Top science-fiction n°8 : Robocop

Florent Kretz | 9 décembre 2009
Florent Kretz | 9 décembre 2009

Pour lancer le compte à rebours avant l'évènement Avatar qui sortira sur nos écrans le 16 décembre prochain, la rédaction d'Ecran Large a remis le bleu de chauffe et a recommencé à se plonger dans une classement impossible.

Après vous avoir proposé notre classement des 31 meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma, nous avons opté pour l'univers de la science-fiction et ainsi d'élire ce qui sont pour nous les 31 meilleurs films du genre. La règle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste ne s'applique pas ici (c'était au dessus de nos forces pour certains réalisateurs).

La seule règle que l'on a décidé d'appliquer (et qui sera critiquable comme beaucoup de règles) : un film qui était déjà dans notre classement de l'horreur ne pouvait pas réapparaître dans ce nouveau classement.  14 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 70 films préférés.

A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'au 16 décembre 2009 qui révèlera le numéro 1 de la rédaction.

Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma de science-fiction.  Et en guest star pour commenter nos choix, on retrouve Vincenzo Natali, le réalisateur de Cube, Cypher, Nothing et du très attendu Splice, étant un parfait ambassadeur du futur de la science-fiction au cinéma.

 

 

8 - Robocop (1987) de Paul Verhoeven

 

Vincenzo Natali : J'ai vu Robocop pour la première fois lors d'une avant-première. Il y avait même un type dans un costume de Robocop devant le cinéma. Personne ne savait rien sur le film. Dès que ED-209 explose le yuppy au début du film, le public est devenu hystérique. C'est le film qui a magnifié l'ère Reagan tout en l'attaquant. Je dois aussi faire remarquer que Robocop est clairement inspiré par le comic book britannique Judge Dredd. On y retrouve le même mélange de satire et de L'Inspecteur Harry dans une métropole du futur. En fait c'est une bien meilleure adaptation de cette BD que l'horrible film avec Stallone.

Luc Besson : "C'est un classement de journalistes !... Je vous remercie de ne pas avoir mis le 5e élément... Heureusement que c'est pas le même pour les spectateurs !"

Jean-Noël Nicolau :

L'intelligence et le fun absolus dans un même film. L'un des sommets cinématographiques des années 80.

Ilan Ferry :

Christique,organique, violent, mordant, Robocop regroupe toutes les obsessions de Verhoeven dans un maelstrom mélant habilement polar et SF.

Patrick Antona :

Le vrai premier film dans l'esprit "comic book", alliant avec sens le "vigilant flick" avec une vision critique et violente de notre monde dominé par les trusts, et qui aurait mérité une plus grande postérité.

 

 

Si certains titres sont bien évidemment sujets aux discussions, il y en a un sur lequel tous semblent être unanimes: Robocop est l'un des films voire le film indispensable ! Une œuvre que tous se doivent d'avoir vu, aussi bien les amateurs de science-fiction que les cinéphiles accros à un cinéma dit traditionnel, tant il représente la quintessence d'un genre et une remarquable leçon de mise en scène qui en donnerait à retordre à une bonne partie des réalisateurs en vogue actuellement. Robocop est un chef d'œuvre absolu, un mythe, une légende, un de ceux pour lequel les fans protestent lorsque l'on évoque un hypothétique remake. Et ce pour une raison très simple : quelques deux décennies plus tard, le film de Verhoeven sonne encore comme l'un des plus majestueux ouvrages des années 80, se faisant passerelle parfaite entre la commande hollywoodienne et le film d'auteur visionnaire. Car c'est bien cela qui sanctifie Robocop: d'un projet commercial bâti sur un scénario burné, un homme va se dresser, envers et contre tous, pour en livrer une interprétation très personnelle et parfaitement pertinente. Ou comment dans le chaos de la machine, la lumière se fit !

 

 

 

Considéré avec une autre sensibilité, Robocop aurait pu être totalement autre : si la production se base sur un script tendancieux inspiré par une visite sur le plateau de Blade Runner et rédigé par Edward Neumeier (futur scénariste de Starship Troopers et réalisateur du troisième opus, ST3 Marauder), les ambitions premières ne sont en aucun cas de révolutionner le genre. D'ailleurs, peu s'intéressent à l'entreprise que tous trouvent sans intérêt. Si les réalisateurs envisagés se succèdent, c'est parce que l'on reproche au script d'être assurément mauvais : Jonathan Kaplan, habitué aux téléfilms, préfère le nanar teenager Projet X; Alex Cox, déjà auteur de l'excellent Repo Man et de Sid & Nancy, ne cède pas aux sirènes hollywoodiennes et met en boite son Straight to hell; David Cronenberg décline l'invitation... Même Paul Verhoeven crache littéralement sur le texte  qu'il n'a pas fini jugeant l'ensemble abscond et symptomatique du travail intéressé des studios. Heureusement, sa compagne dévore les pages et lui resoumet le projet. Sans trouver une grande qualité à l'ensemble, elle reconnait avoir été touchée par le destin de cet ancien flic assassiné et que la science transformera à son insu en justicier des rues. Y voyant soudainement un potentiel et une opportunité d'entamer une nouvelle période américaine après un début de carrière assez stupéfiante dans son pays natal (Soldier of Orange, Turkish delight et tant d'autres tournés aux Pays-Bas), Verhoeven s'empare du projet et s'apprête à faire souffler un vent de terreur dans les coursives de l'industrie du rêve.

