Richard Berry (L'Immortel)

Didier Verdurand | 23 mars 2010
Didier Verdurand | 23 mars 2010

Et si la grande révélation de L'Immortel n'était autre que... Richard Berry ? Parmi les critiques, on ne comptait plus ceux qui allaient aux projections de presse avec de grosses réserves. Et pourtant. L'Immortel est un très bon film devant lequel on ne s'ennuie pas un seul instant, grâce à des comédiens formidables (on n'avait pas vu Jean Reno aussi bon depuis Le Grand bleu ou Léon !) et surtout une mise en scène rythmée au service d'un bon scénario alternant dramaturgie et action avec brio. Richard Berry rentre dans le club VIP des meilleurs réalisateurs français en activité et cela méritait bien une entrevue.

Pourquoi 5 ans entre L'Immortel et votre précédent film, La Boîte noire ?

Il y a eu un contre-temps. J'avais développé pendant 1 an ½ un scénario tiré du roman de Philippe Claudel, La Petite fille de Monsieur Linh et finalement, le film n'a pu se monter. Malheureusement, ça arrive. Du coup, il m'a fallu trouver un autre sujet et passer à nouveau 1 an ½ dessus avant d'obtenir le feu vert.


Pourquoi ne pas avoir fait un biopic sur Jacky Imbert, une célèbre figure du Milieu marseillais, plutôt que de s'inspirer de sa vie ?

Tout simplement parce que personne ne connaît sa vie ! Il n'a jamais rien raconté à personne et la seule chose qu'on sait précisément de lui, c'est ce fait divers au cours duquel il a pris 22 balles. C'est un vrai mutique et la justice n'a jamais rien prouvé alors il n'était pas question de faire un biopic.

Lui avez-vous fait lire le scénario, en avez-vous discuté lors de vos rencontres ?

Non, il s'en fout, ça ne le concerne pas. A partir du moment où ce n'est pas sa vie, il disait « Faites ce que vous voulez. » Au départ, il ne voulait même pas voir le film, c'est moi qui l'ai poussé.

Qu'en a-t-il pensé ?

Il l'a trouvé formidable. Il l'a regardé en simple spectateur et ce qu'il m'a dit, je l'ai entendu ailleurs. Notamment que c'était un film émouvant.

Les critiques sur Jean Reno sont particulièrement élogieuses, ce qui était plutôt rare ces derniers temps. Quel est votre secret pour obtenir de lui ce que tant de réalisateurs n'ont pas réussi à avoir ?

Quand un acteur joue devant un réalisateur-acteur, il met déjà la barre plus haut. C'est une règle générale. En plus, Jean et moi sommes amis depuis de nombreuses années, il y a une confiance et une complicité qui ont été particulièrement utiles. Il était totalement disponible, j'irai jusqu'à dire qu'il s'est abandonné à ma direction. J'étais dans la même démarche et nous avons travaillé toutes les phrases, je n'hésitais pas à le reprendre sur des mots. Nous avons avancé dans l'enthousiasme, jamais la réticence.

Y a-t-il eu une scène plus difficile que d'autres ?

Il y avait des enjeux parfois plus difficiles sur le plan émotionnel comme par exemple la scène où il est dans la voiture avec Marina Foïs, quand il lui demande de faire croire qu'il a été arrêté, pour sauver son fils. Là, c'est le père qui parle. Cette séquence m'a pris toute la journée. La scène où il menace de tout faire sauter avec une grenade n'était pas facile non plus, je voulais qu'il montre de la souffrance. C'est un homme bouleversé qui agit, pas un Terminator qui vient régler ses comptes. Il y avait une volonté chez lui comme chez moi de débrancher le pilotage automatique, nous sommes retournés à l'artisanat pur pour attaquer des scènes que nous avions déjà connues par le passé.


La technique est irréprochable. C'est un domaine qui vous passionne ?

Par-dessus tout. C'est un moteur qui me donne envie de faire des films. Moteur que j'arrive à pondérer par la conscience que j'ai que la technique n'est rien sans le fond. C'est pourquoi je travaille comme un fou sur mon scénario. Une fois que j'en suis satisfait, je sais que je vais pouvoir me consacrer à la technique. Il n'y a rien de plus beau quand le fond est dans la forme. Je ne veux pas qu'on dise : « C'est beau mais on s'en fout. »

Vous faites un story-board ?

Si ça tenait qu'à moi, je n'en ferais pas, parce que j'ai tout en tête. Mais on travaille en équipe et c'est le meilleur moyen pour montrer à des techniciens comment je veux découper une scène. Je fais des dessins très simples, des schémas,  je montre des photos à mon chef-déco, des peintures aussi, à mon chef-opérateur pour montrer des axes, des couleurs et des atmosphères. Je débute ce travail pensant que j'écris. J'utilise aussi des photos de grands photographes. Je fais énormément de photos, tous les jours, sans arrêt. Vous verrez cela dans les bonus du DVD et Blu-ray.  Pour certaines séquences, d'action surtout, je fais faire un storyboard par un spécialiste qui dessine bien mieux que moi. Au final nous travaillons sur plusieurs storyboards différents les uns des autres dans leur forme.

