Prometheus : Damon Lindelof explique pourquoi s'éloigner d'Alien était indispensable

Perché entre haine et fascination sur le baromètre des fans d'Alien, Prometheus de Ridley Scott continue à passionner.

Lost, Cowboys et envahisseurs, Prometheus, Star Trek Into Darkness, World War Z, A la poursuite de demain, The Leftovers : la filmographie du scénariste Damon Lindelof est un champ de bataille sensationnel d'une ampleur spectaculaire, à mi-chemin entre réussite flamboyante et déceptions faramineuses. D'où une réputation de plume controversée parmi les spectateurs, qui l'ont tenu pour responsable d'un certain nombre d'échecs.

Au sommet de ceux-ci : Prometheus. Sorti en 2012, le prequel mystique d'Alien avec Noomi Rapace et Michael Fassbender a violemment partagé les fans, tiraillés entre des thématiques intéressantes, une atmosphère excitante, et une écriture grossière illustrée à merveille par une poignée de séquences tristement cultes - le scientifique attendrie par une monstrueuse créature à laquelle il offre sa main, son collègue qui se perd alors même qu'il est en charge des cartes, ou encore Charlize Theron morte écrasée faute d'avoir eu l'idée de courir sur sa gauche.

Alors que Ridley Scott tournera Prometheus 2, intitulée Alien : Paradise Lost, début 2016, et que Neill Blomkamp développe un cinquième épisode d'Alien avec Sigourney Weaver, Damon Lindelof est revenu en détails sur son rôle dans l'écriture de Prometheus lors d'une longue interview accordée à The Hollywood Reporter :

"Je venais de finir Lost et je revenais de vacances. Mon agent m'a appelé pour me dire, 'Ridley Scott va t'appeler dans cinq minutes. T'es disponible ?'. J'ai failli avoir un accident de voiture. Cinq minutes plus tard, mon téléphone a sonné, et c'était Ridley Scott. Il m'a dit, 'Salut Damon, c'est Ridley. Je vais t'envoyer un scénario. Lis le et dis moi ce que tu penses'. Quelques heures plus tard, un mec est venu chez moi et m'a dit, 'Je vais attendre dans ma voiture, lisez le scénario, ramenez le moi, et est-ce que vous êtes disponible demain matin pour aller voir Ridley à son bureau ?'."

"Le scénario s'appelait Alien Zero, écrit par Jon Spaihts. J'ai pensé qu'il y avait beaucoup d'idées fantastiques. Mais quand on lit un scénario dans ce contexte, on nous demande en gros de remplacer quelqu'un non ? Je dois donc m'interroger : 'Pourquoi quelqu'un comme Jon Spaihts ne continue t-il pas ce projet ?'. C'est quelque chose de très injuste qui arrive aux scénaristes : quand les réalisateurs signalent au studio qu'ils veulent faire des changements radicaux, ils remplacent le scénariste, ce qui n'arrive jamais à la TV, où c'est l'exact opposé. J'ai trouvé que Jon avait fait pas mal de choses intelligentes, mais j'ai essayé de comprendre pourquoi on m'envoyait le scénario. Que pensent-ils que je puisse faire ?"

"Alien Zero était vraiment un reboot d'Alien à mes yeux. Il y avait des facehuggers, des xénomorphes, des oeufs, et c'était dans le langage du film dès la page 30. J'avais entendu que c'était un prequel, et il y a un problème dans les prequels ; quelque chose que je n'aime pas, qui est qu'inévitablement on relie les points. Donc l'idée des prequels de Star Wars est, par exemple, de faire trois films où en gros on me dit ce que je sais déjà. Il faut au moins ancrer une nouvelle idée, une nouvelle thématique. Comme par exemple, et si Obi-Wan Kenobi avait volé la petite amie d'Anakin ? De cette manière, que je revois Star Wars, je réalise que c'est pour ça qu'Obi-Wan laisse Dark Vador le frapper, parce qu'il se sent coupable. C'est pour ça qu'Obi-Wan surveille Luke, la progéniture de ce mec qu'il a emmerdé."

"Dans le scénario de Jon Spaihts il y avait cette idée de la création du mythe. L'introduction de Prometheus était dans son scénario. L'idée d'un film sur des scientifiques qui recherchent leurs créateurs, avec donc cet esprit religieux, pseudo-spirituel expliqué en langage scientifique. Ca me semblait vraiment intéressant qu'il y ait aussi un robot à leurs côtés lors du voyage, un androide nommé David. Je me suis dit, 'Ca c'est cool. Ces humains idiots vont en gros à la rencontre de leurs créateurs'. Et tous ceux qui ont déjà regardé un film de science-fiction savent que c'est la ligne à ne pas franchir. Il y a des questions auxquelles l'humanité ne devrait jamais répondre. Mais ils essaient quand même, et ça tourne mal. Parce que c'est un film Alien, on sait comment ça va finir."

"Mais il y avait cette idée intéressante, parce que l'androide était là, avec ses créateurs à lui, qui recherchent les leurs. Et il n'est pas impressionné par ses créateurs. L'androide, c'est le mec le plus intelligent de la pièce, et je me suis dit : 'Je vais prendre ces idées, je vais dire que c'est le sujet du film, et on ne va pas arriver à quelque chose de familier à Alien avant la fin du film, et s'il y avait un prequel à Prometheus ce ne serait pas Alien du tout. Et donc ce sera excitant à regarder parce qu'on ne se contente pas de relier les points".

"Je suis allé dans le bureau de Ridley et il y a littéralement une chambre forte, comme dans les films de braquage. On m'a ouvert cette porte et il y avait neuf mecs assis derrières leurs ordinateurs portables. Je me suis dit, 'Ok, je suis là, je dois rester professionnel, parce que Ridley Scott ne va pas m'engager si je lui pose juste des questions sur Blade Runner pendant une demie-heure', même si c'est ce qu'on a envie de faire. J'ai donc fait comme si c'était ma place et je lui ai expliqué : 'Dans ce scénario sont ancrées ces fantastiques idées, et si vous voulez m'engager, je mets en avant ces choses et je baisse un peu celles là, mais je ne veux pas tout jeter parce qu'il y a évidemment beaucoup de super idées dans le scénario de Jon'. C'était mon pitch, et Ridley a aimé, donc on est allé à la Fox. Ils ont aimé, et dans la plus pure tradition, on m'a dit que ça allait être un job de six semaine qui sont devenues au final une année de ma vie".

 
Damon Lindelof minimise toutefois son rôle dans Prometheus. En plus d'oter les références claires et nettes à la mythologie, comme la planète LV-426, il a modifié de nombreux éléments significatifs : les héros n'enlevaient pas leurs casques, Fifield n'était pas chargé des cartes, les motivations de David étaient explicitées, Holloway ne sombrait pas dans un spleen alcoolisé, Vickers n'était pas la fille de Weyland, qui lui-même n'était pas présent sur le vaisseau, lequel s'appelait sobrement Magellan. 

Le film se terminait par une ellipse de quelques semaines, pour montrer une Shaw survivant seule dans le pod de Vickers, et laissant David enfermé dans le vaisseau des Ingénieurs pour s'en protéger. La dernière image était celle d'une autre planète avec des pyramides similaires à celle découverte par les héros, avertie des événements et vraisemblablement prête à aller enquêter. Le contraire donc des plans de Ridley Scott pour Alien : Paradise Lost, où Shaw et David devraient eux-mêmes rejoindre cet enfer.