Abysses : critique d'une adaptation foirée sur France 2

Mathieu Jaborska | 26 juin 2023 - MAJ : 19/12/2023 14:40
Mathieu Jaborska | 26 juin 2023 - MAJ : 19/12/2023 14:40

La nouvelle co-production internationale de L'Alliance (un partenariat de financement entre plusieurs grandes chaines européennes), Abysses, achève sa diffusion chez nous sur France 2. Bien que cette union sied bien à l'ambition globale du best-seller écolo de Frank Schätzing, son adaptation paraissait quasi impossible. Et... c'est effectivement le cas.

Abyssal

Il fallait de sacrées épaules pour s'attaquer à Abysses, énorme roman allemand devenu un succès de librairie, quand bien même son auteur aurait supervisé l'écriture de cette série en 8 épisodes. Véritable page-turner, il fait preuve d'une rigueur scientifique impressionnante (la bibliographie qui termine le livre en atteste), mais surtout d'une ambition gigantesque, narrant des événements de plus en plus apocalyptiques à une échelle mondiale sans éventer son suspense et son virage tardif dans la hard science écologique. Il va sans dire qu'une adaptation exigeait soit un budget digne d'une superproduction hollywoodienne, soit des partis-pris radicaux.

Malheureusement, celle-ci n'a ni l'un ni l'autre. Frank Doelger et ses équipes, contraints par un évident cahier des charges télévisuel, tentent bien de reprendre à leur compte l'exigence scientifique de Schätzing, mais, faute de gros choix d'adaptation, se contentent d'une narration composée quasi majoritairement d'appel zooms et autres coups de téléphone, entrecoupés, en début et fin d'épisode, des plaies environnementales spectaculaires qui ponctuent le roman.

 

Abysses : photoFree Keiko !

 

Évidemment, malgré des effets spéciaux corrects, ils n'ont pas les capacités techniques nécessaires à la retranscription visuelle de telles catastrophes. Peu sont les chaines ou même les studios à les avoir, à vrai dire. Et ce n'est pas la mise en scène extrêmement fonctionnelle, typique des productions télévisuelles européennes grand public, qui fera croire que ces quelques tsunamis ont dévasté une partie de l'Europe ou prendre la mesure de l'importance de l'invasion de crabes. D'autant plus que la série n'a ni le temps de s'attarder sur les conséquences des événements qu'elle narre ni d'assumer complètement l'impressionnante dernière partie du récit.

 

Abysses : photoL'un des plans vraiment spectaculaires de la série

 

Un cri dans l'océan

Les énormes enjeux d'Abysses sont donc complètement dilués dans les contraintes d'adaptation et ses auteurs préfèrent alléger, voire vider, de sa substance l'histoire dense du roman plutôt que la transformer pour l'ajuster au format. Le cataclysme environnemental mondial se mue en petite expérience menée par une poignée de scientifiques et un industriel compatissant (oui). Un comble pour une oeuvre abordant frontalement la crise écologique et son envergure via le prisme de la science-fiction et du récit-catastrophe.

Et les spectateurs qui n'ont pas le roman en tête auraient très bien pu s'en satisfaire, de même que les lecteurs prêts à faire le deuil de sa pertinence, si les scénaristes n'étaient pas forcés de prélever une petite dizaine de personnages développés sur quelque 900 pages et de les faire exister pendant 360 minutes à peine. Résultat : ils sont quasiment tous dépossédés de la moindre forme d'identité, l'intrigue préférant insister sur des amourettes déclamées à grands coups de platitudes par des figurants plutôt que les caractériser en profondeur, au-delà de leur rôle universitaire ou professionnel.

 

Abysses : photo, Cécile de France"Pour la faire courte : c'est la merde"

 

Le tort le plus flagrant et le plus symbolique est probablement causé à Léon, autrefois protagoniste passionnant en proie à des questionnements sur son identité qui reflétaient la situation sociale du monde, devenu simple personnage-fonction impassible devant à peu près n'importe quelle situation. Même si, à l'aune des dialogues fades, difficile d'appréhender le jeu des nombreux comédiens, dont Cécile de France est la principale représentante hexagonale.

Bref, si les téléspectateurs familiers du travail de Schätzing ont des chances d'être déçus, les autres risquent de se perdre dans les discussions désincarnées avant d'atteindre les derniers épisodes, de loin les plus divertissants, et un final assez joli. C'est d'autant plus dommage que la série esquisse par instant des idées intéressantes, comme l'implémentation de la crise du COVID survenue entre l'écriture du livre et son adaptation... avant de les abandonner aussi vite. C'est comme si elle faisait tout pour éviter d'apporter la moindre plus-value à une adaptation qui exigeait par essence quelques audaces.

