Good Omens Saison 1 : après American Gods, que vaut l'autre série adaptée de Neil Gaiman ?

Christophe Foltzer | 30 juin 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 30 juin 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

A l'heure où la série télé semble de plus en plus ambitieuse comparée à son grand frère le cinéma qui s'embourbe dans des franchises à rallonge et commence à sérieusement tourner en boucle, il n'est donc pas anodin, ni surprenant de voir des oeuvres cultes arriver sur nos petits écrans. Et quand on parle de culte, c'est encore assez loin du statut réel de Good Omens.

AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE

Ceux qui ont dévoré des romans de fantasy ou des comics bien barrés connaissent fatalement les noms de Terry Pratchett et Neil Gaiman.

Au premier, on doit les extraordinaires Annales du Disque-Monde (ou Discworld pour ceux qui ont connu les fantastiques adaptations en jeu vidéo). Une collection d'une quarantaine de romans pastichant allègrement le genre de l'heroic-fantasy, dotée d'un humour ravageur typiquement british et de personnages inoubliables, le plus célèbre étant La Mort, entité un peu blasée, ne parlant qu'en majuscules et animée d'un sens de l'humour à froid bien à elle.

 

photo, Michael Sheen, David TennantAziraphale (Michael Sheen) et Rampa (David Tennant), adversaires, mais avant tout potos

 

Le second a connu une gigantesque carrière dans la littérature et les comics, créant notamment Sandman, monument du roman graphique ésotérique que l'on vous conseille sans tarder, mais aussi, pêle-mêle, Coraline, Neverwhere, American Gods ou encore Stardust, le mystère de l'étoile. Bref, le gars, ce n’est pas un Mickey, comme on dit, et on est plus que ravi de voir son oeuvre de plus en plus adaptée au cinéma ou à la télévision.

Ces deux légendes se sont associées en 1990 pour nous offrir l'incontournable De Bons Présages, grosse digression sur La Malédiction de Richard Donner qui nous narrait l'arrivée de l'Antéchrist sur Terre et la fin du monde annoncée. À ceci près que l'Antéchrist avait été placé dans la mauvaise famille par le démon Rampa qui ne voulait pas que la Terre soit détruite et convainquait donc son "ami" Aziraphale, l'Ange qui gardait le Jardin d'Eden reconverti en libraire, de l'aider pour empêcher le déclenchement de l'Apocalypse.

 

photo Good OmensPersonne ne s'attend jamais à l'arrivée de l'Inquisition. Sauf ici ?

 

11 ans plus tard, l'Antéchrist s'appelle Adam Young et il est un garçon normal de la campagne anglaise avec sa bande de potes. Mais voilà que le Ciel et l'Enfer s'activent pour déclencher l'Apocalypse et retrouver sa trace parce que, au fond, rien ne vaut une bonne guerre. Se rajoutent à cela des inquisiteurs à la ramasse, la descendante d'une sorcière qui a déjà tout prévu dans un livre supposé perdu, des missiles nucléaires, un chien infernal et beaucoup, beaucoup de chansons de Queen.

 

photo Good OmensRhooooooooooo

 

ET LA LUMIÈRE FUT

Évidemment, le livre est un succès, tant critique que public, et, fatalement, les idées d'adaptation fleurissent rapidementTerry Gilliam est le premier à vouloir en tirer un film, avec Johnny Depp et Robin Williams dans les rôles de Rampa et d'Aziraphale. Cependant, il ne s'est jamais monté faute de financement nécessaire, comme le réalisateur le déclarait au micro de Syfy Wire en 2006 :

"Nous avions récolté 45 millions de dollars de par le monde et nous avions besoin de 15 autres millions de la part d'Hollywood. Ils m'ont dit non pour Johnny parce qu'il faisait des films d'art en Europe comme Chocolat ou The Man who Cried. Quant à Robin, sa carrière était soi-disant finie."

Ce projet mort et enterré, Terry Pratchett annonce lui-même une adaptation en 2011, supervisée par le Monthy Python Terry Jones, coécrite par Gavin Scott (à qui l'on doit entre autres Small soldiers) et qui devait être une minisérie de 4 épisodes. Mais, là encore, impossible de concrétiser cette adaptation.

 

photo Good OmensAdam Young va devoir choisir son camp

 

Coup de théâtre en 2012 avec le retour de Terry Gilliam dans le monde de Good Omens et qui annonce que, oui, il va bien en faire l'adaptation cinéma, oui le film coûtera toujours aussi cher et non, il ne se fera jamais.

