Cinéma vs streaming : Disney rentre en guerre contre la chronologie des médias en France

Maeva Antoni | 21 septembre 2021 - MAJ : 21/09/2021 15:18
Maeva Antoni | 21 septembre 2021 - MAJ : 21/09/2021 15:18

Disney se bat contre la chronologie des médias française et menacerait de ne plus sortir ses films sur le territoire si un accord n'est pas trouvé.

Les géants du streaming sont devenus les nouveaux nababs du cinéma international. Même Hollywood se met au pas désormais face à Disney+ ou encore HBO Max pour Warner Bros.. La double casquette de studio et service de SVoD font d’eux les caïds de la cour de récréation. Et ce, d’autant plus depuis la pandémie qui a instauré de nouvelles règles de diffusion pour les films. Alors que les cinémas étaient fermés au travers du globe, les studios ont trouvé la parade en sortant leurs films directement en ligne (parfois moyennant un surcoût en plus de l’abonnement).  

Une facilité que les studios n’ont pas envie de perdre en continuant la sortie hybride de leurs films malgré la reprise de l’activité en salles. Sauf que dans cette conquête généralisée du cinéma, les services de streaming trouvent un rebelle dans le système français. La chronologie des médias de l'Hexagone brise les plans des géants de la SVoD et Disney serait tout à fait prêt à employer les gros moyens pour tout chambouler.

 

photo, Tony Leung Chiu Wai, Simu LiuLa France, seule face à la puissance de Disney

 

Partout ailleurs, quand Disney décide de sortir le Marvel Black Widow le même jour en salles et en streaming, tout le monde suit, malgré le piratage que cela engendre. Pour ce qui est des fenêtres d’exclusivités en salles d’un maximum de 45 jours avant un rapatriement en SVoD (comme pour Shang-Chi, toujours chez Disney), personne n’y trouve rien à redire. Personne, sauf l’irréductible Gaulois qui met des bâtons dans les roues des studios (américains ou non) avec sa chronologie des médias, seul pays au monde à posséder un système aussi strict. 

Dans l’Hexagone, depuis la fin des années 80, la chronologie des médias cherche à garantir l’exploitation des films en salles. Elle régit le délai entre la sortie du film en salles et sa diffusion sur d’autres supports. Aujourd'hui, c’est trois ou quatre mois après la sortie pour la vente de DVD, Blu-ray et la location. C’est huit mois et plus dans la majorité des cas pour la diffusion sur les chaînes payantes participant au financement du cinéma français (comme Canal+).

 

photo, Florence PughEffondrement anticipé pour l'exploitation française ?

 

Il faut attendre entre 15 et 17 mois pour les autres chaînes payantes. Pour la télévision publique, le temps d’attente est, en général, de 22 mois. Et enfin bon dernier, les services de streaming par abonnement (SVoD) doivent patienter 36 mois avant de récupérer un film. Et c’est principalement cette attente de 36 mois qui ne ravit guère Disney (surtout Disney, puisque la plateforme HBO Max de Warner n’est pas disponible en France) ou Netflix. Car avec ce système complexe de file d’attente, Disney ne peut ni sortir les films en simultané ni les balancer sur Disney+ 45 jours après la sortie.

Et apparemment, selon les informations de Variety, Mickey ne semble plus vouloir s’embêter avec cette exception française : si la France ne joue pas le jeu, les films estampillés Disney pourraient ne plus avoir de sorties en salles et finir directement sur Disney+. Un raccourci qui serait terrible pour l’exploitation française quand on voit le nombre de films qui sont sous le joug de Disney et le nombre d'entrées que le studio apporte aux exploitants de cinéma.

 

photo, Adam Driver, Daisy RidleyPeut-on encore restaurer l'équilibre dans la Force ?

 

Pour se rendre compte du poids de Mickey en France, en 2019 (année où tout allait encore bien), 746 films sont sortis dans l'Hexagone. Parmi eux, seulement onze films Disney. Onze métrages qui offraient 45 millions sur le total de 198 millions de 2019, soit environ 25% du box-office annuel français.

Un manque à gagner qui serait considérable pour les exploitants de salles - d'autant plus que Disney détient également les marques Fox depuis son rachat au printemps 2019 -, mais également un gigantesque frein à la production. Effectivement, le cinéma français, les films indépendants, reçoivent des financements du CNC tirés des revenus en salles notamment. Ainsi, les blockbusters américains sont indirectement un soutien aux plus petits films français. La France se la joue David contre Goliath car contrairement aux autres pays du monde, les films américains représentent moins de 50% des sorties (contre 70 à 80% ailleurs), selon Variety.

Toutefois, il sera primordial, si la menace de Disney est bien réelle, pour les professionnels du milieu de trouver un accord qui arrivera à plus ou moins satisfaire tout le monde. Car dans la bataille, il n’y a pas que les géants américains qui ont des exigences.

 

photo, Emily Blunt, Dwayne JohnsonChute devant ?

