Roland Kermarec (Lynchland #1)

Sophie Hay | 9 octobre 2004
Sophie Hay | 9 octobre 2004

En 1994, Roland Kermarec choisit David Lynch comme sujet de sa maîtrise puis de son DEA. Pendant ses recherches, il entre en contact avec un ami de l'artiste qui lui propose de lui transmettre ses travaux d'étudiant… Fin 1995, le cinéaste invite Roland Kermarec à venir assister à l'intégralité du tournage de son film Lost highway. Lors du tournage, alors qu'il demandait à David Lynch si cela n'était pas gênant de n'être présent qu'en simple qualité d'observateur, le cinéaste eut alors cette réponse définitive : « Tu restes à mes côtés et tu écris ta thèse ! »
Aujourd'hui, il continue d'étudier en profondeur l'œuvre de David Lynch, publie ses écrits sur le site Lynchland.net et collabore à la revue en ligne Objectif Cinéma. C'est à la mort de l'acteur principal du film Une histoire vraie, Richard Farnsworth, qu'il décide de mettre noir sur blanc toute sa connaissance de l'œuvre de David Lynch. Avec une intention particulière lors de l'écriture, à savoir de ne pas s'effacer derrière son rôle de journaliste mais d'essayer de donner sa propre vision du cinéaste… Le premier volet de ses écrits, Lynchland #1, vient de sortir...

Le moins que l'on puisse dire à la lecture de ce livre, c'est que tu es un perfectionniste. On a l'impression de lire une enquête policière, avec chaque source d'informations vérifiée…
Ce qui m'intéresse le plus, c'est d'essayer de reconstituer la genèse de son œuvre, la façon dont il l'a créée plus que son sens même. Avec Eraserhead, mon film préféré de sa filmographie, on peut dire que le processus de création a été réellement atypique. Cela lui a donné une entité unique. D'ailleurs, c'est le seul film que je peux revisionner sans m'ennuyer. Lorsque je plonge dans l'histoire, je m'y sens bien… De plus, c'est son premier film… D'une certaine façon, il est le plus émouvant…

On pourrait dire d'ores et déjà que tu as un point commun avec David Lynch : le sens du détail. Plus précisément, on remarque ton souci d'indiquer les paroles exactes (en anglais) qu'a prononcées Lynch lors de ces interviews...
C'est mon côté maniaque qui ressort… Il est vrai que je souhaite avant toute chose être au plus proche des propos de David Lynch… En effet, ceux qui ont l'habitude de lire en anglais des interviews du « tsar du bizarre » savent que son langage est particulier. Il entretient un langage très spirituel et imagé. Lynch a même souvent dénigré les mots pour mieux glorifier les images… Même si on peut toutefois remarquer que ce dernier inscrit des mots sur ses peintures…

Tu es le maître incontesté pour ce qui est de recueillir des informations sur David Lynch. J'ai entendu dire que tu avais des milliers de documents, plus ou moins rares, sur le cinéaste. Mais pourquoi tant de fascination ?
Est-ce que, quand on est fasciné par quelque chose, est-ce qu'on peut déjà se l'expliquer à soi-même ? Personnellement, David Lynch, c'est comme une évidence. Si on m'enlevait David Lynch, ce serait totalement différent. Ça fait déjà une quinzaine d'années que je suis ce qu'il fait… Il fait donc partie de mon monde. Il est indissociable du mot « art ». Je n'aime pas le mot « fascination » car on accole souvent le mot « fan », qui dénote un côté péjoratif, une attitude « passive »… Or, ce n'est pas du tout mon cas. J'essaie notamment de découvrir au mieux son œuvre et, en même temps, cela me permet de me découvrir plus moi-même. Par ailleurs, David Lynch est fort réputé pour être une personne sincère et fidèle dans son travail. Dans le milieu du cinéma, par exemple, la sincérité est une qualité rare et Lynch a su démontrer qu'en restant fidèle à soi-même, notamment à ses idées, on peut réussir à créer de belles choses.

