Cannes 2021 : on a vu La Fracture, le coup de gueule qui sonne l'état d'urgence avec Pio Marmaï

Comme (presque) chaque année, Cannes bat son plein, et fait déferler sur la Croisette des centaines de films plus ou moins attendus. Après une ouverture sensationnelle avec Annette, le festival dévoile un peu plus ses films chaque jour. L'heure pour nous de vous livrer notre avis à chaud sur La Fracture, plongée au coeur du système hospitalier français et des tourments d'une société malade.

"Bordel, qu'est-ce qu'ils vont dire du film ?"

De quoi ça parle ? Un couple lesbien au bord de la rupture se retrouve aux urgences d'un hôpital parisien débordé après une journée agitée par les manifestations des Gilets Jaunes. Julie et Raf vont alors faire la rencontre de l'un d'eux, Yann, faisant exploser les préjugés, au coeur d'une nuit qui va dégénérer.

Une société bouche-bée

C’était comment ? Bien mieux que ce qu'on en espérait. Une bonne partie des films surfant sur les sujets d'actualité, pour tenter de décrire la société telle qu'elle s'établit à un instant t, ont eu la fâcheuse tendance à vite tomber dans le moralisateur (navré au président Spike Lee, mais on pense à lui, entre bien d'autres, avec BlacKkKlansman). Le long-métrage de Catherine Corsini était donc risqué et scruté de près, elle qui avait reconquis le coeur de la critique française avec ses deux derniers films, deux films d'époque La belle saison et Un amour impossible, loin des réflexions aussi ancrées dans les esprits d'aujourd'hui.

Et force est de constater que la réalisatrice parvient parfaitement à capter la dégénérescence de la société française de 2020-21 à travers La Fracture sans jamais tomber dans une forme de sermon qui l'aurait mené à sa perte. Comment ? Grâce surtout à un scénario d'une belle efficacité, co-écrit avec Agnès Feuvre (également co-scénariste des excellents Médecin de nuit et Diamant noir), jonglant habilement entre la comédie sociale et le drame humain.

Une confrontation 

La mise en scène étant souvent plus classique, même si très immersive et oppressive avec le quasi-huis clos, c'est le scénario qui crée toute la dynamique du film. Certes, il contient probablement trop de sous-intrigues (pour surligner un peu trop grossièrement le trop-plein de tout), mais il permet de faire monter la tension, de la désamorcer aussi (le film est très drôle malgré le sujet) avant de pousser les personnages au bord d'un gouffre qui semble de plus en plus inévitable.

La Fracture plonge ainsi le spectateur au coeur du système hospitalier français malade (un peu à la manière de l'excellente série Hippocrate), mais il gravite aussi autour de la colère des Gilets Jaunes. Le moyen de dépeindre la société dans son entièreté, à travers des personnages de tout horizon : les "bourgeoises" Marina Foïs et Valeria Bruni Tedeschi, le camionneur Pio Marmaï ou la jeune infirmière Aissatou Diallo Sagna (révélation).

Un personnel hospitalier livré à lui-même

Une vraie diversité (disparité ?) qui permet de mêler les classes, les convictions et finalement de dépasser les préjugés pour mieux questionner les désirs, les besoins et les points de vue de chacun. Le film manque évidemment de subtilité, mais peu importe puisque La Fracture est un cri d'alerte, inquiet de voir un système oublier tant de ses membres, être aussi déconnecté de la réalité, semblant même incapable de se guérir s'il continue dans cette direction ou persiste à détourner le regard. 

La polémique inutile que subit le long-métrage sur les propos dits violents, mais surtout détournés de Pio Marmai (l'acteur ne veut pas péter la gueule de Macron, son personnage en revanche oui) en est d'ailleurs l'illustration assez triste. Comme la preuve cocasse que certains préfèrent bel et bien créer de faux problèmes (et continuer à diviser) pour mieux éviter de régler ceux bien réels, qui minent le quotidien d'une part croissante de la population.

Et ça sort quand ? Le film n'a pas encore de date de sortie en France. Distribué par Le Pacte, il devrait sûrement sortir avant la fin de l'année 2021, vu son potentiel évident pour la prochaine cérémonie des César.