The Girl from Plainville : critique d'une relation toxique et tragique par SMS sur Starzplay

Geoffrey Fouillet | 8 septembre 2022
Geoffrey Fouillet | 8 septembre 2022

Visible en France sur Starzplay, la série The Girl from Plainville relate l'histoire vraie de Michelle Carter (Elle Fanning) et de sa responsabilité dans le suicide de son petit ami, Conrad Roy III (Colton Ryan). Créée par Liz Hannah, scénariste de Pentagon Papers, et Patrick Macmanus, cette production Hulu mélange le "true crime" et la love-story adolescente en offrant une perspective nouvelle sur cette affaire. À l'issue des huit épisodes, peut-on parler de réussite ? Attention quelques spoilers !

ÉCRAN DE FUMÉE

Le 12 juillet 2014, Conrad Roy III, alors âgé de 18 ans, gare sa camionnette sur le parking d'un supermarché et se donne la mort en s'intoxiquant au monoxyde de carbone. Au lendemain de cette tragédie, une enquête est ouverte et la petite amie du défunt, Michelle Carter, est très vite suspectée d'avoir poussé le jeune homme au suicide après la découverte de plusieurs SMS macabres. Tel est le point de départ de The Girl from Plainville, qui va ensuite osciller entre passé et présent afin de présenter la situation depuis ses premiers balbutiements jusqu'à ses derniers soubresauts.

Dès lors, les créateurs de la série dressent le portrait croisé de deux adolescents mal dans leur peau et incapables de rester eux-mêmes en société. Michelle en est une parfaite illustration, surjouant chaque mimique, chaque attitude, dans l'espoir de faire bonne figure en toutes circonstances. Au-delà de ses larges sourires hypocrites, elle se plaît aussi à répéter ad nauseam les répliques de Glee, sa série préférée, comme une actrice apprenant par cœur son texte de peur d'avoir à improviser.

 

The Girl from Plainville : photo, Elle Fanning, Colton RyanSi seulement ils avaient gardé leurs oreilles de lapin sur la tête

 

"J'aimerai tant me voir comme celui que j'aimerai être", avoue Conrad, tout aussi confus que Michelle vis-à-vis de sa propre image. La série va alors dépeindre leurs penchants respectifs pour l'autoflagellation voire l'autodestruction. Quand l'adolescent s'avale un flacon de pilules et manque de faire une overdose, sa petite amie, elle, se goinfre de gâteaux et cherche ensuite à se déculpabiliser en s'épuisant sur son tapis de course. Ne dit-on pas : "un esprit sain dans un corps sain" ?

Les appareils de communication, dont le téléphone bien sûr, prédisposent ainsi plus facilement les protagonistes à la franchise, les écrans maintenant une séparation entre la sphère privée et la sphère publique. Conrad attend de fait de se confier à sa famille et au reste du monde dans des vidéos posthumes enregistrées face caméra. Idem pour Michelle qui tombe le masque lorsqu'elle n'a plus les yeux braqués sur elle. Lors de sa comparution en justice dans la deuxième moitié de la série, la jeune femme continue de cacher son désespoir derrière un visage non plus affable, mais totalement inexpressif.

 

The Girl from Plainville : photo, Elle FanningDes sourcils comme des peintures de guerre

 

TEXTO SENSU

L'un des défis principaux que les créateurs de The Girl from Plainville avaient à relever était de représenter la relation par SMS des deux personnages en évitant au spectateur la déconvenue de les voir tapoter sur leur clavier en permanence. Un objectif largement atteint puisque la série réussit à incarner leurs échanges écrits de sorte que Michelle et Conrad s'imaginent dialoguer en face à face alors que lui vit dans le Massachusetts et elle dans le Connecticut.

Le dispositif permet non seulement de multiplier les interactions entre les comédiens sur le tournage, mais offre aussi à leurs personnages l'opportunité de se toucher, de se voir, afin d'associer tel mot à tel rictus ou tel geste. À travers ce seul procédé, le spectateur est invité à évaluer, d'une part, si ce qu'ils disent concorde avec leur langage corporel, et à constater, d'autre part, dans quelle mesure le sens de leurs messages s'en trouve décuplé.

