Jan Švankmajer au Forum des Images

Nicolas Thys | 27 octobre 2010
Nicolas Thys | 27 octobre 2010

Y survivrons-nous ?

Hier, au Forum des Images, s'ouvrait un événement qu'aucun véritable amateur de cinéma d'animation ne pouvait manquer, une rétrospective consacrée au dernier grand surréaliste encore en vie : Jan Švankmajer. Réalisateur, artiste graphique et poète tchèque, né à Prague en 1934, débutant au cinéma 30 ans plus tard, il a accompli la plus grande partie de sa carrière de l'autre côté du rideau de fer, à l'ombre et en farouche opposition au régime communiste en place comme le soulignent plusieurs de ses films.


Son œuvre, constituée d'abord de courts métrages, se situe dans la suite et à la marge du cinéma d'animation tchèque traditionnel et de personnalités comme Jiří Trnka, Hermína Týrlová ou Břetislav Pojar. Comme ces derniers, le dessin animé ne représente qu'une infime part de son œuvre filmique. A l'opposé, les marionnettes en forment l'essence profonde. Mais, loin de ne donner vie qu'à des personnages de bois ou de terre glaise, il va s'amuser avec les matériaux les plus divers et les alambiqués, la nourriture jouant ici un rôle extrêmement important : côtes de bœuf, hommes légumes, portrait à la manière d'Arcimboldo, langues de veau mais aussi animaux empaillés ou têtes de morts passeront entre ses mains pour devenir des créatures monstrueuses surgies tout droit de son imaginaire fou.

Il n'hésite pas dans une large partie de ses travaux, à s'amuser avec la prise de vue réelle, déformant les corps humains sans scrupule, les bouches en priorité, et ajoutant au réel des éléments hallucinants de manière à le rendre grotesque et délirant. Il adapte également de grands auteurs, en priorité des classiques du XIXème siècle comme Lewis Carroll, Edgar Allan Poe ou Auguste de Villiers de l'Isle Adam dont l'atmosphère colle parfaitement à ses préoccupations esthétiques.

Raflant de nombreux prix internationaux malgré la difficulté à faire sortir ses œuvres hors de son pays, adulé, repris et devenu une influence majeure pour des auteurs comme Terry Gilliam, Tim Burton, les frères Quay et une multitudes d'animateurs ou de réalisateurs ayant débutés par l'animation, Jan Švankmajer se fait pourtant rare et ses longs métrages peinent à pénétrer nos frontières depuis une bonne dizaine d'années. C'est donc avec une certaine exaltation qu'on attendait la venue de l'homme et de son nouveau film au titre décapant, Survivre à sa vie (théorie et pratique) présenté pour la première fois en France après des passages dans des festivals à Venise et Bratislava.

Et le résultat est excellent mais... les inconditionnels du cinéaste ressentiront peut-être une part de tristesse à la fin de la projection. Non pas dû à la qualité du film, complètement fou et déjanté. Mais parce que Švankmajer nous livre ici une sorte de condensé de son œuvre sur 90 minutes. Tout y est : collage papier comme il aime, déformation des perspectives, éléments surréalistes à foison, animaux partout, nourriture indigeste et danses étranges, sexualité débridée et refoulée, symboles bibliques et crasse en abondance. Et, s'il s'amuse de la psychanalyse, c'est pour nous faire pénétrer dans un univers où le rêve et la réalité n'existent plus, comme si les deux ne pouvaient se défaire l'un de l'autre. L'imaginaire prend le pas sur la raison et il la détruit petit à petit. Mais en même temps, il opère un retour sur lui-même et porte une réflexion sur son œuvre à la manière d'un film testament, témoin et récapitulatif de sa carrière. Impression d'autant plus forte qu'il ouvre lui-même son film dans une introduction hautement comique et pourtant, certainement assez réaliste. Comme si c'était le dernier. Et à cette idée (qu'il ne tient qu'à lui de contredire), impossible de ne pas se sentir nostalgique.


Finalement, ce film qui ouvre la rétrospective et clôt (momentanément ?) son œuvre filmique, sonne comme un appel à voir ou revoir ses films pour s'en imprégner toujours plus. Et ce sont plus de 30 films, courts ou longs, accompagnés d'un cours autour d'Alice, d'une table ronde et d'une rencontre avec le cinéaste que le Forum des Images proposera jusqu'au 31 octobre.

Pour plus de détail sur la programmation, veuillez cliquer ici.

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