L'Hôpital et ses Fantômes : Exodus - critique du délire hanté de Lars Von Trier sur Canal+
A la manière de Twin Peaks : The Return, cette troisième saison de la série danoise L'Hôpital et ses Fantômes arrive 25 ans après la fin de la saison précédente. Le réalisateur Lars Von Trier revient au petit écran pour la première fois depuis que la série avait été annulée suite au décès de plusieurs membres principaux du casting. Après avoir défrayé la chronique avec à peu près tous ses films, de Dogville à The House That Jack Built en passant par Melancholia et Antichrist, que donne ce retour aux soucres du réalisateur qui aime faire mal ?
Twin Pique
En 1994 sortait sur le petit écran danois la première saison de L’Hôpital et ses Fantômes, dont le titre original, Riget, veut dire “royaume”. Dans cette série fantastique, Lars Von Trier racontait les dessous du principal (et gigantesque) hôpital du pays : on y trouvait un médecin tentant d’étouffer sa responsabilité dans une opération ayant laissé une enfant dans un état végétatif, une medium se faisant hospitaliser pour partir à la recherche d’un fantôme, une femme accouchant d’un bébé à tête d’adulte... et plein d’autres petites histoires aussi absurdes que dérangeantes (et drôles).
Lars Von Trier disait avoir été influencé par la sublime série de David Lynch et Mark Frost, Twin Peaks, dans la réalisation de son propre feuilleton. La filiation semble en effet évidente, tant L’Hôpital et ses Fantômes s'amuse à perdre son spectateur en mille circonvolutions et sous-intrigues mystérieuses dont les tenants et les aboutissants ne sont pas toujours limpides. Là aussi, de vieilles personnes au regard vide tiennent des discours mystiques, et là aussi des forces obscures semblent être à l’œuvre derrière les rebondissements de l’histoire et la mythologie du lieu.
En revanche, la série de Lars Von Trier s’éloigne beaucoup de sa source d’inspiration en termes de photographie. En 1995, le réalisateur et son confrère Thomas Vintenberg lancent le Dogme95, une liste de commandements cinématographiques auxquels ils se promettent d’obéir au mieux et qui s’érige en réaction aux superproductions américaines qui débordent d’effets spéciaux. Pour respecter ce dogme, un réalisateur doit tourner son œuvre avec le moins d’artifices possibles et dans un dénuement plastique total.
Royaume-Unique
Les deux anciennes saisons de L’Hôpital et ses Fantômes reflètent ces partis pris, et adoptent une image de qualité relativement mauvaise, au ton uniformément sépia, qui s’avère rapidement fatigante à l’œil (au-delà de sa laideur assumée). L’absence presque totale d’artifices pour agrémenter l’image ou le récit fait ressentir assez cruellement la longueur des épisodes. 25 ans après et bon nombre de films plus sophistiqués à son actif, Lars Von Trier revient à son œuvre de jeunesse à la manière de David Lynch avec le fondateur Twin Peaks, dont la troisième saison était arrivée sur nos écrans en 2017.
Par la même occasion, il retrouve ces commandements du Dogme95 dans cette nouvelle saison (en veillant, malgré tout, à avoir une image un petit peu plus confortable à l’œil). Ces nouveaux épisodes font donc montre d’une remarquable continuité de ton avec les premières saisons (ce qui n’était pas du tout le cas de Twin Peaks : The Return), et on y retrouve la même absurdité dans les situations, le même body horror comique (mention spéciale à la scène où un homme qui peut sortir son œil de son orbite observe un impact de balle sur son front), le même désespoir généralisé.
Deux thématiques en particulier vont prendre de l’ampleur dans Exodus : celle de l’avènement du diable et des démons qui préparent leur arrivée depuis le début de la série, et celle de la haine des personnages suédois pour les Danois. Le diable, qui intervient depuis le début de la série à chaque générique de fin à travers Lars Von Trier lui-même pour nous résumer chaque épisode, fait sa première entrée intra-diégétique dans le récit. Son bras droit démoniaque est incarné par Willem Dafoe, l’un des acteurs fétiches du réalisateur, et qui se contente ici d’un très petit rôle (qui lui va néanmoins comme un gant).
