Le sulfureux Abel Ferrara a des choses à dire sur la culture du boycott

La Rédaction | 29 juin 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 29 juin 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Réalisateur majeur de la fin du XXe siècle, Abel Ferrara est revenu sur la notion de cancel culture, alors que de nombreux artistes sont pointés du doigt. 

L’avènement des réseaux sociaux, l’emballement qu’ils permettent, l’instantanéité qui va de pair avec leurs usages, mais aussi des changements de mœurs ainsi que des débats profonds ont secoué les sociétés occidentales, et logiquement leurs industries du divertissement. De #MeToo à #BlackLivesMatter, la représentation des minorités et leur inclusion ont agité citoyens, commentateurs et artistes. 

Parallèlement, de nouvelles revendications se sont faites jour, dont la “cancel culture”, ou le désir de certains de voir des personnalités publiques être mises au ban de leur domaine d’activité, au nom de leurs actes, prises de position ou éventuels délits passés. Une question complexe, perçue par les uns comme une légitime exigence démocratique, et comme une forme de tribunal populaire liberticide par les autres. Ces boycotts, naissant généralement en ligne avant d'être potentiellement repris par les acteurs de l'industrie, ont été de plus en plus fréquents au cours de ces dernières années, comme en témoigne le fait que Woody Allen ne puisse plus désormais tourner aux Etats-Unis.

Interrogé par le Hollywood Reporter, le réalisateur Abel Ferrara est revenu sur ces vastes sujets. Metteur en scène sulfureux, dont L'Ange de la vengeance, Bad Lieutenant et autres The King of New York ont infligé de beaux uppercuts au cinéma nord-américain, l’artiste a dévoilé un positionnement assez éloigné des lignes partisanes classiques. 

 

Photo Harvey Keitel, Bad Lieutenant"Bon, mais du coup, je suis pardonné, c'est bon ?"

 

“J’ai trois filles. Je sais quelle est leur vie dans le monde qui est le nôtre. C’est dur. Et puis deux de mes filles sont noires, c’est encore plus dur pour elles, ce qui me brise le cœur. Je passais mon temps à me demander, quand est-ce que va surgir un mouvement féminin ? Et puis, ces quatre dernières années, il a émergé avec puissance. C’est comme celui qui a jailli le mois dernier, permettant la reconnaissance de ce que signifie vraiment être noir aux États-Unis.” 

Questionné sur la cancel culture, il ne cache pas son trouble quant à ce mouvement parfois passablement brutal, mais rappelle qu’il ne sort pas de nulle part et mérite peut-être plus de réflexion de la part de ceux qui y voient une menace totalitaire contre la création ou les auteurs : 

“Concernant le fait d’être “cancel”, je ne sais pas bien quoi vous dire. Le terme est effrayant. Comme si vous étiez effacé, éliminé... Mais nos actions nous déterminent, et on doit en répondre. De plus, c’est quelque chose qui peut être surmonté. On peut se montrer à la hauteur des enjeux, ce n’est pas une exécution en réalité. 

 

photo, The King of New YorkChristopher Walken, un des personnages les plus ambigus et complexes de Ferrara

 

Un peu comme les citoyens en prison. Ils ne sont pas morts. Il faut donc que les intéressés essaient de faire amende honorable, reconnaissent leurs actes et qui sont leurs victimes. C’est tout. En ce moment, tout évolue très vite... J’espère que tout ce qui s’est déroulé durant le mois qui vient de s’écouler entraînera de grands changements.” 

Une volonté d’apaisement plutôt raisonnable, à l’heure où s’échangent les noms d’oiseaux entre soi-disant hygiénistes et soi-disant défenseurs du vieux monde. Et comme le souligne Ferrara, cette culture du boycott ne saurait être dérite comme une sorte d'inquisition toute puissante. Justement, la situation de Woody Allen en témoigne également de la dimension relative de ces boycotts ou "annulations". Le réalisateur New Yorkais, s'il est désormais considéré comme trop "problématique" aux Etats-Unis, n'en continue pas moins de tourner en Europe, et si la sortie de son autobiographie a provoqué des remous et connu un changement d'éditeur, cette dernière n'en a pas moins été publiée internationalement.

 

photo, L'Ange de la vengeanceUne certaine idée de l'annulation

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
rocco l'asticot
30/06/2020 à 14:39

y'a qu'a voir la mise à mort totalement injustifiée de Johnny Depp pour se rendre compte que cette "cancel culture" est immonde.
Imaginez que quelqu'un soit fragile et en vienne à se suicider suite à cette acharnement médiatique injustifié…

Guy Liguili
30/06/2020 à 10:12

Le risque est que, pour prendre le cas de Woody Allen, l'on condamne des innocents accusés pour assouvir une vengeance personnelle. Rappelons qu'à la rupture avec Mia Farrow, suite aux accusations d'attouchements sexuels sur sa fille adoptive, 2 enquêtes ont été menées et que les conclusions en sont qu'il est quasiment certain que Woody Allen n'a jamais abusé de Dylan Farrow, d'une part et que, d'autre part, cette dernière ait été manipulée et harcelée par Mia Farrow pour faire de fausses déclarations accusant Woody Allen.

ooof
29/06/2020 à 21:25

Volonté d'apaisement raisonnable, c'est bien, mais raisonner la twittosphère fébrile c'est mieux. Dernier exemple en date, une cadre qui travaillait chez Mixer (dont les jours entourant l'annonce de la revente ont été un gigantesque bazar sur twitter justement) a fait une comparaison stupide entre des streamers et des esclaves... a été citée par une ex employée en plein #blacklivesmatter... Vlà ty pas que les premiers tweets sur le sujet était des requêtes de licenciement de cette personne, puis ensuite placardage de Linkedin mug shot sur twitter pour bien rappeler que cette personne que vous ne connaissez pas est fondamentalement raciste et ne mérite que du twitter-shaming, et qu'internet n'oublie pas (n'est-ce pas James Gunn, tu t'en est bien sorti veinard).
C'est sans doute surmontable, mais comme dit plus haut, Internet n'oublie pas. C'est temporaire parce que c'est sur twitter, demain il y aura plein de nouveaux hashtags à ne pas manquer, le précédent sera enterré sous le bruit renouvelé. Et puis il ressortira par un internaute consciencieux et surtout "woke", 10, 25 ans plus tard, complètement hors son époque vu la vitesse où le politiquement correct évolue, et ça recommencera, et les concernés seront de nouveau sous le feu. Les peines de prisons s'accumulent en cas de récidive, ce ne sont par définition que des peines temporaires, dont le jugement a été rendu et qui ne s'auto-réactivent pas. Et surtout, surtout en fonction de lois mûrement réfléchies, modifiées, pesées pour et contre, décidées en assemblées préférablement élues et validées condition sine qua none par une publication écrite et publique dont les mots utilisés sont la loi, et pas leur synonymes.
Le droit à l'oubli dans le dossier médical devra un jour être suivi par le droit à l'oubli en ligne.
Sans blague, si les sanctions sont prises sur twitter, à quoi sert la justice ? Celle-ci n'est certes pas toute puissante, spécialement dans les cas d'agression sexuelle où c'est souvent la parole des victimes contre celles des accusés. Mais la cancel culture est tellement plus facile et expéditive que ça devient le nouveau standard. Tout ce qui arrive à l'accusé est de sa faute, il n'avait pas qu'à. Fi du point de vue, fi de la défense, fi de l'accusé et de son ignominie certaine, du présent faisons table rase.

Simon Riaux
29/06/2020 à 14:19

@RobinDesBois

Son raisonnement serait plutôt de dire que les réactions comme la cancel culture ne peuvent être considérés comme des tribunaux populaires, et constituent plutôt un retour de flammes limité et temporaire.

On peut être en désaccord total avec son analyse, elle n'en devient pas pour autant validation du concept de tribunal populaire.

RobinDesBois
29/06/2020 à 14:15

" "Un peu comme les citoyens en prison. Ils ne sont pas morts. Il faut donc que les intéressés essaient de faire amende honorable, reconnaissent leurs actes et qui sont leurs victimes. C’est tout. En ce moment, tout évolue très vite... J’espère que tout ce qui s’est déroulé durant le mois qui vient de s’écouler entraînera de grands changements.”

Une volonté d’apaisement plutôt raisonnable, "

Raisonnable ? Il valide ni plus ni moins la justice et les tribunaux populaires. C'est plutôt effrayant, je le pensais largement au dessus de ça.

Mwaiman
29/06/2020 à 13:49

Moi y'a un truc important qui m'échappe dans toute la couverture des médias sur ce sujet, c'est qu'on ne voit toujours pas de changement sur la couverture médiatique des dom-tom, rien de visible sur les écrans visible des dom-tom, on a des amérindiens, on l'oubli souvent on se demande pourquoi, on a même des polynésiens et des "abos" en calédo, y'a tous les anciens esclaves des îles ... Y'a pas un changement dans les médias comme s'ils n'existaient pas, en même temps on entend même pas parler de manifs dans les dom-tom pour demander qqe chose ...
Et quand un média genre france inter embauche une minorité soit il vient directement d'afrique (perso pour moi je le vois comme une insulte), soit celui ci fini par dire qu'il est un ancien délinquant comme leïa sur france inter où on s'est tapé à chaque émission son intro où elle disait resquiller sa place aux spectacles ...

M1pats
29/06/2020 à 13:30

Abel Ferrara j adore ce mec

Maski mask
29/06/2020 à 12:47

Woody Allen ne puisse plus désormais tourner aux "Etats-Unis"