Godard : adieu au grand punk du cinéma (français)

Léo Martin | 13 septembre 2022 - MAJ : 12/10/2022 09:55
Léo Martin | 13 septembre 2022 - MAJ : 12/10/2022 09:55

À bout de souffle, Pierrot le fou, Le Mépris, Bande à part... Réalisateur majeur de la Nouvelle Vague et immense source d’inspiration pour le cinéma international, Jean-Luc Godard s’est éteint à l’âge de 91 ans. 

5 raisons de ne pas détester Godard

L’été touche à sa fin, et plusieurs pages se tournent pour le cinéma. Après Alain Tanner et William Klein, c’est le réalisateur franco-suisse Jean-Luc Godard qui s’en est allé ce mardi 13 septembre, a annoncé Libération.

En tant que l’un des chefs de file de la Nouvelle Vague française, il a marqué l’histoire du cinéma et compte parmi les figures les plus influentes du septième art. Créateur prolifique à l’œuvre colossale, Jean-Luc Godard a été la source d’inspiration d'entre autres Jean Eustache, Philippe Garrel, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Brian De Palma ou Quentin Tarantino.

Pour faire simple : qu'on l'aime ou pas, Godard est un génie.

 

Jean-Luc Godard : photoL'homme à la cigarette

 

nouveau souffle

Après une jeunesse turbulente en Suisse où il s’essaye à la critique et aux courts-métrages amateurs, il vient étudier à Paris, à la Sorbonne. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de la jeune critique française, notamment François Truffaut ou Éric Rohmer. Il devient avec certains d'entre eux le cofondateur de La Gazette du cinéma en 1950, et il publie ses premiers articles professionnels dans les Cahiers du cinéma en 1952.

En 1957, il tourne Tous les garçons s’appellent Patrick, un court-métrage écrit par Éric Rohmer et produit par Pierre Braunberger – dont il a été le monteur auparavant. Toutefois, c'est en 1960 que Jean-Luc Godard est véritablement révélé au cinéma grâce à son premier chef d’œuvre célébré : À bout de souffle.

Inspiré par le succès de François Truffaut à Cannes, Jean-Luc Godard a ainsi écrit et réalisé son premier long-métrage avec À bout de souffle. C’est déjà sa deuxième collaboration avec Jean-Paul Belmondo (avec qui il avait déjà tourné un court-métrage) mais ce film fera leur renommée.

Avec plus de 2 millions d’entrées en France, Godard établit d'entrée son propre record au box-office (qu’il ne battra jamais), et marque tous les esprits avec un premier choc cinématographique sans équivalent. À bout de souffle reste à l’affiche dix-sept semaines aux États-Unis et provoque une collision d’opinions, certaines controverses, mais aussi beaucoup d'enthousiasme. Dans sa critique du film, Georges Sadoul affirmera que Godard avait alors "flanqué le feu à toutes les grammaires du cinéma." 

 

À bout de souffle : Jean Seberg, Jean-Paul BelmondoQuand le cinéma était finalement loin d’être à bout de souffle

 

La nouvelle vague de godard

Le cinéaste n’a alors que 30 ans et il s’impose aussitôt à la vue de tous. Il devient très vite, aux côtés de ses comparses François Truffaut, Jacques Rivette ou Éric Rohmer, une figure incontournable de la Nouvelle Vague. Ce phénomène fascine (au-delà de la France) et, avec Godard, trouve un deuxième souffle.

En 1963 il réalise une de ses plus importantes œuvres : Le Mépris, avec Michel Piccoli et Brigitte Bardot. Il y adapte le roman d’Alberto Moravia. Il lie alors son cinéma avec la littérature qu’il aime tant, et iconise une des plus grandes stars françaises de son époque, dans l’un de ses meilleurs rôles. 

 

Le Mépris : photo Brigitte Bardot, Michel PiccoliMichel Piccoli et Brigitte Bardot dans le Mépris

 

Jusqu’en 1966, il tourne beaucoup avec sa première muse et femme, Anna Karina. Il s’essaye alors à de nombreux genres de cinéma alors qu'il est encore à l’aube de sa filmographie. On pense à Petit Soldat, drame politique sur fond de guerre d’Algérie ; Alphaville, un essai à la science-fiction dans la lignée de La Jetée  de Chris Marker; mais aussi et surtout, à Pierrot le fou.

Il y retrouve Jean-Paul Belmondo, devenu très populaire depuis, dans un road movie halluciné s'affranchissant des règles classiques du montage, et dont l’influence esthétique est à nouveau stupéfiante.

 

Pierrot le fou : photo, Anna Karina, Jean-Paul BelmondoVoyage à deux... mais plus pour longtemps

 

Le duo que Belmondo forme avec Anna Karina est légendaire, et d'une force symbolique sans pareil lorsque l'on sait que Godard est en train de quitter cette dernière et que son cinéma est sur le point de muer irrévocablement. 