IL Y A Quelque chose de pourri au royaume du Danemark
La thématique de la haine anti-Danois exprimée par les personnages suédois, quant à elle, semble être le fil conducteur le plus solide de la série toutes saisons confondues. Dans Exodus, le personnage du docteur Helmer (dont le décès de l’acteur Ernst-Hugo Järegård avait conduit à l’annulation de la série) est remplacé par son fils, incarné par Mikael Persbrandt (le Jacob de Sex Education) qui voue une obsession maladive au souvenir de son père et a hérité de sa phobie de tout ce qui est danois.
Toute l’étrangeté de l’univers de la série est interprétée comme étant d’essence danoise, et les personnages suédois la découvrent et la subissent avec peine. Querelle beauf de pays limitrophes ou discours sur l’âme danoise ? L’humour absurde laisse la série danser sur cette frontière. Lars Von Trier danse aussi sur une frontière moins amusante : une sous-intrigue importante montre un personnage d’infirmière séduire de manière explicite le médecin fan d’Ikea, pour ensuite l’accuser à répétition de harcèlements et d’agressions sexuelles.
Le médecin, pris au dépourvu, en vient à consulter un avocat (Alexander Skarsgard) dont le bureau se situe subtilement dans les toilettes, et qui en vient à lui dire que le mieux que son client puisse faire est de payer une large somme à la soi-disant victime, car sa parole à elle vaincra. Même dit avec humour, ce discours grinçant autour d’un homme pris dans le piège improbable d’une fausse accusation grossière face à laquelle il ne peut rien manque pour le moins de goût et de pertinence. Mais chacun le sien, et cette intrigue resterait anecdotique si Lars Von Trier n’avait pas lui-même été visé par des accusations de harcèlement de la part de Björk.
Ces séquences donnent la (pas si) légère impression de vouloir ridiculiser le combat de celle qui l’a accusé et qui n’a pourtant été que très peu entendue à l’époque. Un procédé à peine surprenant au sein d’une série qui joue sur toutes les formes d’inconfort possibles (visuel, rythmique, thématique) et dans laquelle le réalisateur s’octroie le rôle de Satan lui-même. Il en résulte un ensemble déconcertant, comme toute l’œuvre de Lars Von Trier, où les coups de génie jouxtent la lassitude et où le plaisir se bat en duel avec l’indignation. L’Hôpital et ses Fantômes n’est pas fait pour plaire, il est fait pour hanter, et à ce titre, c’est une réussite.
La saison 3 de L'hôpital et ses fantômes est disponible sur MyCanal depuis le 7 avril 2023 en France. Les deux premières saisons sont également disponibles en intégralité sur MyCanal.
11/04/2023 à 20:28
Merci merci merci de l'analyse ! Série pas vue, mais le coup du "les femmes mentent sur les viols pour avoir des sous", mille mercis d'avoir relevé l'entourloupe ! Ca fait plaisir !
11/04/2023 à 10:19
@Thekiller
Personne n'a dit ça et ça tombe bien, puisque ma critique porte essentiellement sur tout ce que la série réussit dans son entreprise de n'être pas plaisante. Content ?
09/04/2023 à 20:59
Depuis quand une œuvre doit être plaisante ? Bordel...
09/04/2023 à 12:52
Votre sous-titre iL Y A QUELQUE CHOSE DE POURRI AU ROYAUME DU DANEMARK m’a bien donné envie de revoir Last Action Hero
08/04/2023 à 21:01
J'avais adoré la série à l'époque, je ne savais même pas qu'il y avait eu une suite, ça va être l'occasion de s'y replonger
A quand par ailleurs un classement des films de lars von trier ? :)