 

 

 

Maintenant sous contrôle, Robocop, avant même son tournage, est déjà une entreprise complexe : si le « hollandais violent » assume totalement un parti pris artistique résolument courageux (appréhender son héros comme le nouveau Christ en décrivant littéralement à l'image sa passion durant la totalité du métrage, fallait oser !), le film se devra d'être à la hauteur des attentes du public lambda. A commencer par la fameuse machine, le Robocop, qui se doit d'apporter un plus comparer aux autres cyborgs remis au goût du genre grâce aux succès de la trilogie Star Wars et à la découverte de l'inattendu Terminator qui a bouleversé les foules. Aussi on fait appel au génial Rob Bottin, enfant prodigue ayant révolutionné la façon d'aborder les effets spéciaux et les maquillages à tout juste la vingtaine : Hurlements, The thing, La quatrième dimension, Legend, L'aventure intérieure... Bottin est l'un des techniciens les plus extraordinaire dans le domaine à l'époque et correspond parfaitement au profil artistique attendu. Malheureusement, il a aussi la fâcheuse tendance à se laisser déborder par son excitation à créer et entretient une réputation de retardataire qui ne feront pas bon ménage avec celle de réalisateur tyran de Verhoeven. Toujours est-il que Bottin se voit allouer une somme assez conséquente pour concevoir le design et les armures du personnage 50% homme, 50% machine, 100% flic.

 

 

 

Tandis que la direction artistique prend place et que l'on établit les repérages (le film sera tourné essentiellement à Detroit et au Texas, l'hôtel de ville de Dallas faisant office d'immeuble de l'OCP), on prépare les castings. Après avoir envisagé tout d'abord Schwarzenegger pour le rôle d'Alex Murphy (il sera recalé car trop musculeux), on évoque la possibilité d'engager Michael Ironside. Mais c'est finalement le jeune Peter Weller qui obtient de travailler sur le projet: celui-ci, travaillant alors essentiellement à la télévision hormis quelques rôles au cinéma (Les aventures de Buckaroo Banzaï à travers la 8ème dimension), possède les qualités requises sachant être à la fois extrêmement sensible et impitoyable. Il n'a pas le temps de se préparer qu'il est immédiatement mis à contribution: on tourne quelques scènes sans costume, Bottin n'ayant toujours pas livré la commande!. Lorsque celle-ci arrive enfin, c'est le matin même de la première date prévue de tournage en tant que machine : il faudra plus de onze heures à l'équipe du maquilleur pour monter la carapace sur le comédien. Pire encore, l'armure est tellement lourde que Weller ne peut même pas se déplacer. Verhoeven est obligé de suspendre le tournage, le comédien devant du coup s'entrainer avec un professeur de mime. Si le réalisateur n'adresse déjà plus la parole au maquilleur, les choses vont encore s'envenimer lorsque Weller viendra se plaindre du costume : sous le poids et la chaleur, il perd plus de quatre kilos d'eau par jour et est en perpétuelle déshydratation. Pour contrer, le metteur en scène lance un nouveau casting souhaitant remplacer le comédien récalcitrant.

 

 

 

