The Americans : l'excellente série d'espionnage a tiré sa révérence dans un final glacial

Geoffrey Crété | 6 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 6 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

The Americans c'est fini. Dernière occasion de revenir sur cette très bonne série.

Lancée en 2013, The Americans est restée étonnamment discrète au fil des années, engloutie par d'autres shows plus populaires. La création de Joseph Weisberg, avec Keri Russell et Matthew Rhys en espions russes infiltrés chez l'oncle Sam, est pourtant une variation particulièrement brutale et fine de la série d'espionnage, qui avait tous les ingrédients pour rencontrer le public et la critique. 

La saison 6, diffusée en France sur Canal + Series, l'a encore rappelé. Après plusieurs saisons très solides, la conclusion a ainsi définitivement prouvé la force tranquille de la série.

ATTENTION SPOILERS !

 

Photo Les Jennings au bout d'un tunnel

 

PAYER LA NOTE

La saison 6 de The Americans est sans surprise axée sur la fin. De la foi d'Elizabeth en ses supérieurs, d'une vie de violence pour Philip, d'une normalité paisible pour Paige, de la crédulité de Stan, et donc de la couverture des Jennings. Comme une enfant qui ouvre les yeux sur ses parents, Elizabeth découvre que Claudia lui cache des choses et avec elle, c'est toute l'illusion à propos de ses nobles missions qui s'écroule.

Alors que Philip a décidé de quitter cet univers à la fin de la saison 5, elle est le dernier rempart solide des soviétiques pour parachever leurs plans. Et quand ce soldat exemplaire et silencieux commence à questionner les ordres, elle se transforme en arme terrible. Pour ce personnage, qui est resté passionnant durant toute la série, c'est encore une superbe couche dramatique.

Elizabeth a toujours vivement défendu sa patrie, et plusieurs fois prouvé et signalé qu'elle serait prête à presque tout pour elle. La voir franchir la ligne, à la suite de Philip, a beau être une pirouette de fin de série attendue, c'est un terrain narratif très riche. C'est aussi un boulevard pour l'excellente Keri Russell, d'une solidité impressionnante dans cette dernière ligne droite.

C'est Matthew Rhys qui a fini par décrocher un prestigieux Emmy cette année, mais l'actrice découverte dans Felicity et croisée depuis dans Waitress, Mission : Impossible 3 et Dark Skies, le méritait amplement.

 

Photo Keri Russell L'impériale Keri Russell

 

INSTANT-STAN

Mais le vrai impératif de cette ultime saison était le cas Stan. Le voisin agent du FBI des Jennings est devenu au fil des saisons un ami proche, particulièrement de Philip. A plusieurs occasions, il a failli flairer le mensonge, mais est resté aveuglé par son amitié. The Americans a longtemps tourné autour du pot aux roses, et il devenait vital d'enfin affronter l'inévitable situation.

Sauf qu'après cinq saisons, voir Stan relier les indices si vite et redessiner la vérité qui se dérobait à son regard depuis tant d'années, est plus que périlleux. La série avait tellement évité de rentrer dans le vif du sujet jusque là, que le personnage semble subitement atterrir et acquérir un sens de l'intuition formidable. Les scénaristes repoussent en plus cet arc vers la deuxième partie de saison, ce qui a pour conséquence de donner un très gros coup d'accélérateur à cette révélation.

C'est d'autant plus visible que la série avait plutôt emprunté des chemins de traverse et soigneusement évité le spectaculaire gratuit depuis ses débuts. The Americans n'est pas Alias ou Mission : Impossible, et voir Stan reconstruire la vérité en quelques épisodes ressemble un peu trop à une facilité au sein d'une série qui a tant soigné son rythme jusque là.

 

photo, Noah EmmerichNoah Emmerich, toujours parfait de sobriété

 

JUGEMENTS DERNIERS

Reste que le talent des scénaristes est indéniable. Si le retournement de veste d'Elizabeth et la vivacité d'esprit de Stan arrivent de manière un peu trop spectaculaire, c'est pour mieux réorienter la série vers une conclusion très réussie.

La scène dans le garage, où les Jennings sont enfin confrontés à leurs mensonges par un Stan armé, est le grand moment tant attendu. Et là, les scénaristes savent ce qu'ils font. Pas de fusillade, pas de bagarre, pas de poursuite. Ici, il n'y a que des êtres abîmés, rattrapés par leurs faiblesses et erreurs (avoir trop trahi, trop trompé, trop fermé les yeux). L'heure des aveux est arrivée, et des deux côtés, il y a celui d'un échec.

 

photo, Keri Russell, Holly Taylor, Matthew Rhys Une scène de tension excellente

 

L'heure des comptes est difficile à bien des égards pour les Jennings, qui doivent abandonner leur fils. Malgré la douleur et le choc, il y a pour eux la certitude que Henry n'a sa place qu'en Amérique. Si Paige (Holly Taylor) a depuis longtemps flairé la vérité puis été mise dans la confidence, et a maintenant entamé une formation, Henry ignore tout de sa famille. Mais eux savent que l'emmener serait pur égoïsme.

