Nope : pourquoi le miracle de Get Out et Us ne s'est pas reproduit au box-office

Troisième film du réalisateur de Us et Get Out, Nope a été un succès timide au box-office de 2022. La magie de Jordan Peele s'est-elle envolée ?

Notre critique du génial Nope.

D'abord connu pour ses sketchs en duo avec Keegan-Michael Key sur Comedy Central (hilarants, on conseille vivement), Jordan Peele s'est finalement fait un nom auprès du grand public et dans le métier en tant que réalisateur et scénariste d'horreur. Grâce aux succès phénoménaux de Get Out et Us, sans oublier un Oscar (meilleur scénario original pour Get Out) et une boîte de production très active (Monkeypaw, derrière BlacKkKlansman, Candyman, Lovecraft Country ou encore Wendell et Wild), il s'est imposé en quelques années.

Une étoile montante très en vue donc, et dont la troisième oeuvre, Nope, avec Daniel Kaluuya, Steven Yeun et Keke Palmer, était attendue au tournant. Malheureusement, le miracle ne s'est pas reproduit, et le résultat de Nope est certes bon, mais un brin timide de 2022. Comment et pourquoi ? Retour sur les chiffres et le contexte.

LE SUCCès des... Ah, nope ?

Avec un budget de production de 68 millions de dollars, auquel il faut ajouter les coûts marketing dont on ne connaît pas le montant, Nope est dans la fourchette haute du genre comparé à d'autres films d'horreur de 2022, comme Halloween Ends (33 millions), Scream (25 millions), Black Phone (18 millions), ou Smile (17 millions).

Nope coûté cher au regard du genre dans lequel il s'inscrit, historiquement connu pour ses faibles dépenses de production. Une telle somme est souvent attribuée à des films plus calibrés et, disons, moins "bizarres" que Nope. Par exemple, Hannibal (87 millions) et Signes (72 millions) affichaient un tueur célèbre et apprécié pour l'un, et Mel Gibson pour l'autre, et racontaient des intrigues moins tarabiscotées. Et donc, plus simples à vendre.

Car à côté des 351 millions de dollars de Hannibal et des 408 millions de dollars de Signes, Nope fait pâle figure : 170 millions de dollars au box-office mondial, soit 2,5 fois le budget de production. Ce qui amène à un constat sans appel : Nope est à la fois le budget le plus élevé jamais attribué à Jordan Peele, et son plus petit score au box-office (en baisse de plus de 80 millions comparé à Get Out et Us).

Besoin de cavalerie

On pourra toujours se dire que Us et (surtout) Get Out étaient des anomalies, mais les chiffres sont là et semblent indiquer que la magie Jordan Peele se serait quelque peu envolée. Us avait rapporté 256 millions de dollars pour un budget de 20 millions, tandis que Get Out avait rapporté 252 millions pour un minuscule budget de 5 millions de dollars, soit 50 fois moins.

Pour autant, il convient de ne pas noircir le tableau outre mesure. Même si l'on s'en réfère à la fameuse règle du bon gros doigt bien mouillé qui veut que le budget promotionnel d'un film va de 50 à 100% du budget de production, Nope est un succès qui se compte en millions. Et encore, il faudrait y ajouter l'exploitation secondaire en vidéo qui sera, à n'en pas douter, fructueuse.

Malgré une baisse de régime manifeste, Nope reste clairement une bonne opération. Elle est simplement moins bonne que ce qu'elle aurait pu être ; et le budget du film, bien que loin d'être déraisonnable, représentait tout de même un pari plus risqué qu'à l'accoutumée pour le genre et visait sans aucun doute un box-office plus que "normal".

L'ombre de la rentabilité démentielle ne plane pas sur Nope

NOpe-pasaran  

L'affaire semblait pourtant prometteuse pour Nope, avec un très bon démarrage à domicile : 50 millions de dollars sur son premier week-end. C'est moins que Us (70 millions), mais plus que Get Out (33 millions). Mais alors qu'est-ce qui a pêché ? Nope est en réalité un film à ce titre assez confondant : aucun aspect ne ressort en particulier, et l'explication de cette "sous-performance" est diverse.

Pour ce qui est de la date de sortie, Nope n'a pas particulièrement souffert de la concurrence. Il est la seule grosse nouveauté, et son adversaire le plus proche était Thor : Love and Thunder, mais celui-ci en était déjà à la troisième semaine d'une exploitation plus fragile que prévu.

