Acharnés : critique de l'amour aux trousses sur Netflix

Nicolas Cinq | 12 avril 2023 - MAJ : 12/04/2023 12:36
Nicolas Cinq | 12 avril 2023 - MAJ : 12/04/2023 12:36

En quelques années seulement, la société A24 s’est imposée comme un acteur majeur du renouveau de la production et de la distribution américaine indépendante. Elle a notamment contribué à l’essor d’une nouvelle vague de cinéastes talentueux et radicaux comme Ari Aster, Robert Eggers ou bien encore les frères Safdie. Mais elle ne s’est pas uniquement cantonnée au grand écran puisqu’elle a également produit quelques pépites télé avec Euphoria ou Irma Vep. Et elle revient aujourd’hui avec Netflix pour livrer Acharnés, récit d’âmes en peine dans une Amérique en perdition avec Steven Yeun et Ali Wong.

love & furious

Danny Cho (Steven Yeun) est un entrepreneur immigré en pleine crise. Il peine à paver la voie qui le mènera à accomplir son rêve américain, dans l’espoir de bâtir et offrir à ses parents restés en Corée du Sud une maison aux États-Unis. Amy Eau (Ali Wong), quant à elle, est une self-made woman et mère de famille sur le point de vendre son entreprise pour plusieurs millions de dollars avec, à la clé, la promesse de pouvoir s’occuper plus de sa fille.

Le destin va réunir ces deux inconnus lors d’un accrochage sur la route et provoquer une réaction en chaîne aux proportions démesurées. L’obsession des deux personnages pour cet incident va mener à une escalade de violence qui mettra en lumière les fêlures, frustrations et regrets de la vie de chacun. Et alors que l’on pouvait s’attendre à une comédie noire incisive et corrosive, Acharnés surprend en livrant une étude du spleen contemporain, empreint d’une profonde tendresse.

 

Acharnés : Photo Steven YeunCorean Psycho

 

LOS ANGELES PARANO

Dès ses premiers instants, Acharnés épouse les points de vue jumeaux, mais opposés de deux personnages au bord de l’implosion. Toute la série va se construire en miroirs inversés, usant constamment de parallèles dans son montage et son écriture pour mieux permettre à ses personnages de se comprendre et peut-être trouver un semblant de paix.

Danny est un entrepreneur à la recherche désespérée du succès là où celui d’Amy est en apparence accomplie et ayant réussi dans chaque aspect de sa vie (amour, famille, travail). Ces deux âmes en pleine perdition vont commencer à l’opposé du spectre pour mieux se retrouver dans un élan du juste milieu, symbole d’une sérénité qui les fuit.

Acharnés : Photo Steven YeunLa boîte à outils des rencontres fortuites

 

La mise en scène commence par cadrer et désaxer ses personnages, les isole pour mieux laisser le chaos s'immiscer dans la symétrie des compositions. Le rythme va alors progresser par à-coups et la musique va donner le tempo de cette tempête sur le point d'exploser. Aussi discrète que tonitruante, elle simule le compte à rebours infernal qui va pousser les deux personnages jusqu'au bord du précipice, littéralement.

Elle s'immisce au milieu de dialogues miroirs qui se répondent et lient inextricablement les personnages. La synergie des événements interconnectés va alors ancrer leur destin dans une réalité purement cinématographique, où le montage alterné construit savamment un ballet existentiel à l'ampleur inattendue. C'est d'ailleurs ce biais de mise en scène qui permet de superbement accentuer la solitude étouffante des personnages.

 

Acharnés : Photo Steven Yeun, Ali WongLes 400 coups de frein

 

UNE VOIX, DES GÉNÉRATIONS

Un autre sujet prépondérant qui revient incessamment en parallèle de celui de la poursuite du bonheur est le poids de l’héritage. La série se sert brillamment de la culture des communautés immigrées (comment le succès devient une survie) et de la perte de contrôle de ses personnages pour aborder la question de l’héritage et de la transmission des traumas. Dans sa quête de reconnaissance, Danny devient prisonnier de sa piété filiale, quand Amy se retrouve prise au piège entre plusieurs générations, craignant de transmettre les mauvaises choses de son éducation réprimée.

Par ce jeu sur le temps et les émotions, la série crée une mosaïque de la violence intergénérationnelle qui semble migrer d'âge en âge. Et le montage alterné devient alors vertigineux lorsqu'il brasse trois générations de traumas passés, présents et futurs. Un jeu comiquement sordide d'aller et retour de frustrations se met alors en place, magnifié par la structure de la série.

 

Acharnés : Photo Ali WongDe la scène à la route 

 

La musique encore une fois va servir de catalyseur à cette mise en scène des émotions des personnages (la chorale pour Danny par exemple). Le passé devenu prison et le choc des générations, des genres et des tons s'incarnent totalement dans le choix des chansons qui ponctuent la fin de chaque épisode.

