Notre-Dame - La Part du feu : critique d'un sacré barbecue sur Netflix

Ange Beuque | 21 octobre 2022 - MAJ : 21/10/2022 17:30
Ange Beuque | 21 octobre 2022 - MAJ : 21/10/2022 17:30

Six mois après le pyromane-porn Notre-Dame brûle de Jean-Jacques Annaud, l'incendie de la cathédrale est de nouveau à l'honneur avec Notre-Dame - La Part du feu disponible sur Netflix. Hervé Hadmar (Les oubliées, Pigalle, la nuit) s'inspire du livre écrit par Romain Gubert avec l'appui des sapeurs pompiers de Paris, La nuit de Notre-Dame, pour précipiter Roschdy Zem, Simon Abkarian, Megan Northam, Alice Isaaz et Caroline Proust vers leur momentum existentiel.

Un incendie pour les rassembler tous

Partant du même événement, Jean-Jacques Annaud avait fait le choix de sacrifier aux flammes l'épaisseur de ses personnages, quasiment réduits au rang de silhouettes combattives. À la fois scénariste et réalisateur, Hervé Hadmar s'autorise la fiction brute dans Notre-Dame - La Part du feu en plaçant ses protagonistes au cœur d'un récit choral. Il prolonge ainsi sa démarche entamée sur Pigalle, la nuit, qui conférait au quartier le rôle principal et dont la trame centrale (la recherche d'une sœur) était prétexte à en rencontrer nombre d'occupants.

Pompiers, journalistes ou simples Parisiens pris dans les vapeurs médiatiques de l'incendie : ce format lui permet de poser sur la tragédie un regard pluriel, chacun réagissant selon sa sensibilité et son statut. L'occasion d'exposer quelques savoureux dilemmes, quand il s'agit d'arbitrer entre ce qu'il faudrait sauver et les risques à consentir pour ce faire : est-il légitime de mettre des vies en péril pour un bâtiment, aussi illustre soit-il ?

Définir une stratégie, s'engager physiquement pour combattre le brasier, couvrir l'événement au mieux, ou plus modestement conserver le fil de ses problématiques personnelles dans ce tumulte : en démultipliant les axes, Hadmar varie les approches et orchestre le rythme du récit à sa main.

 

Notre Dame, La Part du Feu : Photo Roschdy ZemRoschdy Zen

 

Par ailleurs, le choix d'une structure chorale, qui repose souvent sur des interactions de personnages pas forcément destinés à se rencontrer, fait sens : la portée de l'événement et son impact immédiat en plein Paris justifient naturellement certaines convergences. D'ailleurs, si le récit s'autorise des digressions, la nuit du sinistre en charpente toute la narration, son unité de temps, de lieu et d'action catalysant le sort des protagonistes.

L'incendie lui-même est correctement mis en scène, sans les excès putassiers d'Annaud, grâce à un investissement technique à la hauteur. Puisqu'il n'a étrangement pas été possible d'aller remettre le feu aux ruines, la nef, le transept sud, le beffroi et d'autres pans de cathédrale ont été reconstruits en studio et complétés par des effets numériques satisfaisants. Ce rendu solide permet de tonifier une réalisation par ailleurs sans éclat par quelques moments d'action efficaces, suffisamment éparpillés par la narration pour ne jamais susciter la lassitude.

 

Notre Dame, La Part du Feu : photoLa guerre du feu sacré

 

Le choral scolaire

Un buraliste racketté et confronté à l'agonie de sa femme, une escort girl toxicomane, deux pompiers traumatisés par la mort de leur respectivement fils et amant... en termes d'artillerie dramatique, Notre-Dame - La Part du feu sort la Grosse Bertha. En effet, tous les protagonistes principaux sont marqués par un deuil, un déchirement, une séparation, un dilemme...

Naturellement, la plupart de ces épreuves trouveront dans l'incendie un exutoire, une revanche symbolique ou un espoir de rédemption. Des arcs narratifs on ne peut plus respectables, mais dont le trait est sans doute un peu épais.

 

Notre Dame, la part du feu : photoSimon A'd'l'argent, mais pas assez

 

D'autant que les personnages et leurs interactions apparaissent prototypiques : la jeune sapeuse-pompière avide de prouver qu'elle en est capable, le général-courage charismatique, la junkie perdue dans sa vie qui cherche une échappatoire, la journaliste prête à tous les risques pour plaire à sa rédaction... la galerie n'épate pas vraiment, surtout que la trame ne leur permet pas le dépassement de fonction.

Enserrée par son déroulé programmatique, la flèche du scénario manque de souffle (de feu). Il aurait sans doute fallu un arc narratif qui sorte un peu de l'ordinaire, ou qui soit plus intimement lié à la cathédrale, pour assurer la singularité du projet. Inutile d'espérer trop d'aspérités : la plupart des intrigues sont résolues avec une candeur assumée. Heureusement, le jeune garçon que recueille Victoire (Marie Zabukovec) apporte, par son naturel irrésistible, un peu de spontanéité à un récit qui en a grand besoin.

 

Notre Dame, La Part du Feu : photoQuasimodo ne répond plus

 

Notre-Drame mélancolie

Si ses ressorts sont conventionnels, la série peut compter sur sa tragédie patrimoniale bien réelle pour susciter une certaine fascination. Adhmar en est parfaitement conscient et ne se prive pas d'en jouer, offrant quelques nappes mélancoliques sur fond d'air classique pour agiter le palpitant. Aussi attendus soient-ils, les plans de la cathédrale en train de se consumer – voire, plus subtilement, encore intacte – font leur effet.

