foireux à mes yeux (oreilles) et qui apparemment signifie autre chose que le banal "déception" pour vous...
Parce qu'un rythme décevant, je ne saisis pas non plus le concept. ^^

thierry
07/01/2021 à 20:56

Sam Elliot est un acteur étrange qui apparaît là, ré-apparaît ailleurs et poursuit sa route encore ailleurs. Une figure connue mais en même temps sans cesse redécouverte. Ce film a déjà un titre particulièrement génial et accrocheur. Le fond l'est tout autant. Une réalisation soignée, une belle photo, des acteurs percutants et un film de série B dans ce qu'elle de plus noble. Un film qui, à mon sens, sort des sentiers battus et vaut largement le moment qu'il nous offre.

UGOLIN
07/01/2021 à 08:42

Du ciné, du vrai, un pur bonheur pour celui qui aime l'originalité bien maitrisée
Voilà un film que j'aurais raté sans votre analyse pertinente

Stavos
05/01/2021 à 22:32

Joe Kraemer est un compositeur absolument brillant, dommage qu'il soit aussi peu sollicité pour le cinéma. Et si vous avez Twitter vous aurez le plaisir de voir que c'est un mec adorable est ultra accessible !

Rayan Montreal
05/01/2021 à 20:01

" critique moins longue que le titre "

Ahah dead

Tonto
05/01/2021 à 19:59

Content d'avoir lu cette critique, ça m'aurait saoûlé d'attendre un film d'aventures et de découvrir un drame pas du tout à l'image de ce qu'on attendait. Cela dit, ça me donne limite encore plus envie ! Ca me fait penser à Fatman qui, lui aussi, prenait la voie d'un véritable drame désabusé à mille lieues de la comédie décalée que nous vendait la bande-annonce... Pas sûr que ce soit le meilleur moyen de vendre un film, mais au moins, ça crée de la surprise !

Louig
05/01/2021 à 19:52

Sam Elliott, quel régale. The big Lebowski, justified, roadhouse, blue jean cop ...

Cépafo
05/01/2021 à 19:24

Ca ,ce sont des films comme je les aime.

Rien que pour le titre absurde et Sam Eliott (acteur magnifique et rare), je veux le voir.

MystereK
05/01/2021 à 19:22

Ce film est succulent, j'ai beaucoup aimé.

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