Dans un élan nostalgique qui retient l'émancipation de ses personnages trentenaires, Acharnés fait le choix évident de la musique alternative des années 90 et 2000 (Incubus, Tori Amos, Keane, Bjork, System of a Down). On comprend alors encore mieux comment la série veut nous parler de la perdition d'une génération à travers le chaos qui est venu contaminer chaque aspect de la vie de Danny et Amy.

 

Acharnés : Photo Ali Wong, Joseph LeeMaîtriser sa colère

 

LES MOTEURS DU MAL

Dans sa dernière ligne droite, Acharnés s’emporte ainsi dans un ballet tragi-comique, synthèse étourdissante des promesses de la série pour mener à une effusion de nihilisme surréaliste. La trame funeste qui s'est lentement construite culmine dans un choc attendu, mais libérateur. Cette accélération soudaine prend de court ses personnages, et le spectateur, pour brillamment provoquer une étrange torpeur, de laquelle émane pourtant une euphorie bouillonnante.

On comprend alors la douce amertume qui a accompagné le calme relatif de l'intrigue jusque-là. La fin cristallise une superbe progression narrative jusqu'à son point culminant, sublimé par All is Full of Love de Björk, dont la harpe délicate résonne au milieu d'un enfer tonitruant et décisif.

 

Acharnés : Photo Steven YeunAimer détester

 

Au final, en lieu et place de l'aventure mordante et corrosive à laquelle on pouvait s'attendre, on se retrouve hagard sur les sentiers tragiques de la perdition de deux âmes en peine, portrait tendre et désespéré d'une génération en quête de sens. Le rire laisse place à une affection déchirante pour ces jumeaux divins, à la recherche de la pièce manquante, d'une complémentarité contaminée par la peur de transmettre les mauvaises choses, et irrémédiablement liés par une forme de loi de l'attraction cynique et immuable.

La série achève d’installer un jeu affolant entre le vide et la matière, prisonnier de règles arbitraires. L'examen des déroutes des personnages demeure pourtant prompt à provoquer l'hilarité, où la peine et le rire se confondent dans un élan tragique et cathartique. On finit épuisés, mais enfin sereins. Acharnés se pose alors en étude de cas le plus souvent passionnante et atteint une universalité salvatrice, magnifiée par une superbe synergie du fond et de la forme. 

La saison 1 d'Acharnés est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 6 avril 2023

 

 

Acharnés : Affiche française

Résumé

Acharnés surprend autant qu'elle émeut et touche là où on ne l'attend pas, tout en livrant quelques moments de comédie noire jubilatoires. Elle parvient à un superbe équilibre et s'impose comme l'une des séries Netflix les plus soignées et inspirées.

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Lecteurs

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commentaires
Picasso sensei
20/01/2024 à 13:07

Comment j'ai pu passer a côté ? Je l'ai commencé lorsque j'ai vu qu'elle était nominee aux emmy et gloden globes et les recompenses, c'est franchement une série intéressante, qui me rappelle un peu Barry. Je la recommande vivement, prochaine destination, white lotus

jmtweb
18/04/2023 à 11:09

Le premier épisode est un peu faiblard mais la suite dévoile une histoire moins superficielle qu'attendue. Au fil des épisodes, l'intérêt grandit. Le rythme est effréné et il devient difficile de décrocher.

Flash
13/04/2023 à 17:30

Alec1@
Salut aussi, il y a tellement de séries à voir que je dois faire des choix.
Bon, je regarderai peut-être les épisodes 2 et 3 pour me faire une idée définitive.

alec1
13/04/2023 à 16:38

@Flash Salut, tu devrais essayer de continuer à la regarder, le 1er épisode n'a pas grand chose a voir avec le reste, il est plus "comique" et "caricaturé" faut avouer, mais a mon avis c'est pour avoir des passages a montrer dans le trailer de la serie. Le reste est différent, ca traite de la jalousie, la dépression et de tous les petits défaut des humains. Au fur et à mesure, c'est plus mature.
Et perso j'ai trouvé que ça traité de la condition humaine et de nos comportements assez bien.

borderline
13/04/2023 à 12:29

Super série , qui résonne en moi !!
Suis accro :)

musique excellente , Danny et Emy incroyable de vérité
Bref j'adore

Hana
12/04/2023 à 21:59

J’ai pas réussi à poursuivre car ça m’a déprimé au fur et à mesure j’y reviendrai dans un meilleur état d’esprit !!

Flash
12/04/2023 à 17:42

J’ai vu le premier épisode et franchement je n’ai pas accroché.
La confrontation entre un loser et une bobo frustrée, ce sera sans moi.

@tlantis
12/04/2023 à 15:25

Une vrai bonne série Netflix ?? Ou il y a pas trop de longueurs et qui es pas trop générique ??

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