Nicolas Boukhrief (Gardiens de l'ordre)

Damien Tastevin | 11 avril 2010
Damien Tastevin | 11 avril 2010

Polar, troisième ! Après Le convoyeur et Cortex, Nicolas Boukhrief persiste et signe dans un genre, qu'il aime, qu'il maîtrise, qu'il décline. Quels ont été ses choix, ses influences et comment place-t-il ses Gardiens de l'ordre par rapport à ses autres films ? Des questions intéressantes (c'est lui qui le dit) pour des réponses passionnantes (là c'est nous).

Gardiens de l'ordre se place au-dessus de Cortex mais en-dessous du Convoyeur en quelque sorte ?

Mieux que Cortex mais moins bien que Le convoyeur dites-vous. C'est vous qui choisissez. Il y a une chose qui est certaine c'est que je crois que Le convoyeur va être un film qui va me suivre toute ma vie. Lorsqu'il est sorti, il n'a pas eu une presse dithyrambique, il a fait un petit score de 500 00 entrées qui était très bien sans être un carton. Et puis, de fil en aiguille, il a été diffusé sur Canal+, sur le câble, c'est un film qui a une côte très forte. Je n'ai jamais revu le film donc je ne peux pas savoir pourquoi. Je crois que ça va être, sans vouloir me comparer à ces metteurs en scène, un peu comme Buffet froid pour Blier ou Série noire pour Corneau, un film que certains appelleront mon meilleur. Corneau a quand même fait depuis un nombre incalculable de film dont plusieurs sont somptueux mais la plupart des gens restent sur Série noire. Mais je suis ravi que les gens aiment un de mes films et qu'il sert de référence. Je suis content pour Dussolier, pour Dupontel pour Bérleant, pour Boisselier, pour Aure Atika, ça prouve qu'ils ont performés de telle façon que les gens aient beaucoup aimé. Je pense qu'il y a un effet de surprise qui a joué sur Le convoyeur. J'avais fait un premier film qui était complètement passé inaperçu, un second film qui a été un désastre critique et public. Donc je pense que je n'étais pas du tout le genre de type qu'on pensait capable de faire un polar de genre aussi rigoureux, aussi respectueux du genre. Il y a eu un effet de surprise qui ne se produira plus jamais puisque maintenant je suis le gars qui a fait Le convoyeur. Vous trouvez celui-là moins bien que Le convoyeur mais mieux que Cortex ? Je suis déjà ravi que vous trouviez ça mieux que Cortex. C'est variable, ça dépend la nature de chacun. Quand je commençais à travailler sur le genre, je commençais à réfléchir au public auquel je m'adressais. Quand on a Dupontel en tête de proue, il est clair que le film, par l'énergie de l'acteur, peut aller sur des franges assez lointaines, assez fortes, assez puissantes voire violentes. Il est impressionnant quand même Albert. Quand j'ai fait Cortex, je savais très bien que ça n'allait pas forcément intéresser ceux qui avaient aimé Le convoyeur. Mais quand je fais Cortex, je pense à Dussolier et je pense à son public donc je me dis que c'est plutôt les gens qui ont son âge qui vont aller voir le film. Des tas de jeunes gens se sont intéressé au Convoyeur mais peut-être pour des intérêts plus cinéphiliques. Je me suis dit que je ne pouvais pousser ce film dans l'ultra violence. Le film se passe dans une maison de retraite, avec des patients atteints de l'Alzheimer, c'est déjà assez violent en soi. Si je poussais le film dans un côté Dario Argento, avec des scènes de meurtres rituelles, ça aurait été un film très triste. J'aurais cherché à rester dans la même veine que  Le convoyeur, c'est-à-dire un cinéma plus rock'n'roll. Ce sont des films qui se prêtent aux audiences qui vont aller les voir. Gardiens de l'ordre aussi, Cécile de France n'est pas coutumière à ce type de film à part pour Haute tension. Il y a des gens qui viennent voir ce film pour Cécile parce qu'elle a son fan club. Le SAV c'est pareil, il y a des gens qui aiment beaucoup Fred et qui viennent par curiosité, je ne peux pas leur donner un film aussi âpre et agressif que  Le convoyeur. Ce ne serait pas une bonne façon de les ouvrir au genre, ce serait une façon de les agresser et ce serait un peu manipulateur par rapport à Cécile et Fred. Le prochain par exemple va être, si Dieu lui prête vie, un film de voyou un peu plus proche du Convoyeur. Sur Gardiens de l'ordre c'est la même chose, si je fais un film qui va trop loin, ça devient un film presque pro-flic. Ce n'est pas le but du jeu. Je voulais faire une histoire d'amour qui se crée dans l'action donc si j'allais trop loin dans le truc des flics avec l'énergie du Convoyeur, ça ne devient pas des héros, ça devient des surhommes et de mon point de vue, le film serait réactionnaire.

