Entretien avec Noémie Lvovsky et Samir Guesmi

Perrine Quennesson | 12 septembre 2012
Perrine Quennesson | 12 septembre 2012

Il est 10h30 quand Noémie Lvovsky et Samir Guesmi rentrent dans cette chambre du Royal Monceau pour parler de Camille Redouble. Immédiatement, elle annonce « moi je fume ». Ça tombe bien, les autres aussi. Interview coffee & cigarettes.

 

Un retour en arrière ?

Noémie Lvovsky : Je crois que cette idée est venue de questions que je me pose depuis très longtemps, depuis mon adolescence voire depuis mon enfance. Et j'ai grandi et elles restent intactes. Et ces questions, c'est « est-ce que le temps nous change au point de nous faire devenir une autre personne ou est-ce qu'il reste en nous une part d'irréductible ? » et « est-ce que cette part d'irréductible existe en amour, en amitié et qu'est-ce que ces périodes de la vie où on a tous les âges ? ». Et quand je me suis rendue compte que j'avais vraiment besoin de parler de ça, je me suis dit « mais comment prendre ces questions de façon frontale, concrète ? » et quand le mot « concret » est arrivé, le voyage dans le temps m'a semblé être la chose la plus concrète.

Justement, est-ce que le fait que vous jouiez Camille aux deux âges symbolise le fait que nous avons tous les âges toute notre vie ?

NL : Oui, avant de commencer à écrire, je ne savais pas qui allait jouer, car je ne sais pas écrire en pensant à des acteurs, en revanche je savais que ce serait les mêmes acteurs qui joueraient les deux âges. Sinon je ne faisais pas le film, ça n'avait pas de sens.

 

Mais ce sujet de l'âge parcourt un peu tous vos films ?

NL : Oui, oui je suis très obsédée par ces histoires d'âge. Ça dépend des périodes de la vie mais je pense qu'on est comme des troncs d'arbre coupés où l'on verrait toutes les strates d'âges et où il y aurait même les âges que l'on n'a pas encore eus.

Auriez-vous pu faire ce film plus jeune ?

NL : Non, je ne pense pas que j'aurais pu.

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez eu le scénario entre les mains ?

Samir Guesmi : Du plaisir ! C'est truculent à lire, c'est très drôle. Puis vite de la trouille. Pour toutes ces questions d'âges. Car c'est quelque chose qui nous concerne mais en même temps c'est l'inconnu total.

NL : Non mais - désolée, je t'interromps - c'était vachement particulier pour Samir parce que lorsqu'il joue Eric à 17 ans, celui-ci n'est pas au courant qu'il y a eu un voyage dans le temps. Il a 17 ans et c'est tout.

SG : Oui, il n'y a pas de recul.

 

Lorsque l'on regarde Camille redouble, on ne peut s'empêcher de penser à Peggy Sue s'est mariée de Francis Ford Coppola. Dans quelle mesure ce film a-t-il influencé le vôtre ?

NL : Peggy Sue, je me suis interdite de le revoir pendant toute l'écriture, le tournage, le montage du film parce que j'avais peur d'être un peu écrasée. Mais j'y ai pensé bien sûr. Avant de commencer à écrire, je me suis dit « il y a un voyage dans le temps, les personnages seront joués par les mêmes acteurs » donc j'y ai pensé mais je me suis dis aussi que j'avais des choses très personnelles à raconter et que, donc, ce serait forcément très différent de Peggy Sue. Et je n'ai pas seulement pensé à ce film-là mais aussi à d'autres de Coppola, qui lui aussi est très intéressé par ces histoires d'âge. Par comment passer d'un âge à l'autre. Il y a Peggy Sue mais il y a aussi Jack, L'homme sans âge et même dans Rusty James et Outsiders. Dans Outsiders, le personnage principal ne peut pas grandir. Jack, par exemple, je ne l'avais pas vu depuis sa sortie en 1996, je l'ai revu quand Camille a été fini et c'est comme s'il y avait une scène que j'avais reprise directement. Elle n'est pas montée dans Camille redouble, mais il y a une scène où Camille est sur une poutre et elle cherche son équilibre et dans Jack, il y a une scène où Robin Williams est sur un rebord de pelouse et il cherche, lui aussi, son équilibre. Je ne savais pas que je m'en souvenais. D'ailleurs, je ne m'en souvenais pas. Mais cela montre que les films importants font leur travail en nous.

