La Jeune fille de l'eau : critique à la piscine
M. Night Shyamalan est un drôle d'oiseau. Il y eut d'abord, les succès choc Sixième sens et Incassable. Puis des films plus mitigés avec en 2002 avec Signes, puis Le Village deux ans plus tard. La critique fut prompte à l'étiqueter comme le nouveau Steven Spielberg (l'une de ses références), voire son successeur naturel. Comment se positionne cette Jeune fille de l'eau ?
LE VIEUX DE L'IMMEUBLE
Avec La Jeune fille de l'eau, M. Night Shyamalan demeure fidèle à ce qui est apparaît, sinon comme son fond de commerce, du moins comme une obsession majeure chez lui : l'irruption du fantastique dans un monde normal. Quoi de plus banal, en effet, qu'un concierge bègue du nom de Cleveland dans un complexe d'appartements ?
Paul Giamatti (Sideways) colle idéalement à ce type ordinaire, plutôt effacé, sans brillance particulière. Son quotidien n'est qu'une enfilade de petits boulots sans intérêt : réparer une machine à laver, exterminer un nuisible dans une cuisine, changer des ampoules défectueuses ces mini-scènes campent, souvent avec beaucoup d'humour, le profil du héros qui s'ignore encore et dévoilent une galerie de locataires assez hauts en couleurs.
Bryce Dallas Howard et Paul Giamatti
M. Night Shyamalan, imitant comme à l'accoutumée le grand Alfred Hitchcock (une autre de ses références), ne se contente cette fois pas d'une apparition mais d'un vrai rôle (la modestie de son personnage reste à débattre, d'aucuns y verront une prétention illimitée). Qui sommes-nous au-delà des apparences ? Qui sommes-nous, une fois ôté le masque des conventions sociales ? Quelles forces insoupçonnées dorment en nous ? Que savons-nous de nous-mêmes ? Un petit garçon qui lit les boîtes de céréales, un groupe de copains qui refait le monde autour d'une bière, une vieille dame qui attire les papillons les portraits ébauchés semblent partir à tout vent, avant, petites clés secrètes qui ouvrent des portes insoupçonnées, de délivrer un sens quasi cosmique au film.
INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉ
Qu'une nymphe rouquine (Bryce Dallas Howard) s'ébatte dans la piscine du complexe, à la recherche d'un humain avec lequel elle doit communiquer avant de pouvoir revenir dans son monde bleu, ne semble pas étonner outre mesure notre concierge discret. Ou comment une légende chinoise pour enfants s'ancre dans la réalité d'un monde d'adultes qui a enfoui son enfance. La nymphe doit être sauvée des griffes d'une sombre créature, mi-phacochère mi-loup aux longs poils hérissés et aux grondements féroces. Oui, elle est inquiétante. Oui, elle est angoissante. Comme l'étaient les aliens de Signes, les fantômes de Sixième Sens. Qu'on ne s'y trompe pas, semble réitérer encore et encore le réalisateur, le monde est ainsi fait que le mal rôde partout, à chaque instant. Restons vigilants, éveillons-nous, unissons-nous.
D'évidence, le cocktail ne marche que si l'on accepte implicitement le postulat de la légende qui prend vie et corps, que l'on se laisse porter par l'irrationnel. Le basculement se fait dans une grande douceur, presque imperceptiblement. On se sent entraîné de manière irrésisitible. Tour à tour poétique, fantastique, cauchemardesque, La Jeune fille de l'eau prouve, s'il était besoin, que M. Night Shyamalan est un cinéaste vraiment original, pourvu d'un talent certain de narrateur et d'une intriguante vision du monde. Des qualités d'autant plus appréciables qu'elles ne sont guère légion dans le microcosme hollywoodien.
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(3.0)