Les personnages sont taillés assez rapidement et évoluent moins que dans des films américains du même genre ?

J'écris sans trop réfléchir car si j'attends l'idée qui va faire le chef d'œuvre je risque de ne pas tourner. Il ya de grands cinéastes qui ont ralenti leur productions juste parce qu'ils voulaient faire un film aussi important que leurs précédents. Je préfère Chabrol, si je pouvais avoir la même implication, le même engagement, la même liberté que Chabrol dans son travail, je serais très heureux. Tourner, tourner, tourner. Si tant est qu'il y a des films qui restent, ce n'est pas à nous de le savoir, on verra plus tard. Ce que je voulais c'est que le film soit assez classique, les gentils contre les méchants, assez western finalement, que l'évolution se fasse surtout sur les deux personnages principaux. Pour moi, on remarque que si Julie ne fait pas attention elle va finir vieille fille. Et Simon, c'est une espèce de célibataire endurci, ça se sent rien qu'à la façon dont il clope. Cette histoire va faire qu'ils se rencontrent et elle, qui était plutôt droite dans se bottes, va finir sur un mur de flammes, les cheveux ébouriffés. Elle va accéder à sa féminité, je ne parle que en termes esthétiques, je n'ai pas grand chose à dire sur l'évolution. Et lui au départ qui est une espèce de chien fou un peu borderline qui va finir assez héroïsé. C'est juste ça l'évolution dont je voulais traiter. C'est l'histoire d'amour de jeunes gens, sans trop psychologie parce que c'est simplement la création d'un jeune couple. Le personnage de Julien Boisselier arrive comme l'amant potentiel, il y avait donc l'idée d'un trio amoureux mais complètement caché par l'histoire policière. Je voulais que ce soit sentimental, que ça envoie de bonnes "vibes" au public plutôt jeune qui va aller voir ce film. Leur dire que le couple est une valeur dans un monde chaotique. Quand ma fille de vingt ans a vu le film elle a vachement marché parce qu'à 20 ans, tu te lances dans le monde du travail. Tu as d'un côté la loi et l'ordre, la hiérarchie "tu joues le jeu sinon on t'éclate la tête" et de l'autre, le grand chaos libéral où il n'y a plus de morale et pour gagner de l'argent on peut même vendre de la drogue. Cette notion amoureuse au milieu est la valeur sûre.

A quel point le film est-il inspiré de Police Fédérale, Los Angeles et de Rush ?

Rush j'y ai pensé, c'est un film que j'ai vu il y a très longtemps dont je ne me souviens pas mais j'y ai pensé en antithèse. J'avais vraiment beaucoup aimé. Je me souviens du méchant avec un appareil d'asthmatique qui faisait très peur et je me suis dit que si je prenais une actrice comme Jennifer Jason Leigh, ça allait devenir un film sur la drogue. Justement parce que j'ai pris des acteurs différents, c'était l'antithèse. Mais je me souvenais qu'un des personnages, sinon les deux, devenait junkie de par leur enquête. Du coup, ça m'a enlevé cette idée du scénario, sinon je refaisais Rush. Je n'ai pas beaucoup pensé à Police Fédérale, Los Angeles parce que je n'ai pas trop réfléchi en termes de "buddy movie". A moins de faire des héros gays et de me rapprocher de L'arme fatale, j'ai plutôt réfléchi par rapport à Sailor et Lula et surtout Gun crazy. C'est une série B des années 60 en noir et blanc de Joseph Lewis, l'histoire de deux tireurs de cirque qui deviennent des hors la loi, un film de couple où seul l'action crée la relation sentimentale entre deux personnages principaux. Après Police fédérale il y a des points communs mais c'est une référence inconsciente notamment la fin avec les flammes. Mais je ne suis pas fou, je sais que je ne peux pas faire aussi bien, je refuse les références directes parce qu'on fera forcément moins bien. Je serais un nain à côté de Friedkin. Je pense que ça aurait été une grosse connerie de le penser en référence directe.

C'est dommage de ne pas avoir fait durer le plan sur les flammes plus longtemps ?

