Perfect sense : Critique
Perfect sense réussit le tour de force d'être à la fois un film dans l'air du temps mais aussi totalement singulier. Dans l'air du temps car on peut le voir comme un film sur la fin du monde, même s'il ne s'agit en fait que de l'humanité. Et singulier par sa force poétique, sa façon de tendre vers le mélodrame, sa simplicité déconcertante et son retour à la source de chaque émotion. Car finalement si le film de David MacKenzie est aussi tragique ce n'est pas tant parce que les humains n'ont plus aucune chance ni aucun espoir de survie que parce que le destin de deux individus est intimement lié à cette tragédie et que le drame et les tensions intérieures qui les avivent font totalement écho au déchainement du monde qui les entoure.
Les passions sont destructrices, mais eux se construisent dans leur amour pendant que l'humanité voit son chemin se terminer. Comme si la fin des temps pour les humains leur permettait de s'unir et de vivre pleinement une dernière fois. Brutalement et avec douceur, lentement et rapidement à la fois. On nage ici dans le rêve et la réalité, dans un monde aux lumières très vives, très marquées, que d'aucun pourrait trouver réalistes alors qu'elles ne le sont pas. Elles portent en elles une certaine image du monde dans sa volupté, sa torpeur, son amour, sa peur, sa tristesse et sa haine.
Et l'un des points forts du film c'est d'amener cinématographiquement le spectateur vers la perte de tous ces sens, vers ces émotions tout en restant devant un écran plat, sans fioriture. Nous vivons le film et il parvient à nous faire ressentir ces pertes de sens et ce flux de vie incontrôlable qui les précède. D'abord grâce à la profession d'Ewan McGregor. Il est cuisinier dans un restaurant : il cultive le goût, l'odorat, mais aussi le toucher, les textures et surtout il partage. Car la cuisine ne se vit jamais seul. Il est celui qui peut rebondir car il n'a pas besoin d'expliquer ce qui se passe mais simplement de se concentrer sur les sens qui lui restent. Il est la sensation face à Eva Green, l'épidémiologiste, la scientifique qui refoule ses sentiments et qui parlent aux gens derrière des vitres et qui sera la raison. Mais une raison vacillante, comme le monde qui l'entoure et cette maladie qui ravage tout.
La poésie du film tient également beaucoup à sa forme. A sa musique, merveilleuse, ces quelques notes de piano si belles et qui collent parfaitement à l'atmosphère pour mieux la travailler. Elle tient aussi à ces images qui bougent et qui parfois s'arrêtent dans des poses photographiques qui offrent plusieurs perspectives. C'est déjà un rappel fort à La Jetée de Chris Marker auquel on songe indéniablement à plusieurs reprises. Mais la photo face au cinéma c'est également la mort, l'arrêt du mouvement, de la vie. Et pris dans un flux d'images en mouvement, ces arrêts sont d'autant plus visibles comme annonciateur d'un monde déjà mort, d'un futur impossible. Mais ces moments gravés nous font pénétrer dans l'intime, dans une autre sphère, celle du couple et des individus tous différents qui peuplent ce monde. On pénètre dans ces clichés en surface mais assez pour qu'ils puissent nous apprendre davantage sur l'homme que tous les mouvements de foule.
Lecteurs
(2.5)04/03/2024 à 15:21
Aussi bien une histoire romantique usuelle et terre à terre, qui commence par de la drague, du sexe, puis ensuite des liens qui se créent lorsque l’on se rend compte qu’on a des choses en commun et qu’on ne veut pas vraiment finir seul. Puis le malentendu, la vie qui vous sépare avant que peut-être…
Sauf que tout ça est assujetti à un contexte de Fin du Monde, façon « grosse météorite qui vous arrive dessus inexorablement ».
Film mi écossais, mi danois, un peu mondial (les scènes se passant aux quatre coins de la planète, prises sur le vif ou piochées dans des archives télévisées – un brin manipulatrices)
En vérité on y voit un effondrement massif en plusieures étapes – un Sens à chaque fois (Odorat, Goût etc), précédé par une vague de comportements émotionnels exacerbés, ce qui est une jolie idée.
Donc Ewan McGregor en cuisinier, pour le lien récréatif avec les Sens.
Eva Green en épidémiologiste, pour l’étude de cette pandémie probable (évidemment, ça a plus d’impact dans les années 2020 que lors de la sortie du film 10 ans avant).
Et même si l’anéantissement gagne du terrain continuellement, sans nous donner de réponse sur l’après film, ni même sur la mystérieuse narratrice qu’on entend (descendante d’une Humanité guérie, ou entité extérieure ?)… le film continue à hanter tout en en célébrant notre force d’adaptation, d’entraide et de résilience.
C’est à la fois chaleureux et angoissant. Et mêler ces deux sentiments contradictoires, c’est un petit exploit.
28/10/2020 à 21:27
Un film que je découvre et qui fait forcément écho à la crise sanitaire actuelle. Poignant, poétique, comme votre critique.