Pierrot le fou est salué par de nombreux critiques comme l’un des sommets de son art, et l’apothéose de son œuvre telle qu’amorcée depuis À bout de souffle. Après avoir vu le film, Louis Aragon écrira même dans Les Lettres françaises : "Il y a une chose dont je suis sûr [...] : c’est que l’art d’aujourd’hui, c’est Jean-Luc Godard."

Une ère de grâce qui s’achève après sa rupture avec Anna Karina, là où commence sa période militante en 1968.

 

Bande à part : photoBande à part

 

Films et socialisme

Entre 1967 et 1968 émerge un nouveau Jean-Luc Godard. De plus en plus engagé, le cinéaste se revendique bientôt antisystème et maoïste. Il réalise des films désormais en accord avec ses idéologies, en commençant par La Chinoise puis Week-End.

Une époque tumultueuse de métamorphose à la fois politique et artistique – qui a d'ailleurs été le sujet du livre Un an après, d’Anne Wiazemsky, la femme de Godard à cette époque. Oeuvre qui été adaptée par Michael Hazanavicius dans Le Redoutableen 2017, qui revient sur ce moment précis de la vie du réalisateur.

 

La Chinoise : photo, Anne Wiazemsky, Jean-Pierre LéaudAnne Wiazemsky et Jean-Pierre Léaud dans La Chinoise

 

 

Rejeté par ceux qu’il admire – les situationnistes et les maoïstes – il s’investit néanmoins davantage dans sa quête militante. Pendant mai 68, il rejoint les manifestations et appelle au boycott du Festival de Cannes en solidarité avec les étudiants. L’échec de 68 l’entraîne à aller plus loin encore en faisant sécession avec l’industrie du cinéma.

Reniant sa propre œuvre, qu’il juge trop bourgeoise, Jean-Luc Godard sacrifie également son nom pour se vouer au groupe Dziga-Vertov, un collectif artistico-révolutionnaire. Le cinéaste disparaît médiatiquement, et pourtant il co-réalise jusqu’à six films internationaux en deux ans. 

 

Week-end : photoLe Week-end, selon Godard

 

Après avoir tourné avec Dziga Vertov des films sur le front tchécoslovaque ou en Jordanie, il passe dans les années 70 à l’expérimentation vidéo, en compagnie de Anne-Marie Miéville, sa nouvelle compagne. Des œuvres comme Numero deux, Ici et ailleurs, Six fois deux - sur et sous la communication, détournent la dialectique et l’esthétique de la télévision.

Le retour du cinéaste dans les salles se fait avec Sauve qui peut la vie, avec Jacques Dutronc et Nathalie Baye, qui sort en 1979 et affiche plus de 600 000 entrées au box-office. Le film est sélectionné au Festival de Cannes en 1980, ainsi que deux autres de ses longs-métrages, Passion et Detective. En 1983, il obtient le Lion d’or du Festival de Venise pour Prénom Carmen.

Ainsi, le réalisateur antisystème se réconcilie avec le monde du cinéma, invitant de nombreuses vedettes dans ses films (Isabelle Huppert, Nathalie Baye, Jacques Dutronc, Alain Delon, etc) et se joignant aux célébrations des cérémonies à récompenses. Il est toutefois bien changé (une fois de plus), laissant derrière lui le marxisme pour une vision plus métaphysique de son art de lui-même.

De son propre aveu, il entame alors sa troisième vie de cinéma.

 

Sauve qui peut (la vie) : photo Isabelle Huppert, Jacques DutroncC’est toujours la même histoire : Boy meets girl

 

Un certain regard

Ayant migré du combat politique à la fascination du sacré, Jean-Luc Godard se fait ermite et imprègne ses œuvres d’une obsession pour l’expérience mystique des images et du passé. Il touche à nouveau les cinéphiles, mais s’enferme de son côté sur sa propre perception du cinéma et de l’histoire qu’il veut en faire.

"J’existe aujourd’hui en une étroite solidarité avec le passé. Je refuse d’oublier parce que je ne veux pas déchoir" explique-t-il en 1995, lors de sa réception du prix Adorno. C’est durant cette décennie qu’il assemble ses œuvres les plus personnelles, où il s’occupe souvent de faire lui-même la narration et le commentaire de ce qu’il filme. Godard souhaite alors faire corps avec son art.

 

Notre musique : photoNotre musique

 

C’est entre autres Je vous salue, SarajevoJLG/JLG. Autoportrait de décembre, Dans le noir du temps (disponible sur Youtube) et bien entendu Histoire(s) du cinéma qui marqueront cette nouvelle étape dans son évolution en tant que réalisateur. Au début du XXIe siècle, il poursuit dans cette voie avec notamment Liberté et patrie et Moments choisis des Histoire(s) du cinéma. 

Il est de plus en plus éloigné de la fiction traditionnelle et accouche d’œuvres fantomatiques et tout aussi mystiques que les autres, comme avec Notre musique, en 2004, où les thèmes théologiques se mêlent à ceux de la guerre. 