Le budget explose et l'emploi du temps n'est plus du tout respecté mais Verhoeven tient son film. Il pense s'acquitter d'un problème en tentant d'embaucher Lance Henriksen pour reprendre le rôle mais l'acteur préférera s'investir sur le Aliens, le retour de Cameron. Bottin de son côté reconçoit l'intérieur de l'armure en y incorporant un dispositif de rafraîchissement à l'aide de plusieurs moteurs. Et même si les choses commencent à revenir au calme, le film demande au réalisateur de rester concentré, les ennuis les plus futiles s'apparentant rapidement à des catastrophes : Weller ne peut monter dans les voitures à cause de sa carrure, Verhoeven est obligé d'abandonner quelques plans et de le filmer descendant la portière déjà ouverte... Finalement le maître en viendra à ne plus non plus s'adresser directement à son comédien préférant le considérer comme une machine et le dirigeant assez logiquement en l'appelant « Robot ». Une relation houleuse de plus qui éclipse par la même toutes les autres contributions beaucoup plus sereines. Nancy Allen, par exemple, habituée du cinéma de De Palma (Carrie, Blow out et Pulsions) et ici remplaçante de Stéphanie Zimbalist bloquée sur la série Remington Steel, se met totalement à contribution pour participer à l'aventure: convaincue par le personnage de Lewis, la coéquipière de Murphy, doit abandonner sa féminité pour être totalement asexuée, elle se coupe les cheveux à la garçonne et fait preuve d'une rigueur quasi-militaire. A l'instar de Kurtwood Smith, interprète de l'ordure Clarence Boddicker (assurément l'un des plus infectes méchants du cinéma), qui improvise dans les scènes en se rendant encore plus repoussant (il bave du sang lors d'un passage en prison, détail imprévu lors de la préparation).

 

 

 

Des contributions qui ajoutent à la qualité du film mais qui le mettent aussi très sérieusement en branle : Verhoeven est quotidiennement contrôlé par la production et on surveille de très près ses habituels débordements sanglants. Il est du coup obligé de se séparer de quelques plans outrageux et de les repenser (la séquence du viol par exemple, l'agresseur devant initialement se prendre un balle balancée au travers de la joue de la victime). La mort de Clarence est, elle aussi, revue à la baisse, le hollandais conservant tout de même un minimum d'hémoglobine pour maintenir jusqu'au bout le parallèle biblique*. Mais ce qui contrarie le plus la production est l'évident dépassement budgétaire: pour s'assurer qu'il pourra boucler son film, il tournera qu'en fin de tournage la séquence de l'exécution de Murphy, celle-ci étant la scène-pivot indispensable du métrage. Il devra tout de même s'interdire de tourner quelques plans : une séquence dévoilant Robocop se recueillant sur la tombe de Murphy, une course poursuite... Quand au reste des effets, ils sont tenus par Phil Tippett qui officie depuis quelques temps sur les plus grosses productions : L'empire contre attaque, Indiana Jones et le temple perdu... Il propose le fameux ED-209, concurrent technologique du Robocop, et ici animé dans une somptueuse stop-motion. Pour le rendre plus crédible et éviter le maximum d'inserts, l'équipe fabrique même quelques décors en miniature et n'hésite pas à maltraiter la machine en la jetant dans des escaliers.

 

 

 

Quand au film en lui-même, il est au final une pure merveille car composé d'une multitude de choses mais toujours contrôlé par un Verhoeven exigeant. Lorsqu'il se montre intraitable sur certains points pour ne pas en dénaturer le fond, il accepte cependant les propositions réfléchies. Quand Miguel Ferrer propose de rendre son personnage Bob Morton plus sympathique sans pour autant lui ôter la caricature du yuppie aux dents longues, il refuse que Weller soit plus présent que de mesure. A ce titre, la gestion des personnages est tout simplement magistrale, la première apparition du Robocop dans les couloirs du commissariat jouant autant avec les attentes du spectateur qu'avec celles des figurants... Rythmé sur l'un des scores les plus percutants de Poledouris (avec Conan le barbare et Starship Troopers), la renaissance de ce héros représente la somme de toutes les espérances et de tous les désirs que l'on a en tant que spectateur: allant au bout de choses, maniant autant les stéréotypes (le personnage roublard de Ray Wise) que les rôles plus ambigües (l'enflure Dick Jones jouée par Ronny Cox), Robocop tient autant de l'univers des super héros auquel il fait directement référence (Iron-man par exemple) que des œuvres plus graves et tragiques. Film popcorn pour les uns, œuvre d'anticipation jamais égalée pour d'autres, réflexion dans la plus pure tradition des écrits d'Asimov, critique acerbe du capitalisme et de l'Amérique reaganienne, Robocop est tout cela à la fois et s'impose comme l'une des plus exceptionnelles collaborations entre les moyens mis à disposition par le nouveau monde et le regard d'un auteur habité par la culture du vieux continent.

 

* Verhoeven entretient durant l'ensemble du métrage un réel parallèle entre la culture populaire incarnée par le flic robotique et la tradition judéo-chrétienne: outres les stigmates infligés à Murphy, ce sont évidement sa résurrection et son sacrifice pour sauver ses collègues qui lui offrent une dimension christique. Le réalisateur reconnaitra avoir distillé d'autres pistes allant dans ce sens telles que la marche sur l'eau, la transformation de l'eau en vin (changée ici en sang)...          

 

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