Batman vs. Teenage Mutant Ninja Turtles : critique écaillée

PIZZA AU BAT FROMAGE

A quoi reconnait-on un sérieux manque d'inspiration ? Quand on prend deux licences et qu'on les mixe dans une seule et même aventure ou quand on opère un crossover défiant toutes les lois de la logique.

Et le monde de l'animation américaine n'est pas en reste, elle qui nous a offert des trucs aussi inattendus et clairement discutables comme Scooby-Doo et la folie du catch (avec John Cena et tous les autres catcheurs de la WWE) ou encore Scooby-Doo : rencontre avec Kiss (avec le groupe Kiss, donc).

Oui, vu comme ça, ça fait flipper

Non pas qu'on ait quelque chose contre le chien d'Hanna-Barbera mais il s'agit de l'exemple le plus flagrant du crossover débile, opportuniste et bassement mercantile. Alors, quand on a entendu parler de Batman vs. Teenage Mutant Ninja Turtles on a commencé à se dire que DC Comics avait jeté l'éponge et nous prenait pour de gros pigeons.

Sauf qu'en réalité, un tel projet est tout à fait légitime dans l'univers DC puisqu'il s'appuie sur un comics, Batman & Les Tortues Ninja, publié chez nous en 2017 et créé par James Tynion et Freddie E. Williams. Une aventure surprenante même, qui tente de mêler deux univers a priori antinomiques. Et c'est aussi la grosse difficulté que s'impose le film mais on constate rapidement qu'il l'évite en prenant un chemin de traverse inattendu et diablement logique.

Une première rencontre un peu tendue

L'UNION SACRÉE

Les Tortues arrivent donc à Gotham, lancées sur les traces de Shredder et du clan Foot qui volent des appareils technologiques expérimentaux avec un sombre dessein derrière la tête. Batman, de son côté, trouve cette agitation bizarre et pense avant tout à la sécurité de sa ville. Aidé de Batgirl et Robin, il tente d'en savoir plus et tombe sur nos quatre tortues. Méfiants les uns envers les autres, ils s'affrontent avant de réaliser qu'ils ont un ennemi commun, voire plusieurs.

Un résumé simple, qui ne dévoile rien du film et qui, pourtant, vous en livre tous ses secrets. A sa lecture, dans sa structure narrative, on pense tout de suite au principe du buddy-movie, genre ultra populaire dans les années 80 avec des perles comme L'Arme fatale, 48 heures ou encore Le Flic de Beverly Hills : à savoir, une enquête explosive avec des personnages que tout oppose à l'origine, qui vont apprendre à se connaitre et, au final, devenir amis.

Un film qui n'oublie jamais d'où il vient

Batman vs Teenage Mutant Ninja Turtles, c'est exactement ça, mais dans le monde des super-héros. Et l'on ne peut être qu'admiratif de la maestria avec laquelle le film parvient à combiner harmonieusement les deux univers en respectant les personnalités de chacun des personnages. Si nous avons affaire aux tortues dans leur incarnation "moderne" (Leo est le leader, Mikey le crétin, Donnie le nerd et Raph le gros bourrin), et que cela fait peur au début (l'ombre des films produits par Michael Bay n'est pas très loin), le film explose nos craintes dès leur rencontre avec le Dark Knight et sa bande, tout aussi caricaturaux.

On y retrouve en effet un Batman plus sérieux que jamais, dur, intransigeant, voire inhumain, même avec sa propre équipe, qui va peu à peu s'adoucir et comprendre qu'on ne sauve pas le monde en faisant cavalier seul. Simple, limpide, basique et efficace. De leurs interactions, le film en tire l'une de ses plus grandes qualités : l'humour.

Un crossover qui cachait bien son jeu

Car oui, Batman vs. Teenage Mutant Ninja Turtles est drôle, très drôle. Qu'il s'agisse d'un humour de situation classique ou des multiples clins d'oeil aux univers respectifs, on se tord de rire devant l'efficacité des dialogues et la justesse des vannes.

N'hésitant jamais à aller dans le graveleux ou à la limite du vulgaire, le film remet totalement en question la cohérence du monde de Batman en posant des questions débiles (pourquoi y a-t-il toujours des dirigeables dans le ciel alors qu'on est en 2019 ?) Chacun se moque de l'univers de l'autre, pour le plus grand plaisir des spectateurs d'ailleurs et cela contribue au gigantesque élan de sympathie que l'on éprouve envers ce film.

Pourtant, et c'est une autre qualité, l'histoire n'oublie jamais ses personnages. On en arrive à un équilibre subtil et parfaitement maitrisé de la vanne gratuite au développement des thématiques sous-jacentes. Nos héros évoluent au contact des autres et mêmes les méchants de l'histoire connaissent pareil destin. Un travail dramaturgique qui fait plaisir à voir d'autant qu'il n'est plus aussi courant dans ce type de production.

Protéger ou sévir

BAT MARTIAUX

L'autre grande qualité, en plus du respect des univers convoqués, c'est son excellence sur son plan technique. Si les dessins sont assez épurés, le style permet de marier les deux univers sans que cela ne choque l'oeil ou le coeur du spectateur. En outre, le film bénéficie d'une très bonne animation et, plus important que tout, d'excellentes scènes d'action.

Dynamiques, gérant l'espace à la perfection, parfaitement découpées et rythmées, elles sont probablement ce que la branche animation de DC nous a offert de mieux ces dernières années. Sans compter que le récit devient rapidement haletant et riche en scènes explosives, suivant ainsi à la lettre un cahier des charges à la Shane Black.

Si on ne vous a pas parlé du Joker, c'est pour une excellente raison

Réalisé avec passion, Batman vs. Teenage Mutant Ninja Turtles est donc une excellente surprise et un petit miracle qu'on n'attendait pas. Il paye son tribut à deux sagas légendaires du comics, s'en moque, les respecte et les aime tout en prenant la liberté de jouer avec elles jusqu'à un point de rupture qui n'arrive heureusement jamais.

On en ressort avec un grand sourire et la sensation d'avoir enfin vu un vrai bon film d'action comme on nous en donnait dans les années 80 : généreux, stupide, bien foutu, respectueux et totalement dédié à son sujet. Et ça, c'est tellement rare aujourd'hui, qu'on aurait tort de s'en priver.