 

Si les chaînes publiques luttent pour conserver leurs avantages, Canal+ a également tapé du poing sur la table devant la menace d'une modification profonde de la chronologie des médias, demandant de réduire le délai de diffusion des films sortis en salles sur les chaînes payantes à 4 mois au lieu de 8. Un sacré casse-tête qui risque de se terminer avec le gouvernement qui tranche si un accord n’est pas trouvé avant la fin de l’année, selon Manuel Alduy, le directeur du cinéma et du développement international pour France Télévision. 

Certains, comme Jocelyn Bouyssy (directrice des cinémas CGR) espère que Disney changera de stratégie après avoir déjà reculé sur la sortie hybride après le succès de Shang-Chi et la débâcle Black Widow. Mais vu le succès important de son dernier Marvel en date avec son exclusivité salles de 45 jours aux États-Unis avant une arrivée sur Disney+, rien n'est moins sûr et ce système pourrait bien être répété à l'avenir par le studio. Et comme ce n'est pas possible en France, sera-ce alors la fin des films Disney au cinéma par chez nous ? Mystère pour le moment, mais l'affaire est à suivre de très près...

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commentaires
Mr Discrait
29/09/2021 à 09:58

Merci pour cette réponse détaillé @Simon !

Simon Riaux
24/09/2021 à 10:01

@Mr Discrait

Quelques jours plus tard, pas simultanément.

Techniquement, un film est immatriculé "film de cinéma" à partir du moment où il arrive en salles. Donc, à condition d'être retiré de toute plateforme au moment de son arrivée sur grand écran, il pourrait préalablement, théoriquement, sortit d'abord sur une plateforme.

L'obstacle n'est pas seulement organisationnel ou légal, il est surtout stratégique. Il faut que les salles estiment qu'elles ont encore intérêt à prendre le film et à occuper un écran avec au moins une semaine durant. Dans le cas de La Journée de la Jupe, un "petit" film, elles ont estimé qu'une diffusion sur Arte avait créé de la visibilité et du débat autour du film, qui était dès lors plus susceptible de fonctionner dans leurs salles, sans avoir trop entamé son réservoir de public.

Pas sûr que ce soit la même chose avec un film plus identifié dispo sur une plateforme grand public.

Mr Discrait
24/09/2021 à 08:41

Et pourquoi ne pas sortir d'abord les films en streaming, puis quelques jours plus tard (voire simultanément) au cinéma ?
A priori cela ne contrevient pas à la chronologie des médias français, et permettrait de satisfaire tout le monde...
Cela s'est fait en France il y a quelques temps pour des films comme "La journée de la jupe" et "La belle personne" sortis sur Arte avant de sortir au cinéma quelques jours plus tard...

Morcar
23/09/2021 à 14:25

Vlad, tu devrais écouter les explications de Simon concernant le principe de cette taxe CNC, tu comprendras qu'au contraire, en la retirant ce sont les films de qualités qui risquent d'avantage d'en pâtir en ne trouvant pas de financement, pendant que les comédies balourdes avec Dubosc et Clavier continueront d'être financées sans difficultés tout comme les Tuche 24.

Vlad
23/09/2021 à 07:03

Cette chronologie date de la VHS... une fois de plus, le pays France n'a pas évolué !
C'est juste incroyable comment tout doit être administré ! Libérez tout cela...
Si l'un veut voir son film au cinema, l'autre en VOD que chacun puisse le faire...

D'autre part, devoir financer le cinema français par des étrangers est une honte ! Qu 'il se finance par lui même.... et avec un peu de chance, on aura moins de films mais de meilleure qualité !

GTB
22/09/2021 à 20:16

@bareta> Raccourcir un élément de la chronologie des médias n'est pas si simple, c'est un domino qui en entraine d'autres. De toutes façons, c'est l'ensemble de la chronologie qui doit être adaptée...et avec chaque acteur qui tire la couverture à lui c'est fastidieux.
Sinon je trouverai toujours étonnant que seuls les français se plaignent du cinéma français (en limitant son spectre à quelques films), pendant qu'il est acclamé à l’international. Et les entrées en France c'est autour du 50-50 entre les films US et les films fr (55% US 45% FR il me semble).

@Beerus> "Disney nous casse les burnes, ils font même de l'ingérence dans le doublage des films."
Faut arrêter le délire, c'est parfaitement normal ça.

Beerus
22/09/2021 à 19:16

Disney nous casse les burnes, ils font même de l'ingérence dans le doublage des films, ils ont écarté Julia Vaidis-Bogard ( la voix VF de Scarlett Johansson) des films Marvel depuis Thor Ragnarok et dans d'autres films qui appartiennent pas à Disney, elle était revenue pour lui preter sa voix donc c'est la preuve que ce sont des gros ba^tard et c'est aussi à cause d'eux que Dominique Collignon-Maurin n'est pas revenu doubler Mark Hamill dans les dernier Star Wars.

bareta
22/09/2021 à 18:54

Il y a aussi la solution de raccourcir la chronologie des media 36 mois ? quand les dvd ne se vendent plus et que les films restent 2 mois a l'affiche. Pour financer un cinéma Français consanguins parisien que personne ne va voir avec luccini et consort en faisant les poches des majors américaine.