Comment tu vas faire quand il va mourir ?
C'est une chose à laquelle j'essaie de ne pas penser… S'il arrête de fumer, peut-être qu'il pourrait gagner quelques années…

Il n'avait pas déjà arrêté ?
Si, après Eraserhead, et il a repris en 1992, si mes souvenirs sont exacts. C'est certainement dû à l'échec du film Twin peaks : Fire walk with me. De toute manière, cette année-là a été une année noire pour lui. Enfin, il a connu plusieurs mauvaises années par la suite, jusqu'en 1995.

Et maintenant, depuis 2001, on peut se demander ce qu'il prépare en matière de film. À ton avis ?
Je me fiche de ce qu'il prépare exactement, l'important est qu'il prépare quelque chose ! En espérant que ce ne soit pas que des plans de communication pour promouvoir la méditation transcendentale.

Il y a quelques semaines, il était justement à une conférence dans l'Iowa pour la promouvoir. Quel est ton point de vue sur cette TM (transcendantal meditation)?
J'y ai assez réflechi… Je pense que la TM est quelque chose de très bien au niveau individuel. Par exemple, cela l'aide pour trouver des idées. Néanmoins, dès qu'on arrive à un niveau plus étendu, global voire planétaire, comme il a pu le suggérer, son histoire d'apporter la paix, quand on voit la merde qu'il y a dans le monde entier… je me pose des questions sur sa naïveté. Au niveau de son site Internet, ça me gène de voir des membres qui parlent dans la chat room de la TM, et dès qu'on lance un avis plus retenu sur la TM, on est la cible de remarques… Alors que David ne va jamais de front sur quelqu'un. Il y a désormais plein d'autres membres du site qui sont adeptes de la TM et qui se chargent de « remonter les bretelles » à ceux qui auraient l'audace d'en dire du mal. Cela dit, depuis un an, je m'inquiète un petit peu car il a investi beaucoup de temps, d'énergie et je dirais même d'argent pour la TM. Il aurait d'ailleurs donné 1 million de dollar pour la construction de « Peace Palace »…

Alors qu'il a des difficultés à financer ses films.
Non seulement pour ses films, mais aussi des plus petits projets tels que AAXON N. sur son site Internet.

Tu as eu l'énorme chance d'assister au tournage de Lost highway. S'il te proposait à nouveau de venir sur un tournage, aurais-tu des réticences à y retourner, et qu'aurais-tu hâte de retrouver ?
Je n'aurais aucune réticence, bien au contraire ! Lors de ma première rencontre avec David Lynch, j'ai senti des ondes positives qui se dégageaient de lui. Il a une facilité incroyable à rendre son entourage serein et à l'aise avec lui. J'aurais vraiment hâte de retrouver cette sensation que j'avais lors du tournage de Lost highway, à savoir « être dans l'image du film ». J'aimais beaucoup me promener sur le plateau car j'y ressentais de très fortes sensations. Voir une scène se créer sous mes yeux était quelque chose de palpitant. Le plus excitant est de voir Lynch lui-même à l'œuvre, en pleine création !

Il paraît que tu as filmé avec ton caméscope certains moments du tournage de Lost highway. J'imagine que de nombreux fans aimeraient voir ces images.
J'ai en effet une dizaine d'heures d'images mais je n'ai jamais pu tout regarder. Cela me remémore tellement d'émotions. C'est beaucoup trop fort comme sensations. D'ailleurs, je n'ai jamais pu revoir Lost highway depuis 1997 !

Ce livre n'est qu'un premier volet de toute une série. Que pourra-t-on trouver dans Lynchland # 2 ?
Ce sera une version améliorée de mon mémoire de ma maîtrise sur le film Eraserhead.

Et Lynchland # 3 ?
Ce sera sur Elephant man.

Roland Kermarec sera au salon du Livre de Cinéma et du DVD le 9 octobre 2004 de 16h à 16h45, et le 10 octobre 2004 de 14h30 à 15h15, pour une signature de son livre Lynchland #1, au stand du vidéoclub-librairie Hors-circuits.
Lieu : Espace des Blancs-Manteaux – 48, rue Vieille-du-Temple – 75004 Paris.

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