J'essaie à chaque fois de travailler sur la caractérisation, je n'ai pas l'impression que je peux faire durer le spectaculaire pour le spectaculaire. Le plan est peut-être beau mais je me dis que c'est Cécile qui est en flammes, donc je resserre sur son visage car c'est vraiment elle qui est en flammes. La question de faire durer ce plan, on se l'est posée au montage. Elles sont intéressantes vos questions. Si je fais durer ce plan c'est pour le spectaculaire et je serais toujours moins spectaculaire que Carrie pour parler de jeunes femmes sur fond de flammes. Je vais faire quoi quand Boisselier est sur fond de flammes, je vais faire exploser le labo ? Je préfère que vous trouviez trop court plutôt que trop long.

La scène d'amour aurait pu être plus animale peut-être ?

Je me suis demandé si j'allais faire une scène de sexe. D'abord je trouve que ça vieillit beaucoup dans les films donc j'aurais eu peur de la faire. Même dans Terminator qui était un film extraordinaire, la scène d'amour emblématique est bien mais elle est très marquée par l'époque. Je pense que si je fais une scène d'amour, je serais victime des clichés de mon temps, de la pub. Je ne la sentais pas. Ensuite je voulais que l'intrigue soit toujours dans l'action policière. Les personnages ne m'intéressent que lorsqu'ils sont gardiens de l'ordre, toujours au service de l'enquête or la scène où ils font l'amour ça n'a plus rien avoir avec l'histoire policière. Il franchit le truc, il l'embarque et ça les regarde. Les scènes de sexe au cinéma on en voit beaucoup mais chaque fois que je me trouve à écrire des scénarios je me pose des questions. Combien de temps ils font l'amour ? Comment ils se prennent ? Ils jouissent ensemble ? Elle jouit avant ? Il jouit avant ? Si on fait une scène de sexe, il faut gérer le climax érotique, il y a des tas de questions à se poser. Si je les filme au réveil, il faut que je raconte quelque chose. Je trouve que ça aurait été comme une parenthèse, comme une coupure pub d'un autre film. Filmer le sexe c'est toujours en rapport à ses propres fantasmes et je n'en avais pas sur eux deux. C'était trop compliqué pour moi, j'avais peur d'être victime de la mode, d'être un peu fake. Ce film est juste sur une base d'histoire romanesque et romantique de polar. Mais je peux comprendre qu'elle manque.

André Dussolier a dit qu'au cinéma, il y avait le script qu'on lit, le script qu'on tourne et le script qu'on monte et qu'ils n'avaient parfois rien à voir les uns avec les autres. Que pensez-vous de cela par rapport à votre film ?

Ca dépend du budget. En l'occurrence sur ce film-là ça a été sec. Sylvie Pialat produit bien ses films mais comme le polar ne génère pas toujours des chaînons clairs, comme on avait pas ni TFI ni France 2 le budget était réduit. Il m'est arrivé la même chose que sur Le convoyeur c'est-à-dire que le film qui a été tourné était le film qui a été écrit. Il était beaucoup plus long au départ, on voyait les méchants qui braquaient un fourgon, on les voyait construire le labo, fabriquer les drogues. Mais sans argent il faut commencer à aller à l'essentiel et à l'arrivée le film qui est monté, c'est le film qui a été tourné et écrit avant ça. Le convoyeur, c'était la même chose, j'ai coupé six plans. Là j'ai coupé huit plans, c'est-à-dire deux séquences. Ces plans n'ont pas d'intérêt c'est pour ça qu'ils ne se trouvent pas sur le DVD.

Gardiens de l'ordre est un peu dans le même genre qu'Une affaire d'état d'Eric Valette, ça vise un peu le même public ?

En France le genre roi est la comédie. Aucun polar n'a jamais fait et ne fera je pense jamais le score des Cht'is. Faire du polar en France c'est toujours tenter le coup, de voir jusqu'où ça peut passer. Après on ne va pas s'inventer metteur en scène de comédie, j'en ai écrit deux dans ma vie mais ça n'a pas passé. Je ne dois pas avoir le bon sens de l'humour. J'ai trouvé qu'Une affaire d'état était un vrai film d'action populaire, un vrai film de genre assumé comme tel. Je m'y suis beaucoup identifié, le film cherche juste à illustrer et à honorer le genre de la façon la plus travailleuse, rigoureuse et morale possible. J'ai aussi été très impressionné par Coco Chanel & Igor Stravinski, c'était somptueux.

Dernier bon film ?

A serious man des frères Coen, éblouissant et bouleversant. The ghostwriter de Polanski qui, à part Le pianiste, est le meilleur film de genre du réalisateur depuis très longtemps. Et Amer, j'ai adoré ce trip sensuel expérimental produit par mon meilleur figurant François Cognard.


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