En 2010, Jean-Luc Godard présente à Cannes son film ultime (proclamé ainsi), Film Socialisme, dans lequel il clôt son récit personnel avec le cinéma et la politique. Après ça, le cinéaste âgé de 80 ans se fait de plus en plus rare, mais expérimente encore. Il s’essaye notamment à la 3D avec 3x3D, sortie en 2012. Mais Cannes ne l’oublie pas et lui remet le Prix du jury en 2014 pour Adieu au Langage.

En 2018, il reçoit également une Palme d’or Spéciale pour son Livre d’image, qui sera sa véritable dernière œuvre filmique.

 

Adieu au langage : photo Héloïse GodetAdieu au cinéma

 

Maintes et maintes fois cité et célébré, Jean-Luc Godard aura été jusqu’en 2022 le dernier vestige de la Nouvelle Vague, mais aussi le représentant d’un cinéma qui n’a existé qu’à travers lui. Caractérisé par ses contradictions, le réalisateur franco-suisse a connu bien des conflits avec son art, son entourage et lui-même. L’évolution de sa filmographie l’a rendu aussi culte que protéiforme, parfois révolutionnaire, parfois poétique et souvent opaque. Les adieux à Godard ne seront pas sans conséquence pour le septième art.

Tout savoir sur Jean-Luc Godard

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commentaires
RobinDesBois
17/09/2022 à 00:47

Je précise que je ne suis absolument pas pour qu'on fasse un procès post portem (et je ne l'étais évidemment pas non plus de son vivant) de Godard et qu'on se focalise là dessus. Mais Godard a toujours été beaucoup plus ménagé voir protégé par les journalistes de cinéma qui semblaient avoir décidé d'un accord tacite de peu voir ne pas évoquer cette part sombre de Godard et parfois même cherchaient à la justifier hypocritement que des autres professionnels du métier qui auraient dérapé (voir seraient juste accusés d'avoir dérapé) dans leur passé. Surtout depuis ces 5 dernières années où l'on manque pas une occasion d'évoquer chaque connerie qu'aurait pu faire un acteur ou un réalisateur dans sa vie.

Flash
16/09/2022 à 12:05

En attendant, j’ai bien aimé la réaction de Gérard Darmon.

RobinDesBois
15/09/2022 à 20:09

Parmi les sources: les inrock, le monde et la biographie de Godard par Richard Brody.

Godard a notamment traité le producteur Pierre Braunberger de « sale Juif » (ce qui a accentué voir scellé la brouille de Truffaut avec Godard même s’ils étaient déjà en mauvais termes) et autres joyeusetés…

Ca se limite pas au conflit israelo - palestinien, il avait un vrai problème avec les Juifs.

Enfin tout ça est largement connu des critiques et journalistes de cinéma je suis étonné que vous n’en ayez pas entendu parlé Simon.

Sanchez
15/09/2022 à 18:16

Ok je viens de lire un article. On est dans la provoc , après il a le droit de pas être d’accord avec la politique israélienne.

Simon Riaux
15/09/2022 à 18:14

@RobinDesBois

Je vous retourne la question avec une curiosité non feinte.

Sanchez
15/09/2022 à 18:02

@robindesbois

Intéressant . Vous pouvez nous citer des sources svp ?

RobinDesBois
15/09/2022 à 17:00

@Simon quand il s’agit de simples accusations ou d’interprétations très subjectives tout simplement. Concernant Godard c’est plus que des accusations c’est incontestable au regard de certaines de ses déclarations.

Pourquoi ce deux poids deux mesures avec Godard ?

Simon Riaux
15/09/2022 à 15:24

@RobinDesBois

Pour le coup, il est assez rigolo de constater où vous placez la ligne de ce qui serait "avéré".

RobinDesBois
15/09/2022 à 15:09

J’ai aimé à Bout de Souffle, Masculin Feminin et ses premiers courts. Je n’ai rien compris à la Chinoise. RIP

Je suis cependant étonné (ironique) qu’Ecran Large qui ne loupe pas une occasion de rappeler les parts d’ombres d’artistes vivants ou décédés même quand rien n’est avéré ne mentionne pas l’antisemitisme de Godard.

la ptite nouvelle vague
14/09/2022 à 18:40

ah cette "nouvelle Vague", a vite fait pchiit, comme dirait l'Autre,
elle aura duré entre 5 et 8 ans a vu de nez,
pas même une decennie
le premier film que j'ai vu de Godard, c'est un long plan sur les fesses ' tu les aimes mes fesses"de la Top Bardot avec michel Picolli, tout un programme
j'ai vu un certains nombre de film de Godard et d'autres surfeurs de la nouvelle Vague, d'un point de vue technique et general , les images sont crasseuses et a degeuler, c'est mon goût pour les belles images qui me dire çà,
Raoul Coutard qui est un grand chef Op de l'époque ,et un Grand tout court ,un abonné d'un Godard le disait pourquoi; pas ou peu tres peu de projo, camera à l'epaule, tournage plus ou moins à l'arrache,façon reportage avec les pellicules de l'époque, ...pas s'attendre a de belles images

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