En 2016, c'est finalement Neil Gaiman qui annonce l'adaptation du roman en série télé, financée par Amazon et diffusée sur Amazon Prime et la BBC en exclusivité. Entre-temps, Terry Pratchett est décédé le 12 mars 2015, atteint de la maladie d'Alzheimer et après avoir entamé une procédure de suicide assisté en 2011. Neil Gaiman met en avant le fait que cette adaptation correspond en réalité à une demande posthume de son coauteur.

Et comme les choses trouvent leur bon ordre tout seul, la production de la série est lancée alors que American Gods, l'autre série adaptée de Neil Gaiman, se fait remarquer. Le lancement de l'adaptation de De bons présages entrainera son lot de conséquences d'ailleurs puisque Neil Gaiman quittera American Gods au bout d'une saison pour se concentrer sur Good Omens, dont il assure lui-même la réécriture afin que l'histoire colle aux canons télévisuels.

 

photo Good OmensLes Quatre Motards de l'Apocalypse

 

BON OU MAUVAIS PRÉSAGE ?

Il est d'ailleurs intéressant de mettre côte à côte American Gods et Good Omens pour bien se rendre compte à quel point ces deux séries se répondent, du moins sur la forme. En effet, par bien des aspects, Good Omens est l'antithèse d'American Gods. Six épisodes d'une heure qui bouclent l'histoire dans sa totalité, un accent mis en particulier sur l'intrigue principale au détriment des personnages secondaires et une volonté spectaculaire qu'American Gods ne possède pas.

 

photo Good OmensUn gamin qu'il ne faut surtout pas énerver

 

En effet, la série diffusée par Starz fait tout l'inverse, diluant dangereusement son intrigue qui ne devient plus qu'une excuse, préférant s'attacher aux ambiances, à l'ésotérisme soft du roman, aux parcours des différents personnages et qui ne brille jamais par des scènes d'action à la hauteur du statut déique de ses héros. Développant un univers qui prend ses aises avec le roman original, American Gods se plait à nous perdre dans son univers, ce que Good Omens refuse net.

Et c'est peut-être le plus gros problème de cette série : sa trop grosse ambition par rapport à son format. En effet, si quasiment tous les éléments du livre sont présents (dont certains modifiés et d'autres réactualisés pour coller à la société de 2019), on ne peut que déplorer que l'intrigue soit aussi ramassée, expédiée, déséquilibrée et qu'elle ne permette pas de ressentir la puissance dramatique des enjeux.

 

photo Good OmensUn duo extraordinaire et touchant

 

DU MAUVAIS

Si le roman multipliait les détails et les événements loufoques, il traitait cependant son sujet avec le plus grand des sérieux. On ne plaisante pas avec la fin du monde, mais ce n'est pas ça qui va nous empêcher de nous marrer.

En gros. Il revisitait avec panache de grandes figures mythologiques comme les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse (Guerre, Famine, Mort et Pollution - Pestilence ayant pris sa retraite depuis l'invention de la pénicilline), y ajoutait une bonne dose de satire des croyances religieuses (notamment l'Inquisition), y ajoutait une grosse couche de rigueur administrative (l'Enfer et le Paradis, gérés comme une multinationale avec ses objectifs et ses pertes et profits) et se permettait de transcender la dimension manichéenne de son postulat pour arriver à un vrai discours sur la condition humaine.

 

photo Good OmensDes personnages secondaires un peu trop expédiés

 

Alors certes, il y a tout ça dans la série, mais ce n'est clairement pas assez exploité. Good Omens se retrouve ironiquement piégé par son format : une histoire très dense qui mérite qu'on s'y attarde pour bien en intégrer toutes les notions, compilée en une poignée d'épisodes qui accélèrent les choses pour arriver à terme dans le temps imparti. Et c'est fort dommage parce que, d'une part, énormément de détails passeront au-dessus de la tête de ceux qui n'ont jamais lu le livre et, d'autre part, un tel procédé frustrera les fans. Il aurait mieux valu prendre son temps et étaler le récit sur au minimum deux saisons.

Autre souci, l'ambition artistique face au budget restreint. À l'inverse d'American Gods qui prend la peine de composer des tableaux magnifiques et atmosphériques, de proposer un univers surprenant avec peu, Good Omens se perd dans une surenchère trop lourde pour ses épaules financières. Par voie de conséquence, les effets spéciaux se révèlent, au mieux, moyens, les incrustations sont beaucoup trop voyantes et cela décrédibilise fortement le spectacle proposé. On comprend alors pourquoi Terry Gilliam prévoyait un gros budget tant le résultat pique parfois les yeux parce que pensé à l'économie.