 

Abysses : Affiche officielle

Résumé

Sans choix d'adaptation forts, Abysses élude à peu près tout ce qui faisait l'intérêt du roman et manque l'occasion de tomber à point nommé, entre deux attaques d'orques.

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commentaires
Flo
15/07/2023 à 12:41

Il en a fait du mal aux cinéastes, Denis Villeneuve. Parce-que refaire du James Cameron, mâtiné d’un peu de Lovecraft (certes adapté d’un roman de 2004), mais en y allant à deux à l’heure, attendant 4 épisodes pour monter une équipe de choc… avec des scientifiques hyper timorés et un abus de sobriété.
Bon en même temps, c’est une coproduction allemande. L’ombre de Derrick n’est pas loin ?

Angelko
29/06/2023 à 20:08

J'ai bien aimé la série jusqu'à ce que soit abordé la notion du Yrr.
J'ai trouvé que c'était très mal amené et ça a cassé totalement mon intérêt pour la série.

Je n'ai pas lu le livre mais je suis prêt à parier que ça y va petit à petit et permet au lecteur de garder la suspension d'incrédulité.

Jayce
28/06/2023 à 22:50

Perso je connais pas le roman mais j'ai bien aimé ça fait réfléchir sur ce que notre race fait
détruire notre belle planète j'aurais bien aimé voir des requins attaquer en banc ça aurait pu être fun

tienou
28/06/2023 à 08:55

Pas lu le livre mais j'ai aimé la série, c'est effrayant en même temps je trouve ça beau le bleu de l'océan.
Pourquoi pas une saison 2, ou alors on laisse à tout un chacun d'imaginer la suite.

Prisonnier
27/06/2023 à 12:46

Du bouquin, j'ai encore en tête ce passage effrayant du raz de marée en Norvège. Il m'est resté en tête des années. Les attaques sur les bateaux avec les moules qui bloquent tout, l'invasion des crabes, dans les canalisations... Une tuerie ce bouquin.

Un autre livre que j'aime beaucoup qui se rapproche un peu du mode protégeons la planète mais sans intervention intra ou extra terrestres, c'est le livre Colère, de Denis Marquet. Gaïa de Yannick monget était pas trop mal également

Jerome13004
27/06/2023 à 12:24

Ne connaissant pas le roman, je n'avais pas d'à priori particulier, ni d'attente, la série se laisse découvrir par son propos intriguant de départ, mais les enjeux semblent trop lourd à porter faute à la fois de moyen et de talent artistique pour emballer le tout.

Le dernier épisode très inspiré d'Abyss n'en a ni l'ampleur ni la poésie.
Dommage à lire les connaisseurs de l'ouvrage source, le potentiel semblait autre

Dady
27/06/2023 à 11:59

Bonjour, je voudrais dire tout-de-m^me que malgré les difficultés présentées sur ces commentaires, en ce qui me concerne et mon époux aussi nous avons beaucoup aimé et tout est rendu avec des manifestations d'éclairage et suggestions de formes.
C'est rare qu'on puisse voir un film qui donne un espoir dans ce bas-monde. Merci.
Dady

Lililecap
27/06/2023 à 10:56

Complètement inadaptable ! Le tort er d’avoir essayé car le concept ne peut e mettre en images

Anderton
27/06/2023 à 10:43

Bah voilà, encore une pépite mal adaptée... Même si une adaptation n'est pas censée reprendre à l'identique le matériau de base, on se retrouve malgré tout avec une oeuvre bancale.
De mon point de vue, ce type d'oeuvre est purement opportuniste : on se base sur un matériau qui a du succès pour en tirer un produit en investissant juste le minimum nécessaire et en espérant que le succès sera au rendez-vous sans trop se fouler...
Il n'y a pas de demi-mesure possible : soit on met les moyens à la hauteur de l'oeuvre originale pour s'en approcher au plus près ou pour s'en affranchir en assumant les partis-pris, soit on ne fait pas !
La dernière adaptation en mini-série d'une oeuvre littéraire que j'ai suivie était "Le Syndrome E"... Là aussi, une belle déception !

Pinynav
27/06/2023 à 10:38

Je n ai pas lu le livre non plus Je me suis bien laissé porter jusqu'au 8em et dernier épisode.
La critique est aisé dans ce monde où on attend je ne sais quoi de plus pour le frisson.

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