Vous devriez aller voir ce film vous savez

Le bouche-à-oreille ne semble pas non plus avoir joué contre le film, puisque les critiques ont été très généralement favorables - même si un peu moins que pour Us et Get Out. Et surtout, le public a donné la même note à Nope et Us (B sur CinemaScore), preuve que la réception du film a été bonne.

Enfin, si la part de marché de l'exploitation internationale est plus faible qu'à l'accoutumée, le déséquilibre reste cependant marginal, ce qui signifie que l'international comme le territoire américain ont subi une baisse du même ordre et qu'il n'y a pas d'explication à aller chercher du côté d'une éventuelle bouderie d'un quelconque territoire clé.

Arrête de bouder

LA Vérité (et les spectateurs) sont ailleurs

En revanche, peut-être qu'on pourrait pointer du doigt le marketing de Nope, qui pourrait s'être légèrement trompé de stratégie. Et pour cela, il faut faire un petit tour du côté de Smile, le carton surprise de 2022 dans le genre horreur. Smile a en effet rapporté 210 millions de dollars (et le film est encore en cours d'exploitation, c'est dire sa popularité) alors qu'il n'a coûté que 17 millions de dollars à produire. Mais surtout, Smile a massivement promu le film autour de son concept ludique, et visé explicitement un public adolescent.

De son côté, Nope s'est surtout concentré sur la mise en avant de son auteur, et a joué sur le mystère, l'énigme, avant d'en révéler un peu plus dans la dernière ligne droite. C'est une affirmation à prendre avec des pincettes, mais ce sont probablement des arguments promo visant un public plus "adulte", ou en tout cas plus initié, quand bien même Nope espérait évidemment attirer également un public adolescent en salle.

210 millions et trop de dents

En sortant fin septembre au lieu de mi-juillet, Smile a aussi probablement bénéficié d'une date un brin plus favorable, car plus proche de la saison traditionnelle des films d'horreur. Il est possible d'ailleurs que les spectateurs qui ont disparu entre Us et Nope se soient trouvés pour partie d'entre eux devant Netflix, en train de regarder The Gray Man, sorti le même jour.

Il est à noter que Us et Nope ont également enregistré des baisses de fréquentations au fil des semaines très similaires, presque jumelles. Us et Nope ont aussi eu le même score sur CinemaScore, ce qui signifierait que le public a autant apprécié l'un comme l'autre, et leur aurait donné le même élan. La différence entre les deux films ? Un démarrage plus fort pour Us, et une date de sortie en mars, en dehors de la saison brûlante des blockbusters de l'été. Un contexte peut-être plus favorable pour un film de Jordan Peele, qui s'est peut-être battu dans la mauvaise cour de récré.

Oh mince, ils sont vraiment grands dans la cour des grands

l'histoire qui valait 30 millions

Peut-on en déduire que la seule faute de Nope est de ne pas avoir démarré assez haut et d'avoir coûté trop cher ? Que si Nope et Smile avaient échangé leurs places, Nope aurait été un carton franc et massif au-delà des 210 millions et à jeu égal avec Us et Get Out ? Les choses ne sont rarement aussi faciles, mais peut-être.

La comparaison avec Smile, bien qu'éclairante, comporte quelques limites : Smile a certes fait plus que Nope, mais "seulement" 40 millions de plus. Et en même temps, ce sont ces 40 millions manquants qui font de Nope un très honnête succès, mais pas de quoi casser la baraque. Ce sont aussi ces 40 millions qui séparent Nope de l'Histoire.

 Écoutez-bien ce que dit ce petit doigt

En effet, même avec seulement 30 millions de plus, Nope aurait pu passer le seuil symbolique des 200 millions et entrer dans le top 50 des plus gros scores du box-office du genre horreur de l'histoire. Par la petite porte certes, en ne menaçant que le 50e de la liste (Conjuring : Sous l'emprise du Diable, avec 200 millions de dollars), mais tout de même : même strictement au sein du genre lui-même, Nope est une petite déception.

Get Out et va au ciné

Une raison de Smile sourire tout de même : Nope est la première réalisation-production de Jordan Peele sans autre société que Monkeypaw, à savoir la sienne (oui quelque part c'est une autoproduction), ce qui lui assure une remontée de recettes très directe. Le réalisateur est donc loin d'être menacé, si quelqu'un en doutait.

Quant au distributeur Universal, on s'inquiètera pour lui quand il aura fini de s'étouffer, noyé dans le milliard de billets verts rapportés par Jurassic World : Le Monde d'après. Ou pas.