 

photo Good OmensJon Hamm exceptionnel

 

MAIS AUSSI DU BON ?

Pourtant, malgré ses scories, on aurait tort de penser que Good Omens n'est pas une bonne série à certains niveaux. L'humour typique de Pratchett y est parfaitement retranscrit, les péripéties (bien que précipitées) demeurent claires et prenantes et si la série peine à trouver son rythme durant les deux premiers épisodes, elle accroche définitivement le spectateur pour les quatre derniers. Bien que l'on soit obligé de reconnaitre que son climax est expédié à la vitesse de l'éclair et ne se révèle guère satisfaisant.

Les acteurs, par contre, sont extraordinairesMichael Sheen et David Tennant s'éclatent en Aziraphale et Rampa, Jon Hamm est époustouflant en Gabriel, Michael McKean et Miranda Richardson composent un duo irrésistible, Adria Arjona est parfaite en Anathème Bidule et le jeune Sam Taylor Buck fait preuve d'une grande complexité de jeu dans le rôle du jeune Adam Young.

 

photo Good OmensUn enfer pavé de bonnes intentions

 

Nous avons droit à de grands numéros de comédie "so british" et l'on sent que chacun y a pris énormément de plaisir même si, malheureusement, ils ne sont pas tous très bien exploités. Et c'est là aussi le dernier problème de la série : le point de vue. Là encore, limitée par son format, Good Omens n'arrive pas à faire les bons choix.

Tiraillée entre l'amitié millénaire d'Aziraphale et Rampa (qui constitue le meilleur du récit) et les enjeux appelant moult personnages, la série ne se décide jamais vraiment sur ce qu'elle veut nous raconter. Elle imbrique au forceps les intrigues les unes dans les autres, alourdit l'histoire générale et, fatalement, se permet des raccourcis un brin gênants du point de vue dramaturgique alors qu'en parallèle, elle prend énormément de temps pour retracer la relation entre l'Ange et le Démon.

 

photo, Michael Sheen, David TennantUne amitié qui traverse les époques

 

LE BILAN

Au final, Good Omens cumule pas mal d'erreurs et ne rend pas totalement justice à son matériau d'origine. On aurait pourtant tort de ne se limiter qu'à ces problèmes de construction parce que la série nous réserve néanmoins de très bons moments. Divertissante, drôle et intelligente, elle rate de peu le coche et s'oublie malheureusement assez vite.

Cela dit, Neil Gaiman a fait son possible pour adapter l'oeuvre foisonnante qu'il avait écrit il y a 20 ans et, de ce strict point de vue, Good Omens est un tour de force. À conseiller aux débutants de cet univers qui se jetteront aussitôt sur le livre pour connaitre la vraie histoire, plus qu'aux fans hardcores.

 

photo, Jon HammUn paradis pas si gentil

 

Ah, et on ne pouvait terminer cet article sans mentionner que Toutou, le terrible molosse des Enfers, est une petite réussite, tout mignon qu'il soit. Tout comme on regrette, par contre, que la meilleure vanne du bouquin ne soit pas davantage expliquée. Donc, on va le faire, alors, Attention SPOILERS :

Vous verrez durant toute la série que Rampa écoute du Queen dans sa voiture, même lorsqu'il insère dans le lecteur un CD de Mozart. Un détail qui pourra étonner le non-initié, mais qui est expliqué dans le livre : tout CD ou cassette oubliés depuis plus d'un mois dans une voiture se transforme automatiquement en compilation de Queen.

Voilà, c'est pour ce genre de conneries que De bons présages restera toujours un chef-d'oeuvre.

Good Omens est disponible en intégralité sur Amazon Prime Video en France depuis le 31 mai.

 

Affiche

Résumé

Trop précipitée, trop condensée, visuellement pas au top, Good Omens parvient tout de même à nous faire passer un bon moment grâce à ses fabuleux acteurs et son humour d'origine implacable. On aurait vraiment aimé que le série prenne son temps pour nous raconter cette superbe histoire.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.4)

Votre note ?

commentaires
Miok
01/03/2020 à 03:07

L'humour british de Good Omens est bien et ça nous change la fin du monde à New York ou Los Angels. Ils m'ont donné envie de lire le livre.

