Test Immortality : une enquête passionnante dans les coulisses du cinéma

Antoine Desrues | 3 septembre 2022
Antoine Desrues | 3 septembre 2022

Après les surprises que furent Her Story et Telling Lies, Sam Barlow revient avec un nouveau jeu vidéo sous la forme d’un film interactif. Cette fois, Immortality nous plonge dans le milieu du cinéma et dans la vie tumultueuse d’une actrice, pour un résultat encore plus troublant et fascinant.

Clap de l’année

D’une manière détournée, on peut considérer Immortality comme l’un des meilleurs jeux d’horreur de l’année. Non pas qu’on soit mis face à un survival-horror bourré de jump scares, mais le nouveau jeu de Sam Barlow (les géniaux Her Story et Telling Lies) distille dès le départ une inquiétante étrangeté parfaitement couplée à son concept.

Si l’auteur a démarré dans l’horreur explicite avec Silent Hill : Origins et Shattered Memories, il a surtout renouvelé le genre du FMV (Full Motion Video, des jeux centrés sur des séquences en prises de vues réelles) par l’accumulation de sources vidéo. Sur ce point, Immortality partage la même ossature que ses prédécesseurs : rassembler et connecter des images comme les pièces d’un puzzle qui transforment progressivement le joueur en voyeur compulsif.

 

Immortality : photoRallumer le feu

 

La différence, c’est que Barlow a trouvé avec son dernier bébé son plus beau point de départ, à savoir la carrière de Marissa Marcel, une actrice mystérieusement disparue. Pour comprendre ce qui lui est arrivé, le joueur doit (re)découvrir une énorme quantité de rushes en rapport avec les trois films qui auraient dû faire de la comédienne une star, mais qui ne sont jamais sortis en salle.

Répétitions, repérages, apparitions dans des talk shows, et bien sûr prises des différents tournages, Immortality fascine en à peine quelques minutes par sa manière de nous plonger dans les coulisses du septième art, et de faire de nous des petites souris dans des processus artistiques rapidement parasités par les vexations et le ressentiment. Entre chaque "action !" et chaque "coupez !", un monde se dessine et se révèle au joueur, contraint de rester attentif au moindre dialogue, et à la moindre expression faciale.

 

Immortality : photoManon Gage, impressionnante

 

Le Projet Marissa Marcel

Dès lors, cette démarche est grandement épaulée par l’intuitivité d’un gameplay aussi simple que maîtrisé. Sur le modèle d’une moviola, le jeu permet d’ausculter dans le détail chaque morceau de film par le rembobinage, le ralentissement ou l’accélération. Il est ensuite possible de cliquer sur de nombreux points d’intérêt des plans (un visage, une tasse, une cigarette, etc) pour en trouver une nouvelle itération dans un autre plan.

En sautant de la sorte du coq à l’âne, le jeu appelle à un lâcher-prise grisant, d’autant que Barlow s’assure de marquer une distinction esthétique entre les trois projets. Tout d’abord, il y a Ambrosio, film d’époque torride au cœur d’un monastère, réalisé en 1968 par une parodie libidineuse d’Hitchcock (c’est-à-dire Hitchcock).

 

Immortality : photoLes aventuriers des rushes perdus

 

Le format 1:33 et la lumière marquée de studio diffère pas mal de Minsky, polar seventies influencé par les préceptes du Nouvel Hollywood. Et enfin, après une étonnante traversée du désert, Marissa revient en 1999 à la tête de Two of Everything, thriller à la photographie beaucoup plus nette et froide autour d’une pop-star et de sa relation trouble avec sa doublure.

Loin du rendu cheap qu’on aurait pu craindre d’un tel projet, les faux tournages de Barlow arborent une dérangeante authenticité, sublimée par les performances impressionnantes de comédiens en pleine mise en abyme. Manon Gage, jusque-là inconnue au bataillon, bluffe par sa finesse et son ambivalence ensorcelante.

Si Marissa joue avec une persona de femme fatale, aussi bien dans ses rôles que dans la vie, on perçoit petit à petit la carapace qu’elle a été obligée de se construire au cœur d’une industrie sexiste et misogyne. En plus de brouiller les pistes, la démarche interroge nos présupposés quant à cette perception parcellaire de ce personnage trouble.

 

Immortality : photoBasic Instinct

 

Forgotten Silver

Pour autant, Immortality va bien au-delà de cette considération assez évidente sur un show-business carnassier qui broie ses jeunes talents. A vrai dire, on se doute bien que le titre cache quelque chose de plus vicieux et insidieux, et c’est justement là que l’horreur surgit.

Il serait criminel de révéler les secrets du nouveau jeu de piste de Sam Barlow, mais le bonhomme parvient à bouleverser les acquis de ses précédents FMV, et manipule notre sensation de contrôle sur les images qui défilent sous nos yeux. Soudainement, au détour d’un plan, Immortality peut totalement vriller. Ralentir ou lire à l’envers certaines scènes ajoute un caractère lynchien à l’ensemble (on pense forcément aux séquences de la Loge noire dans Twin Peaks), et révèle la monstruosité de corps qu’on déforme et étire comme une matière malléable.

 

Immortality : photoLes voyeurs

 

Ce n’est pas si étonnant quand on sait que l’auteur est allé chercher Barry Gifford (scénariste de Lost Highway) pour l’aider à écrire ce labyrinthe étourdissant. Barlow nous incite à lire entre les images, et à découvrir ce qu’on aurait préféré voir rester dans l’ombre… ou pas, tant notre soif morbide de connaissance devient incontrôlable.

A travers ce portrait aux allures cubistes, c’est un miroir que le jeu nous tend, révélant nos propres démons. Elle est peut-être là, la vraie terreur provoquée par Immortality. Alors que Sam Barlow s’interroge sur le pouvoir des artistes (il fait dire à l’un de ses personnages qu’ils "trouvent des corps et les capturent, les possèdent pour s’attacher à l’immortalité"), son dernier FMV est surtout un found-footage détourné sur la cannibalisation d’une identité par l’image et la mise en scène, comme si son héroïne était jetée en pâture à notre regard, notre pulsion scopique.

Ces thématiques étaient déjà au centre des précédents jeux de leur créateur, mais Immortality pousse leur potentiel bien plus loin, et s’impose comme le chef-d’œuvre de Sam Barlow.

Immortality est disponible depuis le 30 août 2022 sur PC, Xbox Series X/S et Xbox One. Il est également disponible sur le Xbox Game Pass.

 

Immortality : photo

Résumé

Sam Barlow aurait pu se répéter, mais Immortality est bien le meilleur de ses FMV. L’exigence de sa fabrication est à la hauteur des surprises de son concept, qui portent en elles une noirceur psychologique fascinante. Un immanquable de l’année.

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commentaires
Remiterz
06/09/2022 à 00:21

J'ai été très surpris par le début du jeu. Un tutoriel, un premier film et on navigue d'une vidéo à l'autre mais jamais on ne me parle de disparition. Cela procure une drôle d'impression, on ne sait pas trop pourquoi on regarde tout ça et... petit à petit on se prend au jeu, on fait des liens entre les personnages.

Très très bel hommage au cinéma dans ce jeu atypique et prenant.

Brasch-Eazy-E
03/09/2022 à 15:29

Y a un air de Billy Zane sur la toute première capture en haut.

Plus d'espoir...
03/09/2022 à 14:39

Je viens de le télécharger et je commence à peine. Ce titre me hype depuis que j'en ai entendu parlé depuis juillet. A voir si j'ai le temps de continuer dans sa longueur... Merci le GP.

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