Le dernier appel à Henry est là encore un moment fort et la série refuse de céder au mélodrame. L'urgence est de fuir, survivre, mentir jusqu'aux derniers instants. Le coup qui achèvera Elizabeth et Philip sera la décision de Paige de les abandonner en chemin, dans une scène très belle où la jeune femme les a trompés autant que le spectateur : lorsque le train repart vers un avenir grisâtre et incertain, elle est déjà descendue sur le quai.

Une belle conclusion pour Paige, trop assimilée à une suiveuse, et qui avait presque tout accepté de ses parents après avoir lutté contre eux. Cet ultime décision redéfinit profondément le personnage, et rebat les cartes des Jennings de manière douloureuse. Car son avenir à elle est sombre. Elle aurait été une étrangère en Russie, mais n'est-elle pas la même chose en Amérique, maintenant qu'elle a entamé son combat contre l'occident et sera condamnée à en payer le prix d'une manière ou d'une autre ?

 

photo, Holly Taylor Holly Taylor : belle trajectoire pour Paige en six saisons

 

ADIEU AMERICA

The Americans aurait pu se terminer dans un bain de sang. L'affrontement intime des Jennings aurait pu avoir lieu, Philip et Elizabeth aurait pu batailler pour une vision de la famille, de la patrie, et du monde. C'était probablement le choix le plus logique (leurs différences ont grandi au fil des saisons, et la décision de Philip de se retirer indiquait un point de non-retour).

Mais les scénaristes ont opté pour une autre issue. Le couple formé sur des bases si étranges et brutales, s'est consolidé et a appris à survivre ensemble. Au prix de bien des sacrifices, et jusqu'à finalement perdre toutes les fondations de leur union - leur mission, leur couverture, leurs enfants, leur avenir.

 

Photo Keri Russell, Matthew Rhys Couple modèle, modèle de couple

 

La série de Joseph Weisberg ne se termine pas dans une explosion, mais dans un silence de plomb. Le duo retourne en Russie, tourne une page, prend sa retraite. Mais pour quoi ? Pour qui ? Face à une mère-patrie métamorphosée, le couple attend. Devenus aliens des deux côtés de la ligne de la guerre froide, ils semblent perdus, en périphérie d'une ville qui n'est encore qu'un vague et lointain paysage. Ils semblent ne même plus avoir hâte de rentrer, maintenant que cette option git sous leurs yeux.

Ils ont oublié le nom d'un colonel qui les a formés, se demandent ce que leur vie aurait été ici. Se persuadent que leurs enfants ne les oublieront pas, et qu'ils les ont élevés. Les mots se veulent rassurants, mais les visages traduisent une anxiété morose. Nul accueil héroïque pour les espions. Le décor a changé, mais l'existence ne semble rien offrir de plus ici.

 

photo, Matthew Rhys Le doute, implanté dans le couple depuis cinq saisons au moins

 

Alors qu'ils ont semé malgré eux le chaos dans leur sillage (Henry orphelin et trompé par ses proches, Paige déracinée culturellement et poussée vers des chemins dangereux, Stan désormais envahi pour le doute sur Renee), les Jennings se retrouvent face au vide. Littéralement à l'image, et symboliquement, avec leur vie future. Quitter ces personnages forts sur une note si amère et assurée était certainement l'une des options les plus belles.

Que ce soit dans des moments très habités (la mort de certains personnages, l'utilisation de Ideas as Opiates de Tears for Fears dans une nouvelle superbe séquence musicale), ou des plages de silence où la caméra scrute le visage quasi mort de ces espions qui ont si bien appris à se masquer qu'ils semblent désormais vidés, The Americans assure une sortie de route totalement cohérente avec cette saison 6.

Sans se renier, sans se perdre plus que de raison dans la course au spectaculaire, la série créée par Joseph Weisberg prouve donc à quel point elle comptait avec cette conclusion, qui donne à ces six années d'espionnage sanglant une couleur aussi glaciale qu'impressionnante.

Les cinq premières saisons de The Americans sont disponibles sur Netflix. La saison 6 était diffusée sur Canal + Séries.

 

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commentaires
Tom's
07/11/2018 à 22:40

keri russel est volontairement passée a coté du statut qu'elle aurait pu avoir apres felicity elle avait cette option en tout cas ensuite ne s'est jamais fourvoyée, jespere on va enfin la voir plus,elle est d'une beauté et classe impériale cette serie le demontre clairement

StarLord
07/11/2018 à 14:20

Un final époustouflant et maitrisé, ou personne n'en sort gagant. Une série exceptionnelle à tout point de vue, qui se hisse dans mon top top 3 derrière Breaking Bad et The Shield!

Alyon
07/11/2018 à 10:06

Très belle série, intelligente avec de sacrés numéros d'acteurs.
Le rythme assez posé qui laisse le temps à l'histoire de se dérouler évitant ainsi de prendre des raccourcis scénaristiques explique peut être le manque de notoriété …
En tout cas à ne pas louper !!