GTB
22/09/2021 à 13:55

@Batnono> Vous allez bien vite en besogne là. Il est bien peu pertinent de prendre l'exemple de Nolan. Non seulement Nolan n'est absolument pas représentatif du marché Hollywoodien étant l'un des très rares réal à avoir le luxe de décider, mais en plus l'encre est encore fraiche il est donc bien trop tôt pour tirer des conclusions; dans ce divorce Nolan/Warner, il n'est absolument pas dit que ça soit Warner qui en pâtisse le plus (d'autant que son dernier vrai carton remonte à Interstellar en...2014). Et d'ailleurs faire mordre la poussière à la Warner n'était guère l'objectif de Nolan. Il est parti par principe. D'autres réal partagent son amour pour les salles et l'ont témoigné, mais sans pour autant lancé une guerre contre les majors. Dune sort bien sur HBOMax et Denis Villeneuve fera bien Dune 2 chez la Warner, même s'il n'approuve pas la politique de double exploitation.
Et le différent entre Scarlett et Disney n'a pas pour sujet la SVOD en elle-même, mais l'encadrement de la redistribution de rémunération qui y est liée.
Il n'y a pas de combat anti-SVOD généralisé.

Et il semble y avoir méprise sur ce que souhaite Disney et la chronologie des médias. Disney se fout que la chronologie reste active. Ils souhaitent que leurs propres productions n'y soient pas soumises et puissent sortir en salles et rapidement sur leur plateforme. Il est question de leurs films uniquement, qui sortiront toujours en salles. Est-il légitime d'interdire cela dans le but de ponctionner des taxes sur leurs films pour financer un système qui n'a mis aucune billes dans lesdits films? Le débat est possible. Le principe d'autoriser la concurrence tout en lui prenant du blé pour financer la production locale, ça a du sens. Cependant, il n'y a pas qu'une seule façon de faire cela. La chronologie des médias peut prendre d'autres formes, et toujours faire son office en étant moins anachronique. On pourrait envisager aussi d'utiliser d'autres leviers pour un système plus égalitaire, comme par exemple encadrer la communication et le marketing. Le box-office (France et monde) est quasiment le reflet exact des plans com'.

Kyle Reese
22/09/2021 à 10:40

Vous imaginez comme j’aime Disney en ce moment.
Pas certaines personnes de talents réal et autres qui y bossent ou y ont bossé, mais l’entité tentaculaire, le trust, l’ogre qui veut régner sur le divertissement mondial à coup de rachat et d’imposition brutal de son point de vue. D’autres sont biens mieux informés que moi ici mais à votre avis pourquoi le cinéma français est il quasiment le seul d’europe à s’en sortir face aux mastodontes US ? Grâce en partie à cette chronologie des médias. Évidement tout ca est très complexe, mais faire pression de la sorte sur un gouvernement pour juste d’avantage de bénéfice est une pratique que je désapprouve totalement. Disney se conduit comme les GAFFA Avec des méthodes bien brutales à l’américaine façon Trump ?. Je ne porte pas forcément le cinéma français dans mon cœur mais néanmoins je défend cette volonté de protection, pas parfaite, mais qui permet à cette économie d’exister pour le pays et qui exporte et qui fait rayonner une certaine culture française. Cela reste important pour des tas de raisons. Ne pas oublier que les US ont toujours su utiliser le vecteur cinématographique, la tv et le maintenant le streaming pour imposer leur point de vu sur le monde. Le cinéma US est une manière d’américaniser les esprits â des fins idéologique et économique. C’est beaucoup moins prégnant aujourd’hui évidement (ou plus subtil) mais proposer ses blockbusters dans le monde entier au delà de gagner de l’argent à d’autres effets sur les peuples qui les regarde surtout dans des pays où le cinéma local est inexistant. Nous sommes un peu une exception tant notre cinéma est vivant (qu’on lame ou pas.). Ou est le cinéma italien, le cinéma anglais, allemand etc aujourd’hui. Cette chronologie peut être sûrement un peu amélioré, adapté aux enjeux d’aujourd’hui mais d’une manière sereine intelligente pas sous la pression de Disney qui voit avant toute chose le bizness et les bénef et les dividendes.. Que Disney boycotte les salles française ne me ferait ni chaud ni froid. Ok les distributeurs et salles feront bien la gueule mais sortiront d’autres production, et pourquoi pas un peu plus de production étrangère asiatiques par exemple. Comme disait le grand (par sa taille hein) Jacques:
This is not a method !!!
Ca va être un nouveau feuilleton à suivre. Youpi. Lol

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