A Ghost Story : critique spectrale

Simon Riaux | 24 décembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 24 décembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

A Ghost Story, disponible sur Netflix

Remarqué grâce à ses Amants du TexasDavid Lowery nous revient d’un passage chez Disney, après avoir réalisé l’adaptation live de Peter et Elliott le dragonpoussé par le désir de revenir à une certaine simplicité. Et si l’histoire de fantôme qu’il nous propose se pare d’un apparent minimalisme, c’est bien à une supernova émotionnelle qu’il nous convie.

LA MORT LUI VA SI BIEN

Fraîchement décédé, C. hante la maison où il a vécu avec M. Réduit à un ectoplasme de tissu invisible, il erre et attend. Qu’on le remarque. Que celle qu’il aimait réagisse à ses suppliques silencieuses. Que quelque chose advienne. En découvrant les premières images de A Ghost Story, on pouvait légitimement redouter une rêverie arty, nimbée dans les artefacts du cinéma indépendant américain, qui n’aborde ses thématiques et son genre que du doigt, par et pour une pose fumeuse.

Et si au premier abord, la photographie de l’ensemble et son ascèse parfois radicales peuvent rebuter, le film a bien plus à proposer, et s’avère au contraire une exploration passionnante de la condition spectrale, et à travers elle, de notre humanité. Pourquoi un fantôme hante-t-il ? Quelles sont ses motivations et que provoque chez lui la lente érosion de la raison, de l’amour, voire de la mémoire ?

 

PhotoBienvenue dans l'anti-Conjuring

 

C’est à ces questions que David Lowery esquisse une réponse. Porté par un héros mué, dont il est allé jusqu’à supprimer le visage, et donc toute émotion immédiatement lisible, le metteur en scène n’a dès lors plus que sa mise en scène et son montage pour narrer, pour amener son mirage fantomatique jusqu’au cœur du spectateur. Et il relève ce défi délicat d’une main de maître. Il n’est pas une seule séquence du métrage qui ne déploie une parfaite composition de l’image, une trouvaille de mise en scène, où de formidables expérimentations rythmiques.

Le réalisateur pousse le perfectionisme jusqu'à opter pour un format rarement employer, 1:37, qui confère à l'image un aspect carré, qui n'est pas sans évoquer les proportions de vieux photogrammes, aspect encore renforcé par la photo pastel légèrement désaturée. Au sein de microcosme esthétique faussement éthéré, chaque ligne de fuite, chaque écran dans l'écran (fenêtres, baies vitrées, resurgences géométriques) recompose le sens des séquences, altère notre rapport au réel, pour nous plonger petit à petit dans un poème visuel qui explore sans relâche le temps et l'espace.

 

PhotoCasey le Petit Fantôme

 

DEAD AND ALIVE

Rarement la mélancolie, l’absolu du sentiment amoureux magnifié par le manque, la représentation de l’absence, avaient été représentés avec une si magnifique acuité. Le temps d’un plan à la longueur presque insoutenable, où Rooney Mara, assommée de chagrin se repaît mécaniquement d’une tarte sans voir la silhouette du spectre qui guette la moindre inflexion de son visage, Lowery montre qu’il manie brillamment la temporalité, afin de rendre chaque micro-mouvement de caméra, chaque tressaillement de ses comédiens, riches d’une quantité de nuances écrasantes.

Métaphysique car la beauté de ce récit intime et mystique est de nous proposer, au-delà de l’autopsie d’un amour corrodé par le temps et la fatalité, une formidable réflexion sur le temps. Lowery utilise du cadre comme d’une frise temporelle, et incarne génialement son évolution au fur et à mesure qu’avance la narration. On ne révélera pas les twists et retournements qui font de A Ghost Story un film aux frontières de la science-fiction, mais c’est avec sidération que son auteur développe sans crier gare une économie du sentiment, une théorie du deuil, de son sens et de la quête de la paix, dont la limpidité impressionne et provoque un véritable maelström émotionnel.