Et vous, que faisiez-vous le 15 avril 2019 ? Où étiez-vous lorsque vous avez appris ? Avec qui avez-vous dardé votre regard stupéfait sur ces images d'un symbole multi-centenaire qu'on pensait éternel, soudain réduit à sa vulnérabilité matérielle ? Vous vous en rappelez, n'est-ce pas, au même titre que du 11 septembre 2001 (un temps que les moins de vingt ans...) ou du 7 janvier 2015 ?

 

Notre Dame, La Part du Feu : Photo Alice IsaazBe Fiercely Merciless TV

 

En dressant elle-même un parallèle avec la mort de Michael Jackson, la série introduit la problématique de la mémoire collective, la manière dont un événement aussi marquant percute l'existence de chacun jusqu'à devenir partie intégrante du souvenir partagé. Notre-Dame - La Part du feu soulève évidemment la question du sacré, notamment via le colonel tiraillé entre son désir de sauver le symbole et les risques induits pour les pompiers, mais pas uniquement celui auquel on pense. Notre-Dame est une icône qui a dépassé le champ du religieux : c'est en cela que son sort funeste peut parler à tous.

"L'incendie de Notre-Dame, pour moi, fait partie de ces événements qui peuvent nous rassembler", assumait Hadmar, dont la démarche évoque la première saison d'En thérapie qui auscultait les répercussions des attentats du Bataclan : une fiction française qui interroge la manière dont un si puissant souvenir contribue indirectement à la construction d'une nation.

Notre-Dame : La part du feu est disponible sur Netflix depuis le 19 octobre

 

Notre Dame, La Part du Feu : Affiche officielle

Résumé

Notre-Dame - La Part du feu ne marquera pas autant les esprits que l'événement autour duquel elle s'articule, mais en se déployant sur les cendres d'un traumatisme patrimonial, elle participe à son humble échelle au récit choral national.

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commentaires
JackBauer
11/11/2022 à 14:35

C’est de la merde cette série, sans deconner meme si t’es pas pompier tu te rend compte qu’il y a un vrai problème si la fille a de tels pbs psychologiques elle ne serait sûrement pas pompier

Vvp
06/11/2022 à 20:26

La série montre plusieurs fois des plans sur une statue supposée être dans notre dame (la statue que vont voir max et sa mère, puis max et sa fille notamment). Il s'agit d'une statue de ste Thérèse de Lisieux, visiblement prise pour Notre Dame. Comme quoi, il n'y a pas que sur le plan pompier que la série manque de de travail !

Fireaddict
28/10/2022 à 12:10

C’est un voire plusieurs niveaux en-dessous de Notre-Dame brûle. Y a qu’à voir comment les « pompiers » sont équipés (la fille qui met son casque direct par-dessus ses cheveux détachés mdr), le désordre des manœuvres… Ça donne pas une super image de la Brigade tout ça :/

Leopol
24/10/2022 à 21:45

Ya rien, c'est plat avec deux ou trois grosses ficelles pour meubler, ils devraient faire un série avec une histoire un jour, ce serait pas mal ...

Morcar
24/10/2022 à 12:55

Je n'ai même pas regardé le premier épisode jusqu'à la fin, et c'est rare que je fasse ça. J'ai trouvé ça terriblement plat.

Ange Beuque - Rédaction
24/10/2022 à 07:39

@Oliviou Je partage l'idée qu'il n'y a rien de choquant à ce que la fiction prenne le pas sur le caractère rigide documentaire dans ce type de programme, même s'il y a bien sûr un équilibre à trouver pour rester crédible.
@DK Par contre dans le cas présent je trouve ça ennuyeux si ça prend ces proportions. Bon la manière dont les personnages sont gérés avec/malgré leur trauma sentait la licence fictionnelle facile, mais je ne comprends pas ce qui justifierait de s'être raté sur le matériel par exemple, d'autant que la promo (c'est le jeu classique) a largement vanté l'appui des vrais sapeurs-pompiers de Paris pour crédibiliser l'ensemble. N'ayant moi-même aucune compétence en la matière, je ne peux en juger, mais si c'était uniquement du vent, c'est une grosse pierre dans le jardin de la série !

Oliviou
24/10/2022 à 07:00

@DK C'est toujours comme ça : la fiction n'est pas un documentaire. Dès qu'on est spécialiste d'un truc, si ce truc est montré dans un film, on peut choisir de se moquer. Que ce soit pompier, aviateur, urgentiste, trader, peintre en bâtiment.... Évidemment que la fiction simplifie ! Qu'est-ce qu'on s'en fiche de savoir que telle ou telle procédure s'applique ou pas, que tel terme s'utilise ou pas. Les mêmes pompiers qui se marrent devant la reconstitution d'un incendie vont regarder sans broncher un film de sous-marin qui fera hurler tous les sous-mariniers (ou un Fast and Furious qui devrait faire pleurer de rire n'importe qui ayant déjà expérimenté les lois de la physique).. Ce n'est pas la précision documentaire qui fait la qualité d'une fiction.

DK
23/10/2022 à 19:42

Moi, mon frère et tous nos potes sapeurs pompiers, on ne s'est jamais autant marré que devant cette série.
Y'a rien qui va sur le traitement des pompiers (psychologie, techniques d'attaque de feu, matériel, etc...) Pour une série sur un incendie c'est un comble.

Chris11
23/10/2022 à 12:16

Série pas mal, avec de grosses ficelles mais l'ensemble se regarde avec plaisir.

terrance
23/10/2022 à 10:09

« sans les excès putassiers d'Annaud »
Article loin d’être objectif…
il y a une réelle performance dans ce qu’a fait Jean jacques Annaud, un peu de respect! cet article ne donne meme pas envie de voir la série ducoup, bravo!

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