Pig : critique cochonne

Christophe Foltzer | 6 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 6 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Généralement, quand on pense "cinéma iranien", on pense tout de suite à des films extrêmement sociaux comme Une séparation de Asghar Farhadi ou Taxi Téhéran de Jafar Panahi, tiraillés entre la censure gouvernementale et les instances religieuses, évoluant en terrain glissant pour délivrer leur message progressiste. Et puis, il y a des films comme Pig, qui décident de tout défoncer sur leur passage. Et tant pis si ça tâche.

LE JOUR DE LA BÊTE

Dès ses premières secondes, Pig nous montre qu'il ne sera pas un film comme les autres. Un truc dans l'air, une ambiance, une couleur, un je-ne-sais-quoi qui nous laisse penser que quelque chose d'étrange est sur le point de se produire. Et ça ne rate pas. Passé un générique bien psychédélique, tordant tout autant que déroutant, le septième film de Mani Haghighi, ne faiblira jamais en intensité. Il s'évertuera toujours à garder son cap acide et caustique tout en n'oubliant jamais qu'il est avant tout une comédie noire permettant de dénoncer pas mal de choses.

 

photo, Hasan Ma'juniUn réalisateur au bord de la crise de nerfs

 

En l'occurrence, notre rapport à l'image, à la reconnaissance et à notre propre narcissisme. Nous y suivons donc le calvaire d'Hasan Kasmai, un réalisateur iranien censuré par le gouvernement et qui a perdu son autorisation de tournage depuis des mois. Tournant en rond, clairement sur le retour, paumé dans sa vie, il vit très mal la situation du moment. En effet, un mystérieux serial-killer tue les cinéastes les plus influents de Téhéran les uns après les autres. Et ça ne lui plait guère parce qu'il est épargné. Qu'est-ce que ça veut dire ? Vaut-il moins qu'un autre ? Il décide donc d'attirer l'attention du tueur pour se prouver qu'il est toujours au top.

Avec un pitch pareil, un autre cinéaste nous vient immédiatement en tête : Álex de la Iglesia. Parce que c'est bien le genre de sujet que le réalisateur espagnol pourrait traiter dans un de ses films. Comme son collègue, Mani Haghighi ne prend pas de détours pour se confronter à son sujet, il y va cash. La plupart de ses personnages sont détestables, leurs relations basées sur l'apparence, et les tourments nombrilistes qui les secouent ne sont que la caricature d'un problème plus profond.

 

photo, Hasan Ma'juniDes meurtres étranges qui poussent à l'insensé

 

NOS CHERS CONTEMPORAINS

En effet, il ne faut pas oublier dans quel contexte Pig est réalisé. On parle quand même de l'Iran, pas l'Etat le plus démocratique du monde, engoncé dans un traditionnalisme religieux qui ne laisse que peu de latitude et de manoeuvre aux esprits frondeurs. Voir un tel film produit et réalisé dans un tel cadre répressif force l'admiration.

Parce que Mani Haghighi ne verse pas dans la demi-mesure : ce sont tous les aspects de la société iranienne qui se voient flingués les uns après les autres. Qu'il s'agisse de la mainmise du pouvoir sur l'industrie cinématographique, du poids des religions et des traditions sur le mode de vie, de la famille clanique et de la place de chacun dans la société, tout y passe avec énormément de talent.

 

photo, Hasan Ma'juniMalgré l'horreur, toujours liker, partager, publier

 

Mais la plus grande force de Pig, c'est bel et bien de ne pas se limiter à ce strict cadre iranien. En effet, à travers son histoire, le réalisateur tire à boulets rouges sur les nouveaux modes de vie émergents, le rapport à la célébrité, les réseaux sociaux et l'individualisme morbide qu'ils installent dans nos esprits.

On se retrouve donc avec une oeuvre profondément subversive qui va jusqu'au bout de son propos, n'hésitant pas à virer dans le gore, la cruauté et la grosse comédie trash pour nous dire ce qu'il a à nous dire.

 

photo, Hasan Ma'juniBon ça c'est pas très gore...

 

Et cela fait un bien fou. Parce qu'il atteint une dimension libératrice, parce qu'il touche juste dans tout ce qu'il aborde, parce que les comédiens sont exceptionnels, parce que la mise en scène est au diapason et parce que l'énergie qui s'en dégage est irrésistible. Se permettant volontiers quelques écarts dans l'onirisme, Pig accède ainsi à une certaine beauté humaine.

Une beauté noire, cruelle, violente certes, mais une beauté hypnotisante et juste qui nous prouve que, qu'importe notre position sur le globe, nous sommes tous, à l'heure actuelle, confrontés au même questionnement. Et il est assez ironique de voir que la proposition la plus énervée et la moins frileuse du moment, celle qui tape le plus juste, nous vient d'un pays comme l'Iran.

 

Affiche officielle

 

Résumé

Enervé, cruel, drôle et sans concession, Pig est un petit bijou subversif comme on en voit bien trop rarement actuellement. Raison de plus pour se précipiter dans les salles pour le découvrir.

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commentaires
MystereK
06/12/2018 à 20:47

Un film iranien qui sort un peu de ce qu'on est habitué des cinéastes plus sérieux. Il est drôle, sans être loufoque, parle de notre art préféré, un petit bout de plaisir à savourer.

Number6
06/12/2018 à 17:10

Moi qui adore justement les films sociaux /societaux sur le monde arabe car fait avec sincérité et où on en apprend bien plus qu'en allumant BFM, ce film a contre courant à l'air complètement barge. Du coup, vu que ça sortira pas chez nous, je met la page en favori

Bob57
06/12/2018 à 11:42

Wouhou ! Celui la me tente !!

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