 

Photo Rooney MaraQuand David Lowery use de l'espace comme autant d'écrans subdivisant l'image

 

Au sein d’un dispositif qui leur laisse une grande latitude de création, Rooney Mara et Casey Affleck évoluent au rythme d’un pas de deux tantôt funèbre, tantôt désespéré, toujours mû par les palpitations erratiques de leurs cœurs meurtris, dont toutes les pulsations trouvent dans le spectateur un écho dévastateur. La grâce de leurs prestations doit beaucoup à la révérence avec laquelle le cinéaste les capture, mais également aux ruptures de ton qu’organise le montage souvent audacieux, et une bande-originale somptueuse.

Avec la joliesse d’un secret qui ne pourrait être divulgué par le verbe, A Ghost Story lève un voile éclatant sur ce qui, au cœur même de la perte, relève de la beauté, sur cette capacité étonnante de la lumière à briller plus fort quand elle est enclose dans les ténèbres.

 

Affiche française

Résumé

Rêverie spectrale et puissamment incarnée, A Ghost Story bat dans chacun de ses plans d'une myriade de trouvailles et d'idées à la poésie viscérale et lumineuse.

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Lecteurs

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commentaires
captp
26/12/2020 à 22:11

Tu vois Casey Affleck + fantôme au moment de la sortie ciné, tu calcules pas, ne prend même pas le temps de lire la critique.
4 ans plus tard tu te dis que t'as une fois de plus été sacrément c** d'avoir raté cette poésie en salle.
Belle critique qui m'aurait assurément donné envie de le voir si je m'étais donné la peine mais le cinéma c'est aussi se prendre régulièrement une leçon d'humilité plein fer.

Au
26/12/2020 à 18:30

secours.

D'un ennui mortel. J'ai lâché l'affaire au bout de 20 minutes...
Désolé les gars, je ne suis pas payé, moi.

^^

Tractopelle
24/12/2020 à 21:58

La plus belle proposition sur le thème du fantôme vu depuis Ghost avec Patrick Swayze . Un grand film pas très loin du chez d'œuvre et clairement une œuvre poétique du puissance émotionnelle rarement vu . 4 étoiles facile

Ikea
24/12/2020 à 15:16

Un exemple de cinéma, à contre-courant. Ce parti-pris de jouer sur la lenteur, de faire de l'ennui, de l'attente, le propos même du film, d'assumer une temporalité qui s'étiole jusqu'à frôler l'image fixe, est incroyablement osé, aujourd'hui et tout court. Le film a des défauts, sans doute, mais il m'a rappelé que le cinéma peut bien balayer tout ça quand il veut exprimer autre chose qu'un travail bien fait, qu'il dépasse les considérations "bon / mauvais" pour s'arrêter sur un souffle. Et ce souffle-là, long soupir, recèle en lui énormément de sentiments, derrière son ambiance de mort en apparence mais avec, au fond, la vie qui se devine sans se voir, comme un spectre.

Quel dommage quand même que le réalisateur donne quelques pistes de façon frontale lors d'une certaine scène, sur comment voir son film... Il me donne alors l'impression de me déposséder d'une oeuvre qui offre un plaisir rare à la laisser bourgeonner en soi. Enfin, c'est un détail.

Moody
24/12/2020 à 10:18

Une pépite. Un coup de cœur. Une merveille de film. Ça, c’est de l’art, de la poésie

l'autre
01/06/2018 à 14:25

La scène de la tarte m'a gavé graaaaave ! Sinon une jolie expérience...

Lo
19/12/2017 à 16:42

Un beau film poétique. On y pense longtemps après

JIdé31
19/12/2017 à 05:09

..."jusqu'à opter pour un format rarement employer"...
Remplacez l'infinitif par un participe passé et ce sera parfait.
De rien.
;-)

Flo
14/12/2017 à 15:51

Vu il y a quelques semaines. J'ai trouvé le film assez inégal malgré ses qualités indéniables. Le commentaire de Pedro est tout à fait juste. Le film ne m'a pas secoué mais ce type d'oeuvre n'est assurément pas pour tout le monde.

Simon Riaux
13/12/2017 à 13:20

@sylvinception

On peut savoir quel est le rapport avec Malick ?
(qu'on rigole)

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