 

The Girl from Plainville : photo, Elle Fanning, Colton RyanNe vous y trompez pas, l'un d'eux n'est pas réellement là

 

La série s'amuse par ailleurs de l'ironie de cette configuration en rappelant que chaque réplique formulée dans ce cadre précis reste un texto. "J'ai envie de te voir", avoue Conrad à Michelle, alors qu'il se tient précisément devant elle. "Je déteste quand tu fais ça. Tu tapes quelque chose et tu effaces tout", lui rétorque-t-elle lors d'une autre scène. C'est dans ces moments-là, relativement peu nombreux, qu'une forme de légèreté prend le pas sur le reste, rendant le récit plus vivant.

Mais si ironie il y a, elle transparaît de façon plus cruelle quand les personnages réalisent la distance qui les sépare malgré leur sentiment d'être l'un à côté de l'autre. La mise en scène appuie alors cette prise de conscience en privilégiant les champs-contrechamps, isolant tour à tour Conrad et Michelle, jusqu'à transformer leurs échanges en véritables affrontements. Citons par exemple cette scène de dialogue nocturne au cours de laquelle chacun se renvoie mutuellement ses torts, tandis qu'un feu de bois crépite entre eux, marquant symboliquement la toxicité de leurs rapports.

 

The Girl from Plainville : photo, Elle FanningGare à la téléphonite aiguë

 

IRRÉVOCABLE

C'est en regardant le documentaire I Love You, Now Die : The Commonwealth vs. Michelle Carter, puis en étudiant les archives disponibles sur l'affaire, que les créateurs de la série ont pu observer à quel point la jeune femme semblait détachée eu égard à sa situation. "Michelle s'est créé un monde à elle […] il était donc intéressant d'approfondir cet aspect en montrant en quoi son imagination lui a fait perdre pied avec la réalité", expliquait Liz Hannah, la co-créatrice de The Girl from Plainville, lors d'une interview donnée au site Deadline.

À cause ou grâce à ce choix, le personnage de Michelle apparaît moins manipulateur, plus candide, et son interprète, Elle Fanning, sait parfaitement jouer de son faciès enfantin (après tout, l'actrice n'a jamais que 24 ans) afin de susciter l'empathie du spectateur. Par ailleurs, si les fantasmes de l'adolescente, à l'instar de cet improbable numéro musical sur le tube "Can't fight this feeling", l'aident au départ à réenchanter sa relation avec Conrad, ils finissent par la ramener de plus en plus durement au monde réel.

 

The Girl from Plainville : photo, Elle Fanning, Colton RyanBroadway leur tendait pourtant les bras, quel gâchis !

 

Un peu à la manière de la saison 1 de 13 Reasons Why, The Girl from Plainville fait peser sur les épaules de ses personnages le poids du remords et de la culpabilité. Le dernier épisode est à ce titre un vrai crève-coeur. Il suffit d'une volée de plans au ralenti pour montrer combien Conrad regrette de ne pas avoir su apprécier à leur juste valeur ces petits riens du quotidien. Et il faut à Michelle revivre l'instant tragique non plus à l'autre bout du fil, mais in situ, afin d'accepter sa condamnation.

Il est alors d'autant plus dommage que toute la partie consacrée au procès de la jeune femme, assez faible et rébarbative, parasite l'essentiel de l'intrigue dans sa dernière ligne droite. Néanmoins, malgré ses quelques errances, la série parvient sans mal à toucher la corde sensible du spectateur, en soignant le développement de tous ses personnages, dont celui de la mère de Conrad (Chloë Sevigny), particulièrement émouvant et au fond tout aussi indispensable au récit que les deux protagonistes.

The Girl from Plainville est disponible en intégralité sur Starzplay depuis le 28 août 2022

 

The Girl from Plainville : Affiche française

Résumé

Sans jamais déroger à la gravité de son sujet, The Girl from Plainville sait aussi s'en libérer à travers des partis pris fantaisistes, mais toujours judicieux. En dépit d'un volet plus faible autour du procès de Michelle Carter, la série serre le coeur plus d'une fois et a le mérite d'ouvrir le débat.

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