0wly
31/07/2019 à 11:23

Ca ne sera que mon avis, grand lecteur de Terry Pratchett et moyen lecteur de Neil Gaiman (j'ai lu son American Gods)

J'ai l'impression qu'il est impossible ou presque de correctement adapter une histoire de Terry Pratchett, parce que toute la force de son œuvre ce situe dans la narration pour être plus précis le monde de Terry Pratchett est régis par le narrativium - l'impératif narratif: ce qui a une chance sur un million de se produire, se produit neuf fois sur dix dans le monde de Pratchett. De ce fait les livres de Sir Pratchett sont riches en notes de bas de pages qui constituent des petites histoires dans l'histoire. De même il y a de nombreuses digressions dans le récit, Prachett utilise à fond son médium, c'est à dire les particularités de l'écriture.
L'exemple le plus connu est la mort qui parle en lettre majuscule et dont la voix est décrit comme "une voix caverneuse qui semble avoir la faculté de s'imprimer directement dans le cerveau sans passer par les oreilles" mais en regardant la série pour un non-initié on perd toute la subtilité du personnage rien n'est expliqué ! ET PUIS comment voulez vous l'expliquer c'est une série c'est un art visuel, on va pas mettre un narrateur en permanence qui va couper les acteurs toutes les 5 secondes, pourtant si on veut rendre hommage à Terry Pratchett, c'est ce qu'il faudrait faire.

Je pense que Gaiman à essayé de tout son cœur de réaliser une série proche du livre pour rendre hommage à Pratchett, malheureusement, la patte de celui-ci est tellement forte sur l'histoire que toutes les subtilités non-énoncées sont juste des clins d'oeils permanent aux initiés qui laisseront les non-initiés en dehors. Ca n'empêche pas les non-initiés d'apprécier la série, au contraire beaucoup y verront une petite série sympa, un peu kitsch et décalé et louperont probablement tout le propos du film.

pat
03/07/2019 à 13:49

ça a l'air d'une bonne série j'attend de voir j'adore ces acteurs principaux :)

Chouquette
01/07/2019 à 12:40

+1 aussi sur le commentaire d'Ismaren. Et pour avoir lu le livre, je trouve cette adaptation excellente au vu du format. Enlevée, touchante, hilarante, portée par ses deux acteurs principaux, c'est un vrai plaisir. Quand à American Gods que cite le critique, j'ai eu de la peine à finir la 1ere saison, et ai abandonné au tout début de la saison 2: très beau visuellement certes mais devient rapidement d'un ennui abyssal... ce qui n'est absolument jamais le cas avec Good Omens.

Ankytos
01/07/2019 à 09:00

D'accord pour dire qu'il est assez étrange de juger qu'une saison ne suffit pas à raconter l'histoire d'un simple livre, pas très long en plus. Je ne vois pas de raison valable de diluer plus. Plutôt content qu'ils aient fait ce choix.

Hank Hulé
01/07/2019 à 06:42

Les deux acteurs sont au poil mais dès qu'ils sont plus à l'écran, on se fait un peu chier. Un petit 6/10

Zaza
30/06/2019 à 15:42

Je ne peux que plussoyer les mots Isamaren. La cadence est parfaite, pour le moment...

Ismaren
30/06/2019 à 14:52

C'est rigolo, je viens de lire la critique de Warrior sur le site et la même remarque y est présente : il aurait fallu raconter ça en deux saisons. Je ne pense pas, le côté ramassé est d'une efficacité folle. Aujourd'hui on est noyés par des tas de séries dont il faut des semaines pour visionner l'ensemble des épisodes et saisons, pour finalement être un peu déçu par leur manque de saveur et de panache. Or Good Omens a non seulement de la saveur mais aussi du panache. Les effets spéciaux que l'on pourrait qualifier de kitsch s'intègrent parfaitement à l'ambiance globale de la série, parvenant malgré les faibles moyens à ne pas être ridicules mais complémentaires d'un univers décalé et comique. Good Omens est une série qu'on peut regarder en un jour ou en deux soirées, complète et entièrement satisfaisante. Dilué une intrigue si bien huilée en deux saisons n'aurait apporter que des bâillements et de l'ennui. Là on est dans une course aux côtés des personnages principaux, et encore heureux, pour rappel la fin du monde c'est pour maintenant, on n'a pas vraiment le temps de s'appesantir.
C'est vrai que tous les acteurs sont excellents!

votre commentaire