Le budget de 20 millions d'euros, l'un des plus gros de l'année pour une production française, n'a pas été trop dur à boucler ?

Quinze semaines de tournage, de nombreux décors, un gros casting, ça va vite... Ce n'était pas spécialement la partie difficile me concernant car ce n'est pas mon boulot. Chacun son rôle. (Large sourire) Mais nous avons eu la chance d'avoir des partenaires qui nous suivis en toute confiance, comme Canal + et TF1, et puis le film s'est très bien vendu à l'étranger. C'était une surprise de le vendre aussi bien sur promoreel - et ensuite sur le film fini. Il sortira quasiment dans le monde entier, il reste à dealer avec les Etats-Unis mais ça va se faire.

 


On sait justement que les américains ont souvent les yeux tournés sur notre cinéma. Vous pourriez vous laisser séduire par les sirènes hollywoodiennes ?

En fait, jes les ai déjà entendues après La Boîte noire. On m'a fait des propositions intéressantes mais qui privilégiaient la mise en scène au fond. Des films d'action, plutôt. Là, on me recontacte, les américains sont très avertis de tout et savent déjà que L'Immortel est bien accueilli. Ils le savaient avant même qu'on ne s'intéresse au film en France ! On verra bien... J'ai un projet en cours, monté en partie par la France, mais je ne veux pas en parler librement tant que je n'ai pas la confirmation des acteurs que je désire, qui sont de grosses stars.

Un remake de L'Immortel serait-il en préparation ?

La question se pose, oui.

Vous le réaliseriez ?

Non, je ne pense pas. Je préférerais faire un nouveau film ! En même temps, ce n'est pas inintéressant d'avoir déjà les ingrédients entre mes mains et les mettre en pratique avec des comédiens américains. Mais si c'est pour édulcorer tout l'aspect humain que j'ai développé, ce sera sans moi.

Qui verriez-vous à la place de Jean Reno ? De Niro ?

Ce n'est pas impossible, pourquoi pas. Ou Ray Liotta.

L'Immortel dure moins de 2 heures. Vous n'êtes pas tombé dans le piège de faire un film beaucoup plus long pour faire... genre, comme à Cannes par exemple ?

Je voulais éviter qu'on se fasse trop chier ! A Cannes, les films sont longs et si tu ne tires pas un peu sur l'élastique, tu n'as pas fait un bon film ! (Simulant un plaisir solitaire) Tous mes enchaînements sont écrits et il m'est très difficile de couper au montage. Pour moi, le cut raconte ce qui se passe entre la fin d'une scène et le début d'une autre, il doit susciter l'imaginaire du spectateur. On m'a souvent dit qu'il n'y avait pas de gras dans ce que j'écris, tout est réfléchi. C'est vrai, je le traque ! Mon premier montage durait 2h15 et j'étais persuadé que je n'arriverais pas à faire moins.

C'était trop long à votre goût ?

Pas vraiment à mes yeux mais comme vous le disiez, je voulais éviter les 2 heures. J'ai pris 10 jours de break en juillet, un peu forcé car tout le monde se cassait en même temps, c'était vers le 14 juillet. J'en ai profité pour visionner plusieurs fois un DVD du film que j'avais apporté dans ma valise, j'ai noté de nouveaux cut de raccourcissement, de resserrage... De retour au montage, j'ai facilement obtenu une version de 2h05. Content de moi, je me suis dit que c'était le moment de le montrer à Luc Besson. Jamais il n'était intervenu jusque là, il ne savait même pas ce que je faisais. Il m'avait juste dit de lui faire une projection quand j'en aurai envie. Il le regarde et me dit « Viens, on va à la table de montage. » Là-bas, il choisit une scène. « Pourquoi tu me fais passer par ici pour aller là alors que je peux y aller direct ? » Il avait raison l'enfoiré. (Rire) Sans couper de séquence et en enlevant des petites conneries, je suis arrivé à 1h55, générique compris.

Quelle était la sortie prévue, à l'origine ?

Le 27 janvier mais je n'étais pas prêt. J'ai eu ma copie le 12 janvier et nous n'avions pas le temps de travailler la sortie, cela aurait été un suicide. On choisit alors un mercredi en mars où il n'y aurait personne. Le 24. Alice au pays des merveilles devait sortir le 7 avril. Tout d'un coup, le Burton s'avance de deux semaines et décide de se mettre en face de nous. C'est difficile. On ne le cache pas, c'est un gros morceau. Espérons que cela stimule le marché.

Dans quel état serez-vous mercredi ?

J'aurai un ulcère à l'estomac. C'est quand même trois ans de ma vie !

Allez à Marseille, elle y est plus belle la vie...

 

Propos recueillis par Didier Verdurand.

Photos de Côme Bardon.

Merci à Radio Classique pour la salle.

 


 

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