Comment on est quand on joue un gars de 17 ans ?

SG : C'était un dépouillement. A la fois, je me sentais très proche de ces 17 ans et à la fois, j'étais extrêmement loin. Au fur et à mesure, je me suis aperçu qu'il n'y avait pas de prototype de jeune de 17 ans : tu observes les ados, tu t'en fais une image mais finalement tu te rends compte qu'il n'y a rien à faire. Il faut juste être dispo. Être un gamin de 17 ans, ça ne veut rien dire, il y en a de toutes sortes. Au début, je me disais qu'ils étaient hyper innocents puis j'en voyais dans la rue qui étaient particulièrement taciturnes. C'était assez compliqué, complexe, ce que j'aime quoi. Mais ce n'était pas particulièrement agréable d'avoir à nouveau 17 ans, c'est finalement un rendez-vous avec un état, euh, enfin je suis bien content d'en être sorti.

C'est un âge où l'on peut passer d'un état à l'autre dans la même heure...

SG : Ouais, sans filtre, à vif. Il fallait être dépouillé, réceptif à tout et ça je l'ai compris un peu tard. Et c'est peut-être ça l'adolescence, car après avec le temps, on se barricade, on se planque. Et 17 ans, c'est peut-être ça : être une espèce d'émotion ambulante. Et ça c'était assez éprouvant.

 

Vous avez observé des jeunes actuels mais avez-vous fait un retour sur vous ?

SG : Oui, je l'ai compris après. Il fallait que j'aille me chercher à 17 ans. Souviens-toi - il regarde Noémie - tu me disais « Eric, c'est toi, c'est toi ! ». 

NL : On se connaissait un peu d'avant et j'avais vu son court-métrage qui est magnifique - il sourit, gêné - si, vraiment magnifique. Et en faisant le casting, je me demandais quel âge devait avoir Eric, 30-35 ou plutôt 40 ?, et quand j'ai vu Samir - pardon, je dis ça devant toi - je l'ai vu. Et même là, je le vois à 17 ans. Dans le regard et même dans la voix, dans ta façon de parler, de commencer tes phrases. Par exemple, tout à l'heure vous lui avez posé une question, il a commencé à répondre en rigolant, il a fait « ugh, euheuh » (elle imite un rire d'adolescent qui mue) comme si tout pouvait être impudique. Tout à l'heure, tu parlais d'être à nu, mais il y a ça chez toi, c'est naturel. Dans ton sourire, ou ta façon de bouger les bras comme pour cacher ta nudité, parce qu'elle est là.

Et vous vous êtes autocastée dans le rôle principal ?

NL : Non, je ne me suis pas castée. J'aurais été incapable de me proposer le rôle à moi-même. Pas par modestie mais parce que depuis que je joue, c'est arrivé tard par hasard, j'ai besoin de jouer pour quelqu'un, pour une personne qui m'a désirée dans ce rôle. Et je ne pouvais pas me désirer moi-même, ça aurait donné une fausse note. Je m'apprêtais donc à rencontrer des comédiennes en me posant toujours ces questions d'âges. Le producteur Jean-Louis Livi, lui, avait la certitude que je devais jouer le rôle et il a insisté avec beaucoup d'acharnement et de douceur. Il m'a demandé de faire des essais, dans lesquels je n'étais pas bonne du tout, puis il m'a redemandé. Je n'étais toujours pas bonne mais j'avais beaucoup de plaisir à essayer même plus que ça, j‘étais comme réveillée. Puis il m'a proposé de faire des essais en conditions de tournage, c'est rare, avec lumière, caméra, maquillage, costumes, et ces conditions donnent une espèce d'énergie, d'élan. Donc c'était moins naze. Et ça faisait plusieurs mois que je n'arrivais pas dire oui ou non et Jean-Louis a compris que je ne pouvais pas lui donner de réponse alors il m'a dit « bon allez, vous faites le rôle et on n'en parle plus. Mettez-vous au travail. ».

Et ce dédoublement de fonction n'a pas été trop difficile à gérer ?

NL : Il a servi Camille. Elle le vit tout le temps. Puisqu'elle vit l'instant et en même temps prend du recul en se demandant si elle l'a déjà vécu. Mais non, je ne me suis pas sentie dédoublée. Je n'allais pas vraiment regarder au combo, je ne vérifiais pas tellement car je travaille avec Jean-Marc Fabre et son équipe depuis longtemps, on a commencé ensemble il y a 20-25 ans. Je sens ce qui se passe au cadre sans avoir besoin de regarder à la caméra. Même quand je ne jouais pas, j'étais à côté de Jean-Marc et je savais ce qu'il y avait au cadre. Donc c'était une autre façon de travailler mais je ne me disais pas que c'était schizo.

Et vous ? Avez-vous ressenti un décalage par rapport à son double rôle ?

SG : Oui, on veut la ménager. Parce que moi j'ai tendance à poser 740 questions à la minute et, à la fois, elles sont toujours là mais il faut inventer le rapport qui est plus ou moins simple. Et c'était tellement emmêlé entre Eric et Camille que par moment, il y avait 740 questions mais il n'y avait pas nécessairement 740 réponses à avoir. C'était au jour le jour. On l'a intégré assez vite. Et puis, c'est compliqué de dire ça devant Noémie, mais il y a eu une rencontre. Oui, une rencontre. J'ai un souvenir que dans le jeu, il y avait quelque chose d'assez évident, très famille mais bon, ça à l'air galvaudé de dire ça. Je ne sais pas, une complicité... dense.

NL : Moi, je me souviens des premier et deuxième essais qu'on avait faits. On était à genoux et Samir me récitait la déclaration d'amour. J'ai oublié qu'on faisait des essais, qu'on était en train de jouer et ça m'est vraiment parvenu et d'autant mieux que je jouais avec lui. Il me disait ces mots-là comme un tout jeune homme qui sens que la vie peut devenir une catastrophe mais qui a une réelle aspiration au bonheur, à l'amour, au partage. Et c'était chez moi, à genoux, sur un tapis genre, ploum, face à face : c'était très impressionnant pour moi ces essais.

 

On sent une forte implication personnelle dans le travail avec les acteurs mais aussi dans l'écriture. Comme ce choix des Amoureux de Goldoni que Camille et Eric jouent...

NL : Camille lutte pour ne pas retomber amoureuse de lui et, bien sûr, ça ne dépend pas de sa volonté et elle retombe sous son charme. Je me demandais à quel endroit et dans quelle situation, elle allait arrêter de lutter et je me suis dit qu'il fallait que ce soit un moment de jeu. J'ai choisi une pièce de théâtre mais ça aurait pu être une partie de poker ou de ce jeu génial, le Time's up, ou encore un sport collectif. A ce moment-là, on se révèle, on laisse tomber le masque de la position sociale, on ne se demande plus ce que les autres pensent de nous, il n'y a pas la place pour ça. Et la pièce de Goldoni a des échanges assez rapides que je trouvais bien pour le rythme de la scène. Puis il y a des choses dans Les Amoureux qui font écho à leur histoire.
Et il se trouve aussi qu'à 15 ans, quand j'ai décidé que jamais de ma vie je serai comédienne, que je ne voulais plus entendre parler de ce métier, que j'allais devenir folle, j'ai passé une audition pour un cours de théâtre avec une scène de cette pièce. Et on m'avait fait des réflexions épouvantables, notamment sur une question d'âge, comme quoi j'étais trop vieille pour jouer les jeunes premières, pas assez pour jouer les confidentes et que j'étais trop grosse. Mais ça c'est la dernière raison pour laquelle j'ai choisi cette pièce.

Mais maintenant, vous prenez de plus en plus de plaisir à jouer quand on voit votre filmographie ?

NL : Mais j'en ai eu tout de suite, du plaisir à jouer. Elle sourit.

On nous fait signe que c'est fini. Ecrasement